Cinq preuves de l’existence de Dieu?

Vous cherchiez une preuve formelle de l’existence de Dieu ? Edward Feser en a répertorié cinq, vous dispensant de chercher un petit miracle pour conforter votre foi. Que vaut son livre ? Devez-vous enfin basculer dans la grande famille théiste de l’Humanité, vilain athée que vous êtes ? Voyons la démonstration de plus près.

Sommaire

1ère partie: les preuves

1) La preuve aristotélicienne

Le monde change. Le changement est l’actualisation d’un potentiel. Mais aucun potentiel ne pourrait être actualisé sans que quelque chose puisse actualiser sans être actualisé lui-même. Aristote appelle Dieu “l’actualiseur purement actuel” ou le “Bougeur Immobile”.

2) La preuve néo-platonicienne

Les choses dans notre expérience sont composites, faites de parties. La cause ultime de telles choses ne peut être qu’absolument simple, non-composite, ce que Plotin appelle “l’Un”.

3) La preuve augustinienne

Les universels (sensation du rouge, humanité, triangularité etc), propositions, possibilités et autres abstractions sont réels en un sens, mais pas celui de ‘troisième royaume’ distinct de l’esprit et des choses matérielles comme le conçoit Platon. Le seul terrain possible pour de tels phénomènes est l’intellect divin —l’esprit de Dieu.

4) La preuve thomiste

Pour toute chose contingente dans notre expérience il existe une distinction réelle entre son essence (ce qu’est la chose) et son existence (le fait qu’elle soit). Or rien de ce en quoi se trouve une telle distinction ne pourrait exister un instant sans être causé par quelque chose dans laquelle il n’y a pas cette distinction, quelque chose pour laquelle l’essence est seulement l’existence, sans avoir besoin de la recevoir, quelque chose qui n’est pas causé.

5) La preuve rationaliste

Elle défend le Principe de Raison Suffisante (PRS) : tout ce qui est intelligible a une explication pour le fait d’exister et d’avoir tels attributs. Mais aucune des choses contingentes de notre expérience ne peut avoir d’explication sans qu’il y ait un être nécessaire, dont l’existence est expliquée par sa propre nature.

6) Principes complémentaires

Edward Feser complète les 5 preuves avec quelques principes :

Principe de la causalité proportionnée: Tout ce qui est dans un effet doit préexister d’une certaine façon dans sa cause.

Principe d’un Dieu unique et identique: Les 5 preuves convergent vers le même Dieu, dont les attributs sont la simplicité, immutabilité, immatérialité, incorporalité, éternité, nécessité, omnipotence, omniscience, bonté parfaite, volonté, amour, et incompréhensiblité.

Principe de la conservation divine: Le monde ne pourrait existe un instant si Dieu ne le soutenait pas continuellement en étant.

Principe de la divine contribution: Aucune chose créée ne pourrait avoir d’efficacité causale si Dieu ne lui insufflait pas le pouvoir à chaque instant où elle agit.

2ème partie: les failles

Le problème, quand on cherche les preuves de quelque chose d’incommensurablement supérieur à soi, est parvenir à s’extraire de soi, c’est-à-dire des postulats sur lesquels fonctionne notre esprit. Pire, c’est encore plus difficile d’imaginer une méthode qui permette l’extraction et vérifier qu’elle a bien eu lieu. Edward Feser a-t-il entrepris cette démarche ? A-t-il envisagé de se déposséder de son propre esprit ? Je n’en ai pas trouvé de trace dans le livre.

Premier symptôme d’enfermement : aucune définition de Dieu, principal sujet du livre. Manifestation d’humilité chez Feser ? Ce n’est pas trop son style. Au contraire il semble que sa définition personnelle soit assez universelle pour ne pas nécessiter une clarification. Dommage. Ce sont toujours des individus qui en discutent. Nous sommes auteurs d’une représentation de Dieu, et non propriétaires de son être. L’auteur est endoctriné par une formation où Dieu a pris place ou non, sous forme de tyran ou de libérateur. Ma vision personnelle n’a rien à voir avec celle de Feser mais c’est la sienne que je vais commenter.

Dans les postulats de Feser je remarque immédiatement une vision archaïque du temps. Peut-être en a-t-il une plus récente que les penseurs classiques auxquels il se réfère, mais il n’en fait pas mention. Très embêtant. Toutes les preuves se présentent dans un cadre sommaire vu l’importance du sujet. Le temps est renvoyé à l’arrière-plan, élément de décor. Aucune différence n’est fait entre séquence d’information, déroulement du temps, flèche du temps. Or toute notion de causalité repose sur la fondation temporelle. Une grande partie du vocabulaire de Feser (instant, préexistence, changement, actualisation etc) relève de postulats dissimulés.

Actualisons Aristote

Pour la ‘preuve aristotélicienne’, l’écart d’actualisation entre les choses est déjà considérable sans faire intervenir un Dieu qui ne s’actualise pas. Une vie humaine est infime par rapport à celle d’un proton. Tandis qu’un univers d’évènements se déroule pour le proton dans l’espace d’une vie humaine. Échelles de temps abyssalement étrangères l’une à l’autre. Dieu, quel Tout est-il ? Celui de toutes les particules ? De tous les humains ? Comment ces choses fusionnent-elles en Dieu ? On ne sait pas dire comment elles fusionnent en l’humain. Ce que je ne sais pas dire, moi, c’est si voir en soi la preuve d’une divinité relève de la plus terrible fatuité ou de la plus dramatique insécurité.

Ma propre fatuité me pousse à penser que je suis un Dieu pour le proton, grâce aux accélérateurs que mes congénères ont conçu pour le faire exploser. Maigre consolation. Le Créateur est bien éphémère face à sa créature.

Décomposons Plotin

“L’Un” semble épouser le “rien” d’un amour platonique. Monotonie effrayante. Qu’est-ce qui peut agiter un Tout ultimement simple ? Que devient une individuation dans ce Tout ? Un principe plus séduisant que “l’Un” est “le Conflit”. Conflit entre l’individuation et le Tout, précisément. Qu’un tel conflit ne meure jamais et se déroule l’univers que nous avons sous les yeux, multiforme, alternativement bon et mauvais, jamais stabilisé, donnant les plus grands bonheurs dans les contrastes avec le malheur, et je m’inquiéterais du tout bon autant que du tout mauvais.

Notons que Feser est de mauvaise foi avec son principe d’un Dieu ‘carrefour’ auquel mènent toutes les routes. Les “preuves” aboutissent chez d’autres auteurs à des versions cabalistiques de Dieu nettement plus réalistes pour le monde contemporain.

Unifions Augustin

Situer les phénomènes tels que la sensation de rouge dans l’esprit divin n’est pas traverser le fossé du dualisme. C’est seulement rendre un peu plus inaccessible le problème corps-esprit alors qu’il est sans doute à notre portée. Feser s’inquiète probablement de la capture éventuelle de l’âme par les neuroscientifiques. La rupture d’une minuscule dendrite ou la stimulation électromagnétique d’un neurone peut suffire à la modifier. Le théiste n’a plus le choix : pour sauver l’âme il faut la rendre à nouveau incommensurable, parcelle de divin. Mais je croyais que le divin n’avait pas de parties ?

Félicitons Thomas d’Aquin

pour sa distinction entre l’être et l’essence d’une chose. Mais est-il forcément besoin d’un principe extérieur à la chose pour qu’elle se distingue ainsi ? Le structuralisme voit aujourd’hui toute chose comme deux côtés d’une même pièce de monnaie : sa constitution et ses propriétés fusionnelles. Entre les deux existe une indépendance relative et pourtant c’est une chose unique. Les choses s’auto-créent, s’associent pour former des choses plus complexes. S’il existe un principe divin nous pourrions l’appeler ‘auto-organisation’. C’est d’ailleurs ce qui nous différencie, humains, des intelligences artificielles : celles-ci ont encore besoin de leur créateur. Pas nous.

Conservons le rationalisme

Le Principe de Raison Suffisante défend l’existence d’une explication, mais pourquoi un être auto-expliqué serait-il nécessaire ? Certaines séquences d’information sont circulaires. Dieu pourrait être une vaste boucle d’états de l’univers, parcourue par des pics de complexité, humains se demandant pourquoi ils sont là. Sans que la boucle elle-même ait de telles pensées. N’oublions pas que le rationalisme découvre aussi des biais cognitifs, dont un appétit inextinguible pour l’explication. Le cerveau n’hésite pas à l’inventer même en l’absence de toute donnée. L’Alzheimer affabule à longueur de journée pour combler les vides de son esprit. Quand deux hémisphères du cerveau sont séparés, le gauche langagier prononce une explication pour le comportement du droit, parfaitement sincère, alors qu’il découvre ces agissements en même temps qu’un observateur extérieur.

Méfions-nous de la Raison Suffisante qui se propose même quand elle n’est pas convoquée…

3ème partie: Feser défend la théologie naturelle

Dans son 7ème chapitre, Feser répond aux critiques de la théologie naturelle, critiques qu’il tient en piètre estime : « Il est clair qu’aucune objection aux arguments défendus dans ce livre ne rencontre le succès, et même que les objections les plus communes sont incroyablement faibles et surestimées. »

“Qu’est-ce qui cause Dieu ?”

Edward n’a pas tort pour la première objection : « Si tout a une cause, qu’est-ce qui cause Dieu ? ». Effectivement c’est une question réductionniste qui méconnaît le principe divin —rien n’existe en dehors de lui donc la cause ne s’applique pas. Mais l’incompréhension vient d’un défaut qui touche Feser lui aussi : chacun ayant sa définition de Dieu il faudrait qu’auteur et lecteurs se mettent d’accord sur l’endroit où l’on arrive avant de discuter des chemins.

“Pourquoi tout aurait-il une cause ?”

Voilà l’argument précédent à l’envers. Cette fois l’athée veut sortir l’univers des griffes de Dieu en supposant qu’il n’a pas de cause ou qu’il est survenu “par hasard”. Même remarque que précédemment : sans définir précisément le terme ‘Dieu’, l’athée peut en faire un synonyme de ‘vide quantique’, ‘Big Bang’ ou ‘hasard’. Même lessivés de tout sacrement divin, ces termes n’en gardent pas moins une intention : ils renferment des principes ou lois naturelles source de leurs transformations.

“Pourquoi assumer que l’univers a un début ou que la régression des causes se termine?”

Edward se débarrasse facilement de cet argument puisque Dieu n’ayant ni début ni fin, il peut parfaitement englober quelque chose du même type. Les mathématiciens, athées en majorité, ont déjà tranché le sujet en déclarant qu’un infini peut être plus grand qu’un autre. Là encore, flou sur Dieu ; ce n’est pas le Dieu biblique ayant terminé la création en 7 jours il y a 6 000 ans que défend Feser.

“Les arguments de ‘Cause Première’ commettent l’erreur de composition”

Discussion sans issue entre les compositionnistes, qui partent des éléments pour aboutir au tout, et les holistes, qui partent du tout pour créer les éléments. Aucun vainqueur ne peut sortir d’un affrontement entre des choses qui ne se définissent que l’une par rapport à l’autre. Chacun accuse son adversaire “d’erreur de composition” des éléments vers le Tout ou l’inverse. Stérile.

“Même s’il existait une cause première, aucune raison de penser qu’elle soit omnipotente, omnisciente, d’une bonté parfaite et ainsi de suite”

Feser profite que la question est présentée sous forme de package anthropomorphique pour répondre avec un package du même type : « vous prenez tout ou rien ». Si l’on défait le package, certains attributs continuent à tenir debout (Dieu, tout comme des lois fondamentales, est omnipotent), d’autres s’effondrent (quelle universalité peut avoir ‘bonté’ en dehors de la conscience individuelle?).

“Même si la cause première omni-omni est prouvée, cela ne veut pas dire que Dieu a envoyé ses prophètes, inspiré la Bible et ainsi de suite”

Edward répond à juste titre qu’il défend l’existence de Dieu, pas de son service marketing (sa réponse est moins ironique). Bon, c’est quand même difficile pour quelqu’un qui a baigné continuellement dans la société du spectacle d’affirmer qu’il existe quelque chose de vrai derrière le spectacle. Les délégués médicaux sont très sincères eux aussi quand ils me présentent leurs produits, convaincus que leur laboratoire est l’image de la ‘bonté parfaite’ envers les malades.

“L’argument cosmologique propose un ‘Dieu des trous’, défauts du savoir qui sont ou seront mieux expliqués par la théorie scientifique naturaliste”

Voilà Dieu réduit à une ‘médecine alternative’, occupant le terrain provisoirement abandonné par la médecine officielle ! Feser proteste à juste titre que ses ‘preuves’ sont globales et non ajustées aux failles de la science. Cependant il n’arrive pas à rendre son Dieu nécessaire à la science naturaliste. Au contraire elle s’en passe très bien. La bonne objection à lui faire est d’espérer une théorie qui englobe Dieu et la science dans un holisme supérieur au sien.

“La science est la seule source authentique de savoir et nos meilleures théories scientifiques ne font aucune référence à Dieu”

Piteux scientisme, doit-on commenter dans la foulée d’Edward. Les athées radicaux sont aussi aveugles que les théistes, dans leur désir vain de tout expliquer sans référence à l’autre. Je fais remarquer à plusieurs reprises sur ce blog que les scientistes, en se référant aux ‘forces fondamentales’, ont simplement ouvert le tabernacle et remplacé les tables des lois par d’autres. Celles-ci n’expliquent en rien le plus direct des phénomènes éprouvés : la conscience.

“La réalité de la souffrance et d’autres manifestations du mal montrent que Dieu n’existe pas”

Aïe, là vous n’êtes pas bon du tout dans vos dénégations, Mr Feser. Vous me rappelez les avocats, qui passent leur temps à justifier leur rôle de défenseur autant qu’à défendre les indéfendables. Sans jamais convaincre. Et pour cause. Qui devrait croupir en prison alors qu’il est acquitté, ou l’inverse ? Qui devrait aller en Enfer alors qu’il est au Paradis, ou l’inverse ? Feser s’emmêle le stylo, commence à mettre des limites à l’omnipotence : « Même Dieu ne peut pas faire un carré circulaire, ou que deux et deux égale cinq ». Mais alors, si Dieu est soumis comme l’univers aux lois mathématiques, il n’est pas Tout, n’est-ce pas ? Scoop : une tribu aborigène a réussi en Australie le miracle inaccessible à Dieu. Ses membres comptent ‘deux et deux égale cinq’. Ils prennent deux cordelettes porteuses chacun de deux noeuds, les attachent ensemble avec un noeud supplémentaire, ce qui fait cinq en tout…

Feser se voit contraint de reconnaître qu’il faut du mal pour faire du bon, donc le Tout est nettement plus contrasté qu’une ‘bonté parfaite’. Il tente de s’en sortir avec l’argument théiste classique du libre-arbitre, tombant à son tour dans le piège du ‘Dieu des trous’. Il cherche à sauver une théorie globale première avec des principes individualistes.

“Si Dieu existait vraiment, il ne nous serait pas caché, son existence serait évidente à tous”

Edward Feser se contente de répondre que rien n’indique que Dieu s’intéressât à nous. Le débat finit en queue de poisson, sur ce mélange de bonnes répliques et de contradictions, ce qui fait comprendre a posteriori la péremptoire introduction de Feser sur « les arguments contre [son] livre qui ne rencontrent aucun succès ». C’est dommage car les 5 preuves sont bien présentées et forment une excellente base pour quiconque voudrait se lancer dans une théorie générale de la réalité qui échappe à la réduction scientiste.

Si vous avez la flemme de vous lancer, alors malheureusement vous aurez aussi celle de lire les 800 pages de Surimposium, qui recrée la notion de Dieu sans besoin de preuves, simplement en introduisant la complexité comme dimension fondamentale de la réalité, aux extrémités inconnaissables. Le dualisme est remplacé par le franchissement d’une multitude de niveaux de réalité matériels puis virtuels, chacun en charge de son propre cadre spatio-temporel. Chaque âme est sauvée… dans son propre univers. Et lorsque nous les fusionnons, à l’oral, à l’écrit, et bientôt sous forme numérique, certainement faisons-nous réellement un pas vers le divin complexe.

La véritable simplicité du divin

Le divin simple, lui, se trouve au pied de la complexité. Cette affirmation permet de répondre facilement à la dernière critique citée, que “l’existence de Dieu devrait être évidente à tous”. Elle l’est, par le fait que nous éprouvons tous notre constitution physique et mentale. Si Dieu est en nous, laissons la science continuer à le révéler et détailler comment il se débrouille pour nous animer. Jusqu’à présent la science a bien mieux réussi à remonter à notre divine origine que n’importe quelle religion ou penseur classique, n’est-ce pas ?

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Five proofs of the existence of God, Edward Feser, 2017

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