La revue des bévues en psycho n’est jamais close. Après « deviens ce que tu es » , nous croisons aussi « mon cerveau et moi ». Il faut apprendre à vivre avec cette espèce de machinerie neurale fantasque, qui réalise les plus grands miracles comme les pires bêtises, mais c’est « moi » qui monte sur le podium ou enfile le bonnet d’âne.
La machine en question est d’un manque de fiabilité effrayant. Vous vous trompez dans la bonne alimentation ? Sucrez quelques heures de sommeil ? L’exposez à des influences perverses ? Ne faites pas votre marche quotidienne ? Le voilà qui perd immédiatement en efficacité. Quelques jours d’inattention ont déjà commencé à me détruire le cerveau. Ne devrais-je pas l’enfermer dans un coffre au fond d’une banque suisse, baignant dans des fluides savamment dosés, plutôt que le garder dans une boîte crânienne vulnérable et exposée à toutes les pollutions métaboliques ?
Après chaque lecture de Cerveau&Psycho je saisis ma fourchette en tremblant. Quels dégâts vais-je encore faire, grand inconscient, au plus généralissime de mes organes ? Est-il encore en état de savoir ce qui est bon pour lui et me le faire savoir ? Mes goûts n’ont pas l’air d’être les siens. Car des aliments qui rendent mon cerveau malade me plaisent bien, à moi.
Mon cerveau et moi ne communiquons pas directement, semble-t-il, alors que ce timide parle sans hésiter aux neuroscientifiques. Sous l’oeil cylindrique de leur IRM, il affiche clairement ses revendications. Les chercheurs me renvoient ensuite la liste. Aïe ! Elle est longue, dites-moi. C’est quasiment chaque aspect de ma vie quotidienne qu’il faut réaménager.
Progressivement j’ai eu l’impression d’avoir un nouvel enfant à la maison. Un handicapé. Il faut prendre soin de lui constamment. Je l’oublie ? Immédiatement il me punit en diminuant mes facultés. Je ne vois plus que le bonnet d’âne accroché à la patère, tandis que le podium est invisible, au fond d’un placard dont je n’ai plus la clé.
Auparavant, en effet, j’étais parfois surpris de mes propres éclairs de génie, qui me semblaient spontanés, un don du ciel. Aujourd’hui je sais qu’ils sont contingents à une hygiène de vie rigoureuse, à une attention de tous les instants sur mes habitudes les plus ordinaires. J’y consacre tellement de temps… que les éclairs de génie ont disparu. Je vis dans une morne efficacité quotidienne, serviteur de mon propre cerveau.
Quelle galère de s’occuper de cet encagé ! Et si je décidais de l’oublier ? Oublier mon propre cerveau ? Eh bien oui, ce n’est pas comme s’il pouvait s’enfuir. Comment irait-il chercher un nouveau propriétaire ? Et puis cela va peut-être nous réconcilier. Nous fusionner même. Qu’est-ce qui sépare moi et mon cerveau ? Cette question-là, Cerveau&Psycho ne la traite jamais. Les auteurs ne seraient-ils pas tous des cerveaux, exclusivement ?
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