Un renouveau philosophique qui a fondé l’essor technologique
Le Siècle des Lumières est synonyme de renouveau philosophique. Ce XVIIIè vit l’essor du rationalisme et du libéralisme contre l’obscurantisme religieux et le conservatisme nobiliaire. Les Lumières sont celles que projettent les grands esprits sur le monde et la condition humaine. L’humanité se débarrasse d’interdits métaphysiques et ancestraux, affermit sa maîtrise de l’environnement. La révolution industrielle suivra bientôt.
Sous notre double regard, le bouleversement des Lumières a une direction téléologique / descendante. L’esprit cherche à modeler le monde. Il le faisait déjà avant ce siècle, mais sous la domination d’une autorité supérieure, biblique. Dieu dicte sa loi à l’être humain qui lui-même la transcrit à la matière. Avec les Lumières, l’esprit se dégage du joug théologique. Il devient seul maître à bord, avec un inconvénient : s’il fait naufrage, aucune intervention divine à espérer.
Remplacer Dieu
Souvenez-vous de cette extraordinaire tirade de l’inconnu (Dieu) à Freud dans Le Visiteur, d’E.E. Schmidt : « Jamais l’orgueil humain n’aura été si loin. Il fut un temps où l’orgueil humain se contentait de défier Dieu ; aujourd’hui, il le remplace. Il y a une part divine en l’homme ; c’est celle qui lui permet, désormais, de nier Dieu. Vous ne vous contentez pas à moins. Vous avez fait place nette : le monde n’est que le produit du hasard, un entêtement confus des molécules ! Et dans l’absence de tout maître, c’est vous qui désormais légiférez. Être le maître… ! Jamais cette folie ne vous prendra le front comme en ce siècle. Le maître de la nature : et vous souillerez la terre et noircirez les nuages ! Le maître de la matière : et vous ferez trembler le monde ! Le maître de la politique : et vous créerez le totalitarisme ! Le maître de la vie : et vous choisirez vos enfants sur catalogue ! Le maître de votre corps : et vous craindrez tellement la maladie et la mort que vous accepterez de subsister à n’importe quel prix, pas vivre mais survivre, anesthésiés, comme des légumes en serre ! Le maître de la morale : et vous penserez que ce sont les hommes qui inventent les lois, et qu’au fond tout se vaut, donc rien ne vaut ! Alors le Dieu sera l’argent, le seul qui subsiste, on lui construira des temples de partout dans les villes, et tout le monde pensera creux, désormais, dans l’absence de Dieu. »
Mais bon, dans ce dialogue, Dieu se présuppose. Les Lumières c’est subodorer qu’il n’y a jamais eu réellement d’intervention. Nous sommes vraiment seuls. Temps d’être adulte, de lâcher la main du papa très utile mais imaginaire que nous nous sommes inventés.
Le train fou
Pendant les deux siècles suivants, l’humanité accentue continuellement sa pression sur le monde. Elle est montée dans un train fou. Explosion démographique avec les progrès en agriculture et en santé, à peine ralentie par guerres et épidémies. Demande de confort croissant, toujours insatisfaite pour la majorité de la fourmilière. Sciences et technologie font naître des désirs nouveaux autant qu’ils assouvissent les désirs existants. L’activité frénétique finit par modifier de grands équilibres écologiques. Ayant voulu remplacer Dieu, l’humain va-t-il se retrouver écrasé sous le poids du colosse industriel qu’il a lui-même édifié ?
Cette crainte a fait son chemin. Les remèdes proposés divergent radicalement. Un courant voit une réponse technologique aux effets secondaires de la présence humaine. Un autre prône le retour à un mode de vie plus naturel. Naturel ? Les durs considèrent que la Nature s’est toujours mieux débrouillée que nous pour maintenir la vie sur cette planète et qu’il faut lui redonner la casquette de capitaine. Partisans d’une vraie régression technologique. Les modérés se contentent de réduire leur consommation et se limiter aux objets indispensables. Sobriété volontaire.
Un désir de régression sans précédent
Ce courant est un bouleversement plus profond encore que les Lumières. Il traduit un renoncement inédit pour l’humanité. Après avoir saisi le sceptre de la création des mains de Dieu, elle le rend à la Nature en espérant qu’elle fera mieux qu’elle. Inversion radicale du sens de la décision. Désormais il n’est plus téléologique (l’esprit s’efforce de dominer la matière) mais ontologique (l’esprit accepte d’être dominé par son environnement).
En ce sens que le XXIème risque d’être le Siècle des Obscurités. L’humain confie son destin à ses propres micromécanismes biologiques. « Je laisse mon corps et mon esprit vivre de la façon la moins coûteuse possible. On verra bien s’il survit ». Démarche inquiétante car elle n’a rien d’une organisation nouvelle. C’est seulement une désorganisation, une régression dans l’échelle de complexité sociale qui a permis à l’espèce de faire de si grands progrès. N’y a-t-il pas mieux à faire ?
Le mirage de la décroissance
Sobriété individuelle et technologies moins coûteuses pour l’environnement semble la meilleure synthèse entre les courants écolo et techno. Cependant, quel impact ont quelques dizaines de millions de possédants décidant de réduire leur consommation quand des centaines de millions n’attendent que l’occasion de consommer davantage, n’ayant jamais rien possédé ? Ils vont seulement perdre leur pouvoir et le transférer dans d’autres places. Quel impact ont ceux qui renoncent à concevoir des enfants pour une planète dévastée quand la plupart des humains ne savent toujours pas se perpétuer autrement qu’à travers une nombreuse progéniture ? Ils vont seulement modifier la cartographie génétique de l’espèce, en ôtant leurs caractéristiques.
L’efficacité réelle de ces choix individuels sur l’avenir de la planète est pour le moins discutable. C’est l’inconvénient de la démarche ontologique : elle ne contrôle rien. Elle rebat les cartes sans savoir quel jeu sortira. Démission de l’intention humaine et non transfert de pouvoir. Ce n’est pas offrir à nos enfants un meilleur avenir mais se livrer, avec eux, au hasard. Néant d’organisation.
Un écologisme en dépression
Ce renoncement, lui, n’est clairement pas naturel ! Une dépression masquée se devine derrière le courant écologique, matérialisée par les concepts de solastalgie (nostalgie d’un monde meilleur) et d’éco-dépression (à l’idée d’une future nature ravagée). Les conseils pour y faire face appellent aux notions de ‘dignité’, ‘refuge intérieur’, ‘faire son deuil’, hmm… partis de ‘sauver une planète’ nous voici réfugiés dans l’abri anti-catastrophe le plus minuscule qui soit : 1 cerveau parmi 7 milliards. Pas mieux ?
Bien sûr qu’il existe mieux. Ce cerveau, il faut commencer par en sortir. Se dire qu’il contient bien peu de données parmi toutes celles nécessaires à la résolution du problème. Transférer donc le pouvoir de l’esprit. Le mettre en réseau dans une société efficace. Société participative ? Oui, intelligemment. Pas en attribuant la même fraction de pouvoir à chacun. Tenir compte des connaissances démontrées, des aptitudes éprouvées. Nous ne devenons pas savants simplement en prenant une carte de bibliothèque. C’est pourtant l’idée que se font aujourd’hui la plupart des gens disposant d’une connexion internet.
Donner le pouvoir aux pragmatiques pour éviter le siècle de l’Obscurité
Sauver la planète est donner du pouvoir à l’intention de la sauver. Donner du pouvoir à une intention individuelle est la transmettre à un représentant du collectif. Donner du pouvoir à cet élu c’est le laisser choisir son propre représentant qui associera cette intention à celles déjà en place, pour la faire émerger plus haut. Et ainsi de suite tout au long de la hiérarchie humaine planétaire. Pour que l’intention fasse enfin irruption au sommet sans effondrer toute la structure existante. Pour que la hiérarchie s’enrichisse enfin d’un échelon supra-national, impératif pour la gestion planétaire.
Sauver n’est pas réunir son groupe mortuaire mais exercer concrètement son pouvoir en le transmettant là où il est efficace. Même s’il a l’insignifiance d’un vote. Car il est insignifiant du point de vue de l’individu-roi, mais terriblement signifiant pour le pouvoir collectif, qui n’existe pas sans chacun de ses atomes.
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