Intelligence

Multiplier les intelligences ne dit pas ce qui les unit

En réduisant la portée du QI pour apprécier l’intelligence, et en multipliant ses variétés, n’a-t-on pas aggravé l’opacité qui entoure le concept ? En effet, par quoi les différentes intelligences sont-elles réunies ? Si on les spécialise trop, ne doit-on pas déjà reconnaître que, dans certains domaines, les machines nous dépassent largement ?

Reste le facteur G, l’intelligence générale, survivant du concept unifié. Le facteur G prédit les résultats des tests d’aptitude mentale indépendamment de leur contenu. Sa réalité est discutée, certains en faisant un artefact statistique, au mépris de l’expérience quotidienne : nous discriminons aisément les dégourdis du bulbe et les idiots patentés, les premiers débrouillant remarquablement n’importe quel type de problème.

Une prise d’altitude

Mais tout ceci ne nous dit toujours pas ce qu’est l’intelligence. Nous voyons ses effets. Concentrons-nous sur ce qu’ils ont en commun. L’intelligence crée une distance entre des perceptions mentales et une synthèse. Scission entre deux niveaux d’information, données et représentation. Le moteur élémentaire de l’intelligence n’est pas une attitude mais une altitude sur les choses. Moteur indépendant du sujet traité.

S’il s’agit d’une altitude, pourquoi et comment varie-t-elle chez les individus ? Comment relier cette notion fonctionnelle à la physiologie neurale ? Notion qui nous renvoie à celle de conscience. Pas d’auto-observation de soi sans décollage d’un contingent de pensées par dessus les autres. La très sophistiquée conscience humaine n’apparaît que juchée sur une puissante intelligence générale. Le QI en est un médiocre indice, relatif à la moyenne chez l’humain. Il faut la mesurer comparativement à d’autres cerveaux animaux, de tailles et d’organisations différentes. Certains ont des centres spécialisés très supérieurs aux nôtres. Ce n’est donc pas cette spécialisation qui fait l’intelligence finale, mais le retraitement et l’intégration de leurs résultats dans des réseaux supplémentaires du cerveau.

Corrélations neurales

La quantité de neurones n’est pas un paramètre critique. Des cerveaux juvéniles atteints d’hydrocéphalie à pression normale contiennent à peine 10% du nombre habituel de neurones et pourtant développent une intelligence dans la moyenne. Les niveaux successifs de retraitement jouent le rôle prépondérant. Intelligence et conscience ne sont pas seulement des pensées qui en examinent d’autres. C’est un empilement répétitif et innombrable de ces plans de micro-consciences qui étend et épaissit le champ de l’intelligence. Tout en ralentissant le mental par rapport au simple réflexe. Penser bien n’est pas synonyme de penser vite.

Nous pouvons à présent rapporter l’intelligence à la hauteur de la pile conceptuelle prenant en charge une catégorie de perception pour la relier aux autres. Chaque type principal de données se voit attribuer une variété d’intelligence. Le facteur G est la facilité générale des réseaux neuraux à ajouter des niveaux supplémentaires. Cette capacité est modélisée par la théorie des graphes. Le symbolisme neural repose sur les sommets qu’ils occupent dans le graphe. Les graphes sont emboîtés en plusieurs étages d’information physiologiques, de la synapse au groupe neural synchrone.

L’intelligence est un principe indépendant de la nature des informations traitées

Des philosophes veulent l’associer à l’éthique, parce qu’il faudrait reconnaître la présence des autres et du monde pour trouver la distance nécessaire à l’intelligence. Certes. Mais cette reconnaissance débute bien avant l’émergence des concepts sociaux et moraux. Elle se trouve dans les afférences sensorielles, déjà séparées en corporelles intrinsèques et extrinsèques. Faire de l’éthique un géniteur de l’intelligence est anthropocentré et réducteur. Les psychopathes développent une intelligence aiguë malgré un sens moral atrophié. Cette carence n’empêche pas de modéliser le comportement des autres et les manipuler.

Une faculté plus importante que l’éthique à différencier au sein de l’intelligence est la décision. En effet l’élévation de l’intelligence signifie l’intégration de données en provenance de multiples horizons. La tâche est difficile quand elles sont qualitativement éloignées. Peser ensemble sentiments, raisons, finances ? Comment soustraire des lettres aux chiffres ? L’hésitation gagne et s’éternise. Ameuter les données ne suffit pas ; il faut les classer et les hiérarchiser. L’expérience trace des autoroutes neurologiques et accélère la décision. Mais l’enferme secondairement dans des stéréotypes peu élastiques. La musculation mentale s’entretient par l’afflux constant de nouvelles données qui refusent d’emprunter les trajets habituels.

L’intelligence se partage-t-elle ?

Pas dans le simple échange d’un mème, configuration de données mémorisée à l’identique. Le tissage mental qui l’a généré doit être transféré. Partie de pile conceptuelle, qui peut être accueillie si les fondations sont déjà présentes dans l’esprit hôte. L’intelligence se partage aisément entre esprits élevés de manière voisine, difficilement pour ceux partis sur d’autres bases ou n’en disposant pas.

Mais le facteur G permet de construire ou reconstruire. La compréhension de ses déterminants physiologiques, dans notre futur, fera accéder enfin à l’expertise les esprits qui croient la posséder déjà.

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