Médecins Maîtres-Toile
L’histoire date de 20 ans. Quelques médecins réunis en association, les médecins maîtres-toile (MMT), géraient les premiers sites perso dédiés à l’information des patients. Rhumatopratique, le mien, est bien sûr consacré aux os et aux articulations, coeur de ma spécialité. Mais la rhumatologie a des connexions étroites avec les autres disciplines, en particulier la neurologie et même la psychiatrie. La douleur est en effet l’un de ses maîtres-symptômes, et la personnalité influence beaucoup sa tolérance. Je me suis intéressé très tôt au psychisme et ses pathologies, bien avant d’avoir créé Stratium, la théorie de la personnalité.
J’ai publié il y a 20 ans un article sur la schizophrénie, prenant le contrepied d’une domination sans partage, à l’époque, des traitements neuroleptiques. C’est bien beau de ralentir la pétulance mentale de ces patients pour éviter les débordements, disais-je en substance, mais cela ne les aide guère à construire une meilleure complexité mentale. La maturation mentale est d’empiler des couches cognitives qui affinent les comportements au fil des évènements, des petits échecs et réussites qu’ils occasionnent. Elle est également bien ralentie.
Iconoclash !
Si le thérapeute freine le processus avec des drogues, il devrait veiller à compenser cet aspect indésirable par des stimulations psychologiques, les fameuses thérapies comportementales et cognitives (TCC). Probablement même les TCC peuvent-elles alléger, très progressivement, la dose de neuroleptiques. Moins assommé par son traitement, l’utilisateur est aussi plus compliant à le prendre régulièrement.
Voilà la teneur de l’article, pour moi du bon sens avec le double regard neuro/psycho que j’utilisais déjà. Néanmoins discours iconoclaste pour l’époque. La psychiatrie voyait arriver de nouvelles molécules vantées assidûment par l’industrie. Les vives attaques contre la psychanalyse faisaient tâche (de Rorschach bien sûr) sur le domaine entier des psychothérapies. La psychiatrie se biologisait radicalement, dans le sillage de l’école américaine et de son DMS-3.
Schizo-tsunami
Iconoclaste, c’est bien l’opinion qu’a eu Dominique Dupagne de mon article. Ce MMT est connu pour avoir lancé Atoute, un forum de discussion pour les patients sur leurs maladies. Il a sonné l’hallali dans la section ‘schizophrénie’. Atoute, c’était le wokisme avant l’invention du terme. En quelques heures, un déluge de commentaires scandalisés engorgeait la page de mon article.
Comment en vouloir à des patients affligés d’une pathologie instable ? J’ai appris quelques choses sur la schizophrénie en fait, en particulier qu’elle ne changeait rien aux profonds écarts d’intelligence entre humains. Les commentaires les plus benêts voisinaient avec des critiques réfléchies et même quelques soutiens… des plus cortiqués parmi les visiteurs, visiblement. J’ai répondu point par point aux critiques et me suis même amusé une fois à naviguer sur Atoute, où je constatai que le petit cercle du forum schizo s’encourageait à chercher une faille dans mon argumentation et tenter de planter la banderille qui me laisserait coi ! Ils revenaient ensuite avouer leur échec.
La parole qui soigne
Bien entendu avec une telle réception, mon article a eu l’effet plutôt inverse de celui escompté. Je n’ai pas lancé de révolution dans le traitement de la schizophrénie, et ai acquis une méfiance salutaire vis à vis des réseaux wokistes, devenus les mortels dragons d’aujourd’hui. Fin aussi de mes relations avec Dupagne, un bonhomme surestimant dramatiquement son intellect, travers assez courant dans la profession il faut l’avouer. Si j’exhume cette histoire aujourd’hui, c’est à cause des publications récentes sur le sujet, dont celle de Matthew M. Kurtz, un professeur de psychologie neurosciences et comportement de l’université Wesleyenne, dans le Connecticut. ‘Schizophrénie, la parole qui soigne’ titre Kurtz en vulgarisant son article pour Cerveau&Psycho. En exergue un peu plus loin: “Les médicaments ne soignent pas”.
La schizophrénie, dit Kurtz, comporte des symptômes hyper (hallucinations et délires) et hypo (ni motivation, ni émotion). Les médicaments calment les premiers, ne font rien sur les seconds (les accentuent, à mon avis). La discrimination sociale augmente le risque de crise psychotique. Les TCC sont efficaces pour sortir les patients de leur isolement. Pour guérir il faut parler, conclue Kurtz.
20 ans plus tard, mon article s’avère finalement précurseur. On peut dire qu’il n’a pas été diffusé Atoute allure…
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Cognitive remediation for schizophrenia : current status, biological correlates and predictors of response, M. M. Kurtz, Expert Rev. Neurother., 2012.