Futur à deux visages
Ce livre est un Janus. Son visage séduisant est la sensibilisation au problème climatique, à peine romancé et accessible à tout lecteur. Son visage laid est la manière de le résoudre, qui ne vaut pas un clou. Pourquoi ? Robinson n’est pas conscient de ses postulats de départ et s’enfonce rapidement dans les incohérences. Comment deviner l’avenir et l’infléchir, quand le livre entier est fondé sur un présupposé courant mais intenable ? Ce postulat est celui de l’égalitarisme, au coeur du bien-pensant utilitariste anglo-saxon, mais qui a pourtant produit la société la plus inégalitaire au monde. Un tel paradoxe ne devrait-il pas interroger Robinson au moment de sauver la planète ? L’heure est urgente alors Robinson fonce, sans voir les gros sabots qu’il a chaussés et qui vont alourdir sa démarche.
L’apologie de la violence
Robinson fait feu de tout bois. Son livre mélange un florilège de genres: documentaire, thriller politique, syndrome de Stockholm, drame migratoire, expédition scientifique, romance improbable. Intérêt trop irrégulier pour des sujets si différents, ce qui pousse à sauter des chapitres entiers. On passe de l’ennui à la stupéfaction. Par exemple Robinson adoube franchement les terroristes climatiques, nouveaux “enfants de Kali”. Pas d’autre moyen de faire bouger les choses qu’assassiner les dirigeants du monde, abattre les avions, capturer et rééduquer les riches, découvre-t-on au fil des pages.
Robinson se garde bien d’aller directement à la tribune pour encourager la violence. Il revient par la porte de service, constatant que les actions meurtrières sont les seules à être suivies d’effets. On ne peut pas compter sur la responsabilisation des gens ! Mais, cher mister Robinson, les riches seraient-ils seuls concernés ? Le citoyen moyen est-il bien responsable ? Le déshérité est-il frugal volontairement ou parce qu’il n’a pas le choix et a des rêves de consommation encore pires que les autres ? Dans la réalité, les terroristes n’ont-ils pas le bilan carbone le plus lamentable au monde, en raison de leurs destructions, et des réparations qu’il faut effectuer ? Tout cela pour des actions qui échouent la plupart du temps ?
Manichéen, Robinson voudrait nous insensibiliser à la mort des “méchants”, les riches et au passage leurs familles et les victimes collatérales, puis nous émouvoir gravement du décès des “gentils”, les tueurs des précédents et et les opposants au laisser faire. Le Ministère du Futur, un nouveau film de Disney ?
Soupe acide
Tous les wokismes sont convoqués et mélangés dans une soupe infâme, sorte de fast-food écologique où les saveurs contradictoires sont gommées par un humour rapide. Quand le retour des animaux sauvages signifie aussi celui des prédateurs, Robinson règle le problème avec un bref trait d’esprit. « Les cerfs vont moins apprécier la réapparition des loups », remarque un protagoniste. Mais au fait la société humaine n’a-t-elle pas aussi ses proies et ses prédateurs ? La Nature serait-elle souverainement juste à un endroit et entièrement injuste à un autre ?
Robinson esquive le problème des chiffres de population humaine, signalant à titre d’anecdote que les dizaines de millions de morts survenus après les canicules, dans son roman, ont fortement contribué à la baisse du bilan carbone. Voilà qui ne colle ni avec le postulat de la Gentille Nature ni le Sacré de la vie humaine. Robinson passe son chemin, préférant continuer sa liste de wokismes héroïques alors que certains se combattent férocement à propos du nombre d’humains qu’il faut tolérer sur la planète.
Fin du capitalisme et retour au stalinisme
Le livre est bien documenté, c’est une certitude, mais on n’y trouvera aucune idée originale. Après avoir ingurgité les interminables énumérations de glaciers et d’espèces en danger, le lecteur ne voit rien sortir de cette douche de données. Aucune synthèse, pas d’agencement dans une théorie globale. Je m’attendais à mieux de l’auteur qui veut nous faire recoloniser la Terre après avoir raconté celle de Mars. Les auteurs de SF sont habituellement de bons nexialistes.
Le plan de Robinson est un fouillis tiré des manichéismes rebattus sur notre société. Anti-capitalisme primaire, focalisation sur les ultra-riches, vision rousseau-iste d’un humain fondamentalement bon et partageur, les modernes affranchis des erreurs du passé, etc… Robinson n’est pas historien et ne regarde que le futur. Sa pensée binaire conduit à des contradictions tout aussi courantes : libéralisme pourfendu en économie mais gardé sacré pour l’individu. Robinson imagine ainsi une bureaucratie pesante contrôler les affaires tandis que le citoyen ordinaire, lui, vivrait librement en régime anarchique. A-t-il oublié que c’était l’exacte ambition de l’ancienne Russie soviétique, qui a dégénéré en camp d’internement géant sous Staline ?
Égocentrisme égalitaire
Le postulat égalitariste de Robinson conduit la planète à un destin à deux options que l’un de ses personnages résume grossièrement ainsi : « Soit on s’en sort ensemble, soit on se tire ensemble une balle dans la tête ». Je ne sais pas s’il croit définir ainsi la solidarité, mais c’en est l’exact opposé. La vraie consiste à se sacrifier pour les autres. C’est à l’ego qu’il est insupportable de voir un sort meilleur que le sien.
L’égalitarisme, avec son équation 1=1 pour l’humain, calcule un résultat simpliste pour la planète : si elle ne peut supporter huit milliards d’habitants profitant de conditions de vie égales, il faut en supprimer la moitié —estimation citée en vitesse par Robinson. Encore un débouché remarquable de cette pseudo-solidarité wokiste et lunaire, qui n’hésite pas à se déclarer en parallèle adversaire de l’euthanasie volontaire.
Le livre a été traduit récemment en français mais écrit en 2020, avant la réélection de Trump. Le Futur semble déjà se moquer de Robinson avec le rejet populaire des wokismes, sur lesquels est fondée sa stratégie de sauvetage. Alors c’est fini ? Sommes-nous définitivement condamnés ? Bien sûr que non. Mais il faut arrêter de paralyser les esprits avec des données horrifiantes, sans la moindre solution pratique, alors que tous ont à gérer des problèmes plus quotidiens et urgents.
Bunkérisation du futur
Arrêtons les comparaisons stupides entre chaque recoin de la planète. Tous sont des éco-systèmes sociaux particuliers avec leurs difficultés spécifiques. Un problème local se règle dans un cercle local, tandis qu’il faut déléguer le reste à ceux qui font les meilleurs citoyens du monde, parce qu’ils en ont les moyens. Ces moyens ne s’acquièrent pas en lisant ‘Le Ministère du Futur’ mais avec des décennies de formation intellectuelle poussée et d’ouverture au consensus. Le wokisme, remarquons-le, est le chemin exactement inverse : formation minute et fermeture.
Robinson fait une seule prédiction juste : les décideurs s’enferment dans des bunkers pour tenter d’échapper à l’omniprésent terrorisme wokiste. Il réalise sa prédiction en faisant la même chose avec son livre : il enferme l’esprit dans le terrorisme wokiste, sauf que cette fois l’ennemi est à l’intérieur, ordonnant de liquider les banquiers, les riches, les PDG, les flics, les maires, tous les décideurs en fait. Présider devient contraire au bien-pensant.
L’humanité submergée survit comme des moules
Si nous avions une représentation efficace, nous serions dirigés par les esprits disposant des plus hauts moyens et non par ceux préoccupés de faire le spectacle, qu’il s’agisse des copies trumpistes de l’électeur ordinaire ou des influenceurs les yeux rivés à leur nombre de suiveurs. Le monde a-t-il le plus de chances d’être sauvé par les amuseurs publics qui font les yeux doux aux foules ou les bons gestionnaires qui cherchent les yeux perçants ?
Faire l’apologie du wokisme, comme s’y emploie Robinson, est-ce vraiment encourager l’envie d’appartenir à quelque chose de plus grand, ou flatter des egos accrochés à leurs idéalismes comme des moules à leur rocher ? Peut-être est-ce le premier signe de la montée des eaux. Nous devenons tous des moules…
Auteur de science-émotion
Robinson, en bon auteur de fiction populaire, veut sauver la planète en réveillant nos émotions. Erreur ! Les émotions sont aujourd’hui la plus grande cible du merchandising, manipulées par tous, et en particulier ceux qui prétendent le contraire. Trafiquées jusque dans les profondeurs de l’inconscient, ces humeurs, mais nous continuons en majorité à les penser justes, surtout les jeunes qui n’ont pas encore appris à s’en défier.
Nous faisons confiance à ce que nous ne voyons pas, à ces émotions aux floraisons vives dont les racines sont invisibles. Avant qu’une armée de consultants et de bots cherchent à en tirer profit, c’était plutôt un avantage, car une foule de choses nous restera toujours invisible. Nous n’y perdions aucune assurance. Mais aujourd’hui qui peut faire confiance à un inconscient manipulé dans l’ombre ? Les réseaux nous ont transformés en une bande de méfiants conspirationnistes.
Retraite empirique ou anti-pyrrhique
Reste la raison. La seule qui montre tout, même ses dessous. Qu’elle soit le seul acteur honnête de la conscience n’en fait pas la “j’ai-toujours-raison”. Des raisons sont plus bêtes que les autres, d’ailleurs constatez-le : vous ne mettez pas longtemps à en trouver une plus bête que la vôtre. Ce qui implique que la nôtre est également bête pour quelqu’un d’autre. Grande inégalité cachée dans l’égalité de bêtise !
La raison grandit et devient adulte en se collectivisant. Pas n’importe comment. Pas en faisant voter la foule pour la conduite à tenir. En collectivisant les meilleures compétences. En les hiérarchisant. Le vote le plus utile ? Celui qui s’abstient parce qu’il se juge dépourvu des compétences. Si nous étions vraiment collectifs, en train d’activer ce retrait honnêtement, ne resteraient que les véritables compétences.
À la fin du ‘Ministère du Futur’ le monde de Robinson est sauvé. Victoire à la Pyrrhus, où les pertes sont si lourdes qu’elles équivalent à une défaite. Et si nous essayions l’anti-pyrricisme, pour une victoire authentique ?
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