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Ascètes et sybarites
Nous voyons des personnes mener des vies monacales et d’autres sont de vrais sybarites, ne se refusant aucun plaisir. Les seconds sont-ils plus heureux que les premiers ? Nous détestons la réduction que la neuroscience applique à la question du bonheur. J’écoutais récemment Bruno Giuliani sur ‘Le bonheur avec Spinoza’. Quel enthousiasme dans ce pur regard philosophique ! Pourtant le bonheur y est également réduit… à l’impression qu’il procure. Le regard ne descend pas plus loin… que les mots véhiculant l’émotion. Une réduction par l’idéal qui rend le célèbre ouvrage d’une naïveté confondante aujourd’hui. Il scotchera encore un adolescent. C’est l’ancêtre des livres de coaching personnel, pourrait-on dire.
Comme la prose de Baruch Spinoza, tenons la neuroscience avec des pincettes : c’est du réductionnisme. Elle ramène le bonheur à des excitations dans les centres de la récompense. Il n’est pas que cela, merci tout de même à Baruch de nous avoir aussi bien décrit ses significations enchanteuses. C’étaient les siennes, pas celles de n’importe qui. Freud a aussi décrit les névroses d’un point de vue personnel. L’un comme l’autre, idéalistes, n’ont pas hésité à faire de leur intérieur un monde universel. Mais bonheur et névrose, en fait, sont propres à chacun, et personne n’éprouve la même chose dans sa conscience finale.
Vos neurones réclament du contraste!
À la définition neurale limitée du plaisir s’oppose le flou marqué de sa définition psychologique. Une certitude, pourtant : pas de phénomène plaisant sans sa fondation neurale. En appliquant cette évidence à notre question-titre, elle devient : Les coincés auraient-ils un centre de la récompense plus anesthésié que les jouisseurs ?
Ne pariez pas là-dessus. L’activité de ces neurones est indispensable à la santé mentale. Si elle fléchissait vraiment nous descendrions dans le puits de la dépression. Or trop de sérieux ne rend pas dépressif. Les circuits de récompense ne sont pas moins agités chez les ascètes que chez les sybarites. Car le plaisir, en tant que phénomène, est fondé sur le contraste. L’écart entre la chose plaisante et déplaisante, plus que la fréquence de chacune, fait l’intensité du plaisir.
Des fous et des maso
Ainsi pouvons-nous comprendre la curieuse attitude de certains proches, en situation prospère et qui décident soudainement d’un bouleversement risqué de leur vie. Pensez également à tous ces personnages célèbres, riches, adulés et environnés de plaisirs faciles, qui cherchent à plonger dans des plaisirs plus secrets, coupables, jusqu’à se suicider à petit feu. Ce dont ils souffrent est d’une langueur, d’un contraste affadi dans la récompense.
A-t-on vraiment le contrôle du contraste mis dans sa vie ? Qui se préoccupe d’y introduire le déplaisir aussi attentivement que le plaisir ? N’y a-t-il pas une accusation de masochisme qui traîne derrière toute idée de s’imposer quelque chose dont on n’a pas envie ? Quel intérêt à suivre ces flèches quand les envies sont des directions tellement plus gratifiantes ?
X réac et Y cool
Le petit enfant ne se pose même pas la question. Mais c’est assez stupéfiant de voir ce principe partagé par une quantité croissante d’adultes aujourd’hui. Une génération entière refuse globalement la contrainte. La génération X (40-60ans) n’a pas finir de mûrir, la Y (20-40) n’a pas commencé de grandir. D’un côté la planète meurt parce que les X n’ont pas réussi la synthèse de leur gestion, d’un autre côté les Y sont en train d’en faire un jardin d’enfants.
Mon but n’est pas de faire un article de vieux ronchon de plus. Comme beaucoup de paternalistes je me ravirais que mes enfants tirent plus de plaisir de l’existence que moi-même. Mais ce n’est pas le constat. Les Y se précipitent dans le plaisir immédiat, à crédit, parce qu’ils semblent persuadés qu’ils n’en trouveront pas d’autre. Ils vivent dans une atmosphère définitivement apocalyptique, entretenue avec soin par les médias de tous bords, ceux qui dénoncent et même ceux trouvant qu’on dénonce trop. Tout va mal ! Que des problèmes…
Plaisir du soliTaire
Le plaisir est vite pris, à peine terminé qu’on cherche le suivant, avec l’anxiété de le manquer. Il renforce plutôt qu’il apaise son besoin. Où pourrait s’insinuer le déplaisir dans une quête si frénétique ?L’angoisse est un barrage médiocre contre le malheur mais c’est un barrage quand même. Il empêche de ressentir la profondeur du déplaisir… et de rebondir. L’anxieux est incapable d’interrompre son angoisse pour établir un projet.
Le bonheur des Y élagué des contraintes auto-imposées semble plus fade et fugace que celui des X qui ne questionnaient pas leurs contraintes. Est-ce parce qu’il est plus égotiste ? Moins d’enfants sur la planète semble aller de pair avec moins de souci pour leur avenir. Ils n’en ont pas alors on n’engendre pas. Et seul le plaisir personnel à court terme importe à présent. L’affadissement est là. L’être humain est un mélange de soliTaire et de soliDaire. Si le T du soliTaire est isolé dans son plaisir, le D du soliDaire n’en prend aucun. Quand le T domine, il va jusqu’à trouver le plaisir à deux trop compliqué. Les Y font moins l’amour, et les Z ne le font plus.
La génération Y est aussi PC
Le plaisir PC ? Du Plaisir à Court terme, même plus à Crédit. Le crédit suppose qu’on le rembourse mais aujourd’hui on se comporte comme si aucun remboursement ne surviendra. Solastalgie et sinistrose envahissent les esprits. Le déclin occidental n’est pas économique. C’est l’effondrement du plaisir collectif, celui que nous étendions à l’éternité à venir, celui identifié au bonheur qui attend nos descendants. Dans le temps bien plus que dans l’espace, la nouvelle génération a rétréci son horizon, son Occident.
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