Qu’est-ce que le moteur TD ?

Peut-on nous enfermer dans des profils?

La société est un ensemble d’humains organisé. Toute méthode sociologique qui voudrait réduire ces humains à des unités semblables est vouée à l’échec. Mais comment construire des modèles à partir d’éléments se comportant tous différemment ? Certainement physique et chimie n’auraient-elles pas eu de si grands succès si les atomes n’avaient, fort heureusement, des propriétés similaires. La sociologie tente de dépasser le problème en réunissant ses unités humaines dans des profils. Dans ceux-ci elle inclue déjà des critères sociaux. C’est-à-dire qu’elle crée des modèles non pas avec les données d’humains vierges mais les catégories de modèles antérieurs. Aucun ne pouvant être validé, l’édifice est fragile. Et les critères psychologiques ? La psychologie n’obtenant pas non plus de prédiction fiable sur les comportements individuels, la base est encore plus fragile.

Consciences individuelle et sociale sont entremêlées. C’est la position, guère aventureuse, que je vais soutenir dans cet ouvrage. Stratium et Societarium sont étroitement intriqués. Édifices tous deux complexes, leur interaction est encore plus difficile à prévoir. Comment faire émerger un modèle d’un tel chaos ? Ici par contre je vous demande de suivre une idée moins commune, que consciences individuelle et sociale fonctionnent d’après un même principe. Il s’agit du conflit entre individuation et appartenance, que j’ai baptisé conflit TD (soliTaire vs soliDaire).

L’élan vital, celui du conflit ?

Le conflit n’est pas difficile à repérer dans les affaires sociales. L’individu défend ses propres intérêts ou ceux des autres. Opposition déjà présente au sein de l’individu. Certains ont une inclinaison nette pour l’intérêt personnel, d’autres pour le solidaire. Je distinguerai ainsi par la suite les T préférentiels (Tp) et les D préférentiels (Dp).

N’entendez pas ‘conflit’ comme un dysfonctionnement inhérent à la relation sociale. Au contraire c’en est le moteur essentiel. Pourquoi s’engager dans une relation s’il n’y avait aucun problème à régler, si nous étions entièrement maîtres de notre environnement et enchantés par lui ? Faire société a pour but de résoudre des conflits, ou les prévenir. La nécessité se présente dès que paraît dans notre environnement une entité indépendante de notre volonté. Il en est de même avec les animaux. Nous entrons en relation avec eux. S’il semble possible de faire société, nous les domestiquons. Si c’est impossible nous les chassons.

Un moteur propulse ou freine…

Ainsi, plutôt que ‘conflit’ TD, je parlerai plus souvent de principe ou de moteur TD. Il s’éveille dès que nous ne sommes plus seul au monde, est retrouvé dans tous les aspects de la relation sociale. Continuons un peu à l’explorer. Le T désignera donc notre pôle individuation, l’ego, et le D est notre pôle appartenance,  l’empathie solidaire.

Dans le principe TD, aucun pôle n’a une importance supérieure à l’autre, pas plus que dans un moteur alternatif une phase serait plus capitale. Indispensables en alternance, elles ne peuvent se perpétuer isolément. Le moteur TD renforce notre individuation en passant par l’effort solidaire. Nos talents sont amplifiés par les apprentissages. Isolés, ils ne pourraient atteindre une grande envergure. L’ego est plus marqué parce qu’il garde sa singularité dans quelque chose de plus grand.

…tout dépend du sens où il tourne

Néanmoins ce moteur TD tourne mieux dans un sens. C’est le T qui doit agir en premier. L’effort individuel démarre, puis se partage. La solidarité provient d’un Tout qu’il faut au préalable avoir participé à construire. Naissant dans une société où la solidarité est étatisée, fondue dans le décor, nos contemporains tendent à l’oublier. L’héritage est invisible. C’est quand le collectif s’effondre que nous nous réveillons, constatons qu’il n’y a plus rien à partager, consentons à l’effort individuel pour reconstituer un Tout. L’Histoire montre ainsi sa propre alternance, entre croissance et décadence, prospérité puis sybaritisme.

Chaque nouvelle génération peut transformer la société, la rendre meilleure. À condition de s’obliger à une envergure supérieure à celles de la génération précédente. Le fait-elle mieux en vantant ses loisirs, ses paresses, ou en les délimitant ? Un surcroît de moyens pour le collectif implique davantage d’efforts individuels. Le T vient en premier. Davantage de peine ? Pas toujours. Parmi les talents sont ceux de mieux organiser, de porter l’effort au bon endroit, employer la bonne personne pour chaque tâche. Construire un tissu social aussi souple que serré. Une société douce et résistante a plus d’un millions de fils au maître carré.

Inversion

Que se passe-t-il si l’on fait tourner le moteur à l’envers en mettant le D en premier ? Procéder ainsi consiste à dire que chaque individu a droit à une rétribution du Tout pour sa seule existence. Mise ainsi en avant, la solidarité est une obligation. Distribuée sans poser de question, que chaque individu ait montré des velléités d’effort individuel ou non. Il serait inéquitable que l’un reçoive plus que l’autre.

Combien de temps fonctionne le moteur social dans ce sens ? Pas très longtemps, vous le savez. L’effort individuel n’étant plus mis devant, il n’est guère motivé et les greniers du Tout s’épuisent. Le moteur ne stoppera pas en une génération car chacune est intriquée avec les autres. La suivante peut remettre le moteur en marche dans le bon sens, constatant l’épuisement des moyens.

Quand le moteur vieillit

Ce qui pourrait bloquer complètement le moteur est le frein gérontologique. Nos vieux stoppent ou ralentissent leur effort individuel à l’âge de la retraite, comptant désormais sur l’effort solidaire. Rupture générationnelle qui n’a aucune légitimité. Pourquoi l’inscrire en dur quand les travailleurs parviennent à cet âge très dispersés en termes de santé, durée et pénibilité du travail effectué ? Au contentieux social s’ajoute là le ferment d’une guerre entre générations. Quand la pyramide des âges devient plus étroite à la base qu’à son sommet, elle s’effondre sous son propre poids. Et probablement le fera-t-elle, car tout le monde finit par rejoindre le camp des vieux.

Ces menaces n’existent que lorsqu’une part croissante d’entre nous met la solidarité en premier et fait tourner le moteur social à l’envers. La démocratie est peut-être sous cet angle le régime le plus auto-destructeur qui soit. En effet si ceux profitent de la solidarité sans participer deviennent majoritaires, ils votent la poursuite du système et sont rejoints par d’autres bénéficiaires. Qui ne voudrait pas vivre confortablement sans effort particulier ?

Redémarrage

Nous avons vu cette évolution en France avec la contestation populaire sur l’âge de la retraite. Le reculer n’a pas plu. Une démocratie participative aurait purement annulé le projet. Les contestataires n’étaient pas tous des travailleurs proches de la retraite mais aussi des jeunes en grand nombre, qui espéraient rejoindre assez tôt le nirvana du retraité débarrassé de ses obligations sociales et se consacrant entièrement aux plaisirs de la vie. Le moteur à l’envers…

Comment le redémarrer ? Remettre le T en premier ? C’est tout un chantier, auquel le monde de l’entreprise a commencé à s’atteler. Redonner de l’intérêt aux tâches. Laisser la personnalité de l’employé s’exprimer. L’intégrer davantage dans le processus décisionnel. Soulever un gigantesque étouffoir installé par la solidarité-providence : la victimisation du travail. La prochaine génération se glorifiera-t-elle à nouveau d’un T héroïque, remis en premier, plutôt qu’aujourd’hui d’un T victimisé ?

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