Franchouilleries contre chinoiseries

Participation… à l’échec

En 2025, la Chine programme un 15è rigoureux plan quinquennal et définit ses objectifs jusqu’en 2035. La même année la France change trois fois de gouvernement, vit dans un présent chaotique, s’enfonce dans la dette, perd sa place dans le peloton de tête des nations les plus développées. Une telle divergence oblige à une comparaison de ces sociétés, qui ne semble pas à l’avantage de la seconde. La France est pourtant une démocratie, tandis que la Chine est une autocratie. Les démocraties ne sont-elles pas censées éveiller davantage la motivation et la créativité de ses habitants, et se propulser ainsi au devant de la scène économique, technologique et culturelle ?

La différence entre les deux civilisations n’est pas ce binarisme autocratie/démocratie dont beaucoup se font quotidiennement des gargarismes moraux. Il s’agit d’un écart dans la force de la représentativité. La délégation de pouvoir reste importante en Chine, et toujours adaptée à la taille considérable de sa population, tandis qu’elle est en chute libre en France. Le désir de démocratie “participative” a transformé ce pays en une vaste tribu anarchique qui vit au jour le jour et se montre incapable d’organiser son destin.

Poids vs valeur

La “participation”, est-ce une mauvaise chose en soi ? Certainement pas. La participation est assurément fondamentale pour motiver la vie en société. C’est bien la seule chose qui unit le soliTaire et le soliDaire en nous, même si leurs buts diffèrent : l’un veut participer pour briller et l’autre pour se fondre dans la brillance. Quelle est cependant la valeur de la participation de chacun ? L’égalitarisme interdit de poser cette question. En France, il donne non seulement le même poids à tous les votes, mais la même valeur à toutes les opinions. Croire que c’est synonyme est le point où l’égalitarisme se perd. Il devient entièrement individualiste, et non plus collectiviste. C’est en effet du point de vue de l’individu que son opinion a une valeur non inférieure à une autre. Toutes sont fixées unitairement à 1. Tandis que le collectif met une note entre 0 et 1, jamais nulle, jamais parfaite non plus.

Tous les individus doivent participer mais aucun ne peut participer avec une valeur strictement équivalente à une autre. Comment résoudre ce dilemme ? La situation se complique du fait que la valeur de l’individu évolue au fil du temps, du nouveau-né entièrement dépendant à l’adulte réalisé pleinement. La seule structure sociale capable d’organiser de telles contraintes est une hiérarchie dynamique. Ni anarchie ni aristocratie d’un mérite éternel.

Qu’est-ce qu’une hiérarchie dynamique ?

Une hiérarchie dynamique permet à tous de s’y déplacer… parce que tous sont évalués. La soumission n’est pas à l’autorité d’un président mais à l’évaluation par les autres. La valeur n’est pas distribuée juste parce que l’on est né. Elle fonctionne plutôt comme la grande distribution. Nous avons le droit d’aller nous servir dans tous les rayons, agriculture, technologie, industrie, services sociaux, culture, etc. Mais il existe des caisses à la sortie et nous devons avoir les moyens de régler nos prétentions. Il n’y a pas deux caddies identiques.

Une hiérarchie dynamique reste une hiérarchie. Le lieu de pouvoir n’est pas vide, comme le disait faussement Claude Lefort en 1982. Il n’a pas non plus de propriétaire. Il est alloué. À l’élite de la pensée adaptée à y siéger. Sur élection bien sûr. Par des gens eux-mêmes évalués sur leur capacité à élire. Tout électeur est ainsi un élu lui aussi.

Comment éviter la pesanteur d’une telle organisation pyramidale ? Par la multiplicité des cercles sociaux d’une part, qui permet à chacun d’être “élu” quelque part, ne serait-ce que comme parent d’un enfant, par le contrat tacite de l’avoir fait venir au monde. Par la dynamique de cette hiérarchie d’autre part, qui attribue à chaque élu un pouvoir et un devoir. Il n’existe pas de pouvoir sans “rendre compte”. Cependant les comptes se rendent aux électeurs qui nous ont sélectionné et non à l’immense marée humaine anonyme qui nous entoure.

Le corps social

Notons qu’un tel système n’est pas une création humaine mais une prolongation de notre organisation physiologique naturelle. Les organes sont eux aussi des “cercles sociaux” regroupant des cellules spécialisées, chargées de fonctions essentielles. Tous ces cercles sont nécessaires au maintien du corps humain. Il existe néanmoins une hiérarchie entre eux. Lors d’évènements mettant en jeu le destin immédiat de l’organisme, ce sont plutôt les pieds qui décident, choisissant la fuite. Mais si c’est son “plan quinquennal” qu’il faut programmer, c’est le cerveau qui décide. Il ne convoque pas l’anus, la langue ou le majeur, bien qu’il s’en serve éventuellement pour communiquer. Le cerveau est locataire du pouvoir, entre les murs de la boîte crânienne.

Il prend parfois de mauvaises décisions mais globalement l’avenir de l’organisme est bien mieux assuré que si chaque orteil décidait de son propre chemin. Le cerveau est supérieur dans la hiérarchie décisionnelle tout en étant incapable de fonctionner et se déplacer sans les organes dits “inférieurs”. La société est pareillement cette intrication irréductible entre ses cercles sociaux. Que se passe-t-il quand on les efface, comme cela vient de se produire dans la société française ? Les orteils et tous les autres organes se présentent à l’entrée de la boîte crânienne et demandent au cerveau de leur faire de la place. C’est lui aussi qui ira à son tour servir de “pieds” pour mouvoir le corps entier. Faut-il s’étonner s’il ralentit à côté de ses concurrents, sur le chemin de la vie ?

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