Une étape physiologique
La rébellion adolescente est une étape systématique parce que physiologique. Le remodelage hormonal provoque une poussée d’individuation. La délimitation entre le monde et soi est peu claire dans l’enfance, la puberté amenant une scission. L’adolescent est poussé à choisir et exprimer une identité personnelle. Le plus facile est de mimer celles de son groupe d’âge. Le résultat est donc plus facile à prévoir qu’on l’imagine, car la rébellion implique le rejet de la plupart des formes d’autorité mais va néanmoins prendre une forme précise ancrée dans la génération concernée.
Classiquement la rébellion se fait contre les parents, symboles autoritaires les plus proches et manifestes. Mais aujourd’hui les parents ont abandonné la plupart de leurs pouvoirs. L’éducation est extrêmement libre et respectueuse des désirs de l’enfant. Les seules contraintes imposées sont celles visant à sa propre sécurité. Les parents ont abandonné toute idée d’orientation professionnelle ou amoureuse pour leur rejeton. Il fera ce qu’il voudra. Il restera à la maison autant qu’il le souhaitera.
Sans cible, l’arc est bandé mou
Cet abandon de responsabilité offre quelques avantages aux parents : davantage de temps pour soi, moins de stress et de culpabilité. L’évolution des parents correspond aussi à une réalisation personnelle privilégiée aux dépens des tâches familiales, et une flemme quand les contraintes professionnelles sont trop épuisantes.
En se débarrassant de leur pouvoir, les parents ont ôté à l’adolescent la cible évidente qu’ils représentaient pour sa rébellion. Que peut-il choisir à présent ? Il faut chercher une autorité véritablement assez caricaturale pour s’énerver. Les professeurs ? Ils ont du s’adapter à la génération des enfants-rois et ont abandonné également la direction de la classe, devenue une micro-anarchie. Les grands problèmes sociaux et planétaires ? C’est intéressant de se rebeller contre l’inertie des systèmes mais l’adversaire est flou, insaisissable, et le militantisme reste une activité principalement virtuelle, groupiste plutôt qu’individualisante.
Rebondir sur un soi dégonflé
Reste soi, son propre corps. Les adolescents se rebellent contre leur propre corps à défaut d’autre chose. Ils rejettent leur sexe biologique, leur étouffante bonne santé, vantée par les adultes. Ils maigrissent au-delà du raisonnable, ou s’empiffrent, veulent changer de genre, s’auto-mutilent, jouent à des jeux potentiellement létaux. Rébellion contre la vie interminable et programmée qui s’annonce, un destin terriblement autoritaire.
Dans un monde où l’enfant est roi très tôt, plénipotentiaire de son monde intérieur, la rébellion adolescente ne peut plus concerner que soi, que sa propre existence telle que l’on a soi-même participé à programmer. On se rebelle contre ce que l’on est alors que personne ne nous a forcé à être ainsi. Comment rebondir sur un ballon aussi dégonflé pour se lancer dans la vie ?
Dès lors, les parents ont-ils vraiment fait un cadeau à leurs enfants en abandonnant leur pouvoir, alors qu’ils savent inévitable la nécessité d’une cible pour la rébellion adolescente ? Du fatalisme remplacé par la flemme, l’indifférence et la veulerie ?
*