Trouble over authority

Mal encerclés

L’autorité est une caractéristique inhérente aux cercles sociaux et s’effondre avec leur disparition. L’autorité est une délégation spontanée de pouvoir. Elle n’a pas besoin de justifier ses décisions puisque la responsabilité a été transférée volontairement par l’individu. Mais quel individu accepterait de transférer l’intégralité de son pouvoir ? Ce serait une négation de son propre libre-arbitre. La délégation concerne seulement une fraction de pouvoir dans un contexte particulier. Les cercles sociaux caractérisent ces contextes. Chacun d’eux possède des instances représentatives auxquelles les membres confient l’autorité attachée au cercle. Les parents sont dépositaires du destin familial, le patron de celui de l’entreprise, le président de la nation, etc.

Les soucis rencontrés avec l’autorité proviennent de deux causes principales. La plus courante est une représentation inadéquate au sein du cercle. Soit le chef est contesté soit c’est le mode de représentation lui-même qui est obsolète. La direction collégiale peut être préférée au chef unique. La forme collégiale diminue les luttes intestines mais floute la direction politique prise par le cercle. La seule contrainte d’organisation est qu’elle soit populaire au sein du cercle. Le transfert de pouvoir n’opère qu’à cette condition. L’autorité est l’exact contraire de la dictature. Le terme ‘autoritarisme’ est aujourd’hui complètement dévoyé car il est employé par les adversaires de l’autorité, des gens n’appartenant pas au cercle où elle s’exerce, ou qui devraient le quitter. ‘Autoritarisme’ a normalement une connotation positive. C’est la capacité d’un chef à se faire confier volontairement le pouvoir. Autoritarisme est synonyme de charisme et non d’autocratisme. Sa signification est si tronquée actuellement qu’il faudrait le remplacer par un néologisme, par exemple “collectarisme”. Et nous n’aurions plus de chefs mais des collectaires.

Autorité lunaire

Le souci plus général avec l’autorité vient de la désagrégation des cercles sociaux. S’ils ne sont plus là pour délimiter le transfert de pouvoir, la délégation devient une hémorragie. Le citoyen cherche désespérément son libre-arbitre au sein de la masse populaire. Il se persuade qu’il l’a perdu pour l’avoir transféré, justement, et cesse immédiatement. Il en ramasse les miettes dispersées et fabrique un pain perdu qui va désormais, vaille que vaille, décider de son destin personnel. Il devient citoyen-roi… au milieu de milliards d’autres monarques. Mais cette dilution désastreuse n’est apparente que du point de vue collectif, qu’il a abandonné. Du point de vue individuel il se gargarise. « J’ai mon destin en main ». J’ai surtout retourné ma lorgnette, et regarde l’infiniment petit.

Les derniers représentants de l’autorité, au milieu des décombres, ont perdu toute attractivité. Pourquoi transférer mon pouvoir personnel à un président qui a des millions d’autres désirs à satisfaire ? Ce n’est certainement pas ainsi que je vais récupérer du libre-arbitre. La crise de l’autorité est celle du libre-arbitre, non pas parce que les deux se gênent mais au contraire parce qu’ils ne sont plus connectés. L’une est sur la Lune, l’autre est resté à terre. Il n’existe plus d’ascenseur entre les deux, aucun moyen de convoyer l’un à l’autre.

Boursicotium

Une métaphore est d’imaginer notre pouvoir comme un portefeuille boursier. Je décide d’investir dans chaque cercle comme dans une action en bourse. Le transfert de pouvoir peut me rapporter gros, ou je peux tout perdre. Par exemple je m’associe à une compagne, ce qui me fait investir dans le couple. Des années plus tard le couple a fructifié et je suis membre d’une famille et d’un patrimoine élargi. Ou j’ai divorcé et je suis lessivé. Mais je n’ai pas mis l’intégralité de mon pouvoir dans cette affaire. J’ai encore mes compétences, mon travail, et je peux reformer un couple. En essayant de mieux jouer en bourse…

La présence des cercles mobilise des investissements mais limite aussi les pertes. L’individu n’y risque pas l’intégralité de son libre-arbitre. Ainsi est-il plus disposé à le transférer. Les citoyens bien encadrés par leurs cercles sont plus enclins à voter pour les élections que ceux qui n’en ont pas. Je le suppose tout du moins, et c’est une des manières de vérifier la TCS. Les jeunes votent moins quand ils considèrent l’absence de cercles comme une fatalité, tandis que ceux qui les sentent nécessaires se mobilisent lors des élections.

L’idéal à la criée

Pourquoi les politiciens qui récupèrent aujourd’hui de l’autorité sont-ils déclarés “populistes” ? Ils ne s’adressent pas à l’intégralité du peuple, en fait, mais à une catégorie bien précise. Leur discours redélimite un cercle, encourage les gens à s’y insérer. En précisant les contours, en les bétonnant même avec une dose variable d’ostracisme, le populiste facilite le transfert de pouvoir à son profit. Toute la subtilité du bon politicien, en cette affaire, est de construire un cercle solide mais assez poreux pour laisser entrer les indécis, ceux qui se demandent s’ils ont vraiment besoin d’aller là. Les cercles radicaux prospèrent sur l’absence de cercles modérés aussi bien définis. Mieux vaut un cercle radical que pas de cercle du tout. L’identité cherche toujours une référence. Les universalistes sont de grands naïfs qui projettent leur sensibilité cosmopolite sur les autres. Il faut savoir vendre à la criée ses idéaux sur le marché des cercles, plutôt qu’attendre le passage du badaud.

Le centre en politique pâtit de se présenter comme cercle indéfinissable. On irait là parce qu’on ne sait pas vraiment où aller. Partout ailleurs on braille des convictions. On resterait temporairement au centre pour prendre le thé, puis le quitter en souhaitant aux autres une bonne journée, pour aller s’intéresser à des causes plus sérieuses. Le centre, s’il définissait mieux ses règles, serait un véritable cercle politique.

Sous la botte étrangère

Mais les cercles politiques, comme les couples, ont-ils encore une substance ? Si nous nous sommes réappropriés l’intégralité de notre pouvoir, il ne reste plus rien pour l’autorité. Pas de délégation, pas de protection non plus. Pas d’État-providence, pas de protectorat familial, pas d’entreprise paternaliste. Nous sommes des petits soldats sur le champ de bataille, mais aucun général ne viendra coordonner notre action. Quelle est cette botte géante qui menace de nous écraser ?

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Syllog 1er

Différencions le chef syllogistique et le chef charismatique. Le chef charismatique, le mieux accepté, est celui auquel tout le monde veut ressembler. Toute fusion étant laborieuse, le chef charismatique peine au début à se faire reconnaître. Il essuie les rebuffades sans sourciller, tient sa ligne, ne cherche nullement à satisfaire tous les désirs. C’est un barreur. Ses compétences se confirment à mesure que l’histoire évolue et qu’il se dirige vraiment vers l’objectif annoncé. C’est par exemple un De Gaulle, qui n’est plus guère critiqué aujourd’hui. La fusion va jusqu’à concerner les générations futures. Un charisme intemporel.

Le chef syllogistique est bien différent. Le syllogisme est une logique en 3 temps : prémisse générale, spécifique, conclusion. Exemple d’un syllogisme d’Abraham Lincoln : « Tous les hommes sont créés égaux (prémisse générale), des hommes se sont battus pour l’égalité (prémisse spécifique), nous devons faire en sorte qu’ils ne soient pas morts en vain (conclusion) ». J’applique ici le principe à une certaine catégorie de chefs, par exemple Donald Trump, qui réunit les suffrages ainsi : Je ne me reconnais pas dans le système (prémisse), le système rejette Donald Trump (spécifique), je me reconnais donc dans Donald Trump (conclusion).

Pas de rue Syllog

Vous devinez sans peine que le chef syllogistique est plus fragile, à l’instar du syllogisme qui cache bien des propositions fausses (sophismes et paralogismes). En effet l’une des prémisses peut être incomplète ou erronée, et la conclusion devient absurde. Lincoln en déclarant les hommes créés égaux se met dans le champ du droit alors que la génétique dit l’inverse. L’électeur trumpiste ne se reconnaît pas dans certains aspects du système mais certains services lui sont essentiels. Contrairement au chef charismatique dans lequel se regroupent les aspirations positives des électeurs, le syllogistique regroupe les expirations négatives. Le charismatique critique sans acrimonie et encourage ; le syllogistique critique tout hystériquement et concentre le positif sur une promesse unique, “MAGA” pour Trump.

Les syllogismes révèlent tôt ou tard leurs faiblesses, et les chefs syllogistiques finissent dans les poubelles de l’Histoire, tandis que la rue où vous habitez porte souvent le nom d’un charismatique.

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