Nicolas Gauvrit dans Cerveau&Psycho se fend d’une tribune sur la maltraitance à propos du scandale des crèches People&Baby, où des petits enfants sont victimes de mauvais traitements. « Comment une société peut-elle en arriver à martyriser les plus petits et les plus fragiles d’entre les siens ? », se demande-t-il, atterré. Et il répond avec une théorie serpent de mer : « Le stress lié à la constante recherche de performance engendre un sentiment de menace, qui augmente le risque d’agression envers les plus faibles ». La course au rendement serait encore une fois responsable de tous les maux.
Je ne comprends pas bien, cher Nicolas. Comment des nounous assez frustres pour brutaliser des enfants ressentiraient ce genre de pression ? La constante recherche de performance, dans une crèche où chacune fait ses heures hebdomadaires et routinières ? Les mères de familles très nombreuses des siècles précédents n’avaient-elles pas bien davantage de stress à gérer, sans pour autant se mettre à martyriser leurs gamins ?
L’idiotie de cet article n’est pas dans l’absence de ces interrogations. Elle est bien plus grande. Gauvrit semble n’avoir aucune intuition des dérives de notre époque et de leurs causes, sauf à pourfendre encore l’épouvantail ‘Travail et Rendement’, alors que la génération actuelle est celle qui travaille le moins dans l’histoire humaine. En particulier Gauvrit ne peut réaliser que ses propres articles et plus généralement des revues comme Cerveau&Psycho ont fortement contribué à cette dérive sociale. Comment est-ce arrivé ?
Ces articles et revues dédiés au mental ont dépossédés les gens de leur identité. Elles décryptent répétitivement chacun de nos désirs, chaque émotion, la moindre de nos dérives, en termes d’interactions neurales, d’équilibres biochimiques, de rouages anatomiques cérébraux. Où est l’intention dans cette horloge dont les innombrables pièces sont étalées sous nos yeux ? Nulle part. Pas d’explication. C’est une illusion. Que sommes-nous, sinon des horloges biologiques qui se croient dotées de libre-arbitre ?
Avec cet éclairage purement mécanistique, nos esprits sont des machineries neurales soumises à d’innombrables influences cachées, faciles à manipuler, viciées par des biais archi-communs. L’aliénation est devenue banale, le dysfonctionnement est la norme. Comment désormais rester propriétaire de son identité ? Comment rester responsable de soi et de ses actes ?
Je ne suis plus désormais condamnable en rien, vis à vis du collectif. Pour deux motifs. Un, ce collectif nous a déclarés tous égaux et donc il est inacceptable que quiconque se déclare supérieur à moi pour me dicter ma conduite. Deux, mes actes sont ceux de mes neurones. Si mon comportement vous heurte, c’est à eux qu’il faut s’adresser. Je n’ai rien décidé. Pour cela il faudrait que je dispose d’un libre-arbitre. Or les nouveaux spécialistes de l’esprit me l’ont ôté.
Les effets de la vague neuroscientifique sont là. Ils ont aplati l’esprit et le sens de la responsabilité. Il n’entre plus au tribunal, aujourd’hui, le moindre coupable. Seulement des entités neurales dysfonctionnantes mais d’un statut égal à celles qui les jugent, puisqu’il n’existe plus de fonctionnement “normal”. Il n’y a plus de présomption d’innocence mais une innocence présomptueuse.
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