N’auriez-vous pas un coffre vide ?

Les chercheurs ? Des commandos ! Ils entrent par petits groupes dans le no man’s land bornant la connaissance. Leur détermination est formidable. Et c’est un impératif ! Car l’endroit est étrange, dangereux, parsemé de faux repères. Les commandos croisent les ruines d’antiques savoirs, aperçoivent des squelettes décharnés accrochés à leurs trésors, livres périmés et instruments obsolètes.

Des bunkers surveillent le paysage, coiffés de hauts-parleurs qui répandent la bonne parole aux voyageurs. Rares sont les suggestions profitables. Certains hurlent des croyances fantaisistes, d’autres le bien-pensant académique. Les commandos entraînés se méfient. Ils contournent ces zones où des barbelés freinent leur progression. Il y a même des tireurs embusqués. Le succès de nos chercheurs n’enchanterait pas tout le monde. Il déclenche volontiers la fureur de sectes fanatiques ou la jalousie de collègues sur le déclin. Ils croisent aussi des marchands, nombreux à promettre des coffres d’or pour la découverte d’un nouveau Graal.

Que font-ils exactement, nos chercheurs intrépides, dans cet endroit inquiétant ? Ils se glissent partout pour dénicher les buissons de Données ! Dès que s’en présente un à maturité, ils sortent de leurs sacs des instruments spéciaux pour récolter les précieuses Données. C’est là leur domaine. Ils sont capables de fabriquer, en plein milieu de l’expédition, un outil innovant pour récolter les fruits sans les abîmer. Chaque arbuste crée en effet sa forme particulière de Données. Parfois les chercheurs n’ont aucune idée préalable de ce qu’ils vont trouver. Il faut installer, au milieu de l’inconnu, un petit atelier, et créer un instrument aussi inédit qu’insolite.

Après cet instant créatif et enthousiaste commence une phase plus fastidieuse, le recueil des Données. Tâche répétitive, interminable, ponctuée de crises d’énervement, surtout quand le marchand qui a financé l’opération s’enquiert constamment des résultats. Les chercheurs en retirent des crampes, des cervicalgies, des tendinites. Les groupes prévoyants recrutent un ostéopathe. Les plus négligents reviennent en boitant, traînant péniblement leurs sacs de Données, l’air vieilli de vingt ans.

En tireront-ils gloire et richesse ? C’est le plus surprenant dans ces expéditions : le no man’s land ne contient aucun trésor en soi. Le Graal réside dans la tête des chercheurs. Est-il authentique ? C’est la question capitale. Le Graal n’est que théorique au début de la campagne. C’est un coffre à remplir avec le butin des Données. Vide, il n’a aucune valeur.

Les Données brutes, dans la Nature, n’ont pas de valeur non plus. Pas davantage que des cailloux. Mais une fois enfermées dans le coffre, le Graal théorique peut les agencer ensemble et les transmuter. Lorsque le couvercle est soulevé, au retour de l’expédition, les cailloux sont devenus des pépites d’or. Le Graal est authentique !

Malheureusement, bien des fois, les cailloux sont restés des cailloux. L’expédition n’aurait-elle servi à rien ? Pas si vite. Verrait-on beaucoup de chercheurs félicités si tant d’autres n’avaient pas arpenté le no man’s land, traînant des coffres de toutes les formes et toutes les dimensions, échouant dans leur transmutation des données, mais indiquant par là aux autres les formules inutiles à emporter ?

L’armée de la Science n’aurait jamais gagné tant de batailles si les commandos n’agissaient pas soudés, partageant constamment les enseignements de leurs campagnes. Le no man’s land recule. Les châteaux de la Science installent leur prés carrés dans le paysage.

Le no man’s land peut-il être entièrement colonisé ? Impossible. Car il sépare les chercheurs de l’inaccessible Réalité En Soi. Le monde des humains est une bulle qui gonfle au sein de cette obscurité impénétrable. Qui s’en plaindra ? Inscrivez-vous à l’École des Commandos. Ils recrutent pour l’Éternité. N’avez-vous pas un coffre qui traîne, et un raid à entreprendre ?

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