Ma vie sera emportée par la faux-chieuse. Dois-je m’y préparer ? Trouverais-je un peu de magie à l’évènement dans les recettes philosophiques ? Dois-je me droguer dès à présent de leurs plus belles envolées pour me présenter euphorique au jour dit ?
Mécaniste
Que fais-je de ma voiture en sachant qu’elle ne pourra rouler éternellement ? Je la change quand trop de pannes s’enchaînent. Mais si le conducteur est indissociable de la voiture ? Je continue à rouler à bord de mon corps, sans autre choix que réparer, évitant désormais les drifts, mesurant davantage les distances à parcourir. Jamais je ne laisse passer une journée sans rouler, cependant, sinon mon corps ne voudra plus démarrer. Ce jour funeste m’inquiète-t-il ? Absolument pas. Il n’y a pas de clé de contact ni de main pour la tourner. “Je” est le démarreur. Je suis un esprit qui veut démarrer. La mort n’est pas la panne définitive en fait, c’est la disparition de l’envie de démarrer. Parfois le corps continue à vivre, des années, sans cette volonté. La voiture avance sur sa lancée, mais le conducteur a sauté par la fenêtre. La panne finale est survenue mais prend des années de mort vivante avant de devenir définitive. Un vivant, lui, met une minute pour mourir. A-t-on vraiment le temps de s’angoisser ?
Poétique
Que viens-je de faire avec ce texte ? Je développe le regard ascendant, ontologique, sur la mort. Un regard mécanicien. Rien de très émotif, bien que certains scientifiques se passionnent pour les belles mécaniques. Beaucoup moins poétique en tout cas que le joli texte de Jennifer Kerner, qui utilise le regard descendant. Le philosophe se sert presqu’exclusivement du regard descendant. Pourquoi sommes-nous là ? Quelle signification a la vie ? Qu’est-ce que le temps ? Il est la seule épine empoisonnée à vrai dire dans le concept de finitude, car le temps passe. Ce regard et ces questions tombent du ciel, d’un esprit qui s’est divinisé et qui pensait, à sa naissance, avoir créé le Monde. Déception. Le Monde continue sans “Je”.
Pragmatique
Le regard descendant se morfond et s’agite sans rien entreprendre. Il m’empêche de démarrer le matin. Alors je le câline, le berce, le félicite pour les très belles choses qu’il écrit, lui assure que nous allons les porter de ce pas à l’éditeur pour qu’elles survivent à notre finitude et assurent notre existence éternelle. Et je démarre. Parce que j’ai ôté le frein du regard ascendant, de mon élan ontologique. Lui ne se pose aucune question. Il roule, aussi joyeux que le jour où il a réussi ses premiers pas. Je sors et contemple la montagne maquillée de rouge par l’aube. Elle m’écrase de sa majesté. Il y a peut-être une divinité. Mais ce n’est pas moi.
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