Sur le pluralisme des méthodes

À l’assaut de la cognition causale

Lara Kirfel et Tobias Gerstenberg soutiennent le pluralisme des méthodes pour étudier la cognition causale. Ils citent Feyerabend :

« Si nous voulons comprendre la nature, si nous voulons maîtriser notre environnement physique, nous devons utiliser toutes les idées, toutes les méthodes, et pas seulement une petite sélection d’entre elles. » Paul Feyerabend, Contre la méthode, 1975

C’est l’excellente proposition du “nuage d’erreurs” lancé comme un filet sur la réalité d’une chose de manière à la capturer. Le pêcheur ne sait pas exactement ce qu’il a pris, mais au moins a-t-il la certitude que sa proie est à l’intérieur.

Ne laissons pas échapper la proie

Affinons néanmoins cette théorie. Certaines méthodes sont moins approximatives que d’autres. Peut-être l’une d’elles indique-t-elle la nature de la chose avec la meilleure précision possible ? Alors prendre en compte ses concurrentes nous en éloigne. À l’inverse une méthode un peu fantasque veut nous faire croire que la chose est ailleurs, que nous n’avons rien capturé ? Nous regardons d’un autre côté, et pendant ce temps, la chose s’échappe. Nous la confondons désormais avec un double illusoire créé par la méthode fantasque.

La précision est l’apanage des modélisations mathématiques, tandis que le fantasque est celui des dualismes ésotériques. En matière de progrès des connaissances, c’est généralement la précision scientifique qui fait la compétence du chercheur, et le fantasque est son aiguillon. Impossible de mettre ces méthodes au même rang. Ici parler de pluralisme est de l’irénisme.

Un pluralisme archaïque

Le pluralisme était la forme exclusive de la connaissance humaine à ses débuts. Impossible de la communiquer ! Chaque esprit se reposait sur sa propre expérience. Le langage fit bondir notre réussite. Chacun peut à présent partager sa méthode, la soumettre à une sélection naturelle. Seules les plus efficaces demeurent.

Elles ne sont pas forcément concurrentes. Certaines sont plus fondamentales que d’autres. Les principes de causalité antérograde et rétrograde sont inféodés à la causalité tout court, et non en concurrence avec elle. Les succès du pluralisme démontrent surtout que nous ne possédons pas de méthode universelle, alors qu’il en existe peut-être une, ou au moins un fil hiérarchique.

Nuage d’erreurs… humaines

Sans méthode universelle nous sommes contraints de sectionner des pans de la réalité pour leur appliquer une méthode dédiée. Méthodes moins ambitieuses et pourtant aux ambitions parfois démesurées… dans les mains de leurs créateurs. Les erreurs humaines sont-elles la principale justification à rester pluraliste, davantage que les erreurs des méthodes ?

L’excès de pluralisme aussi est une dérive humaine. Très contemporaine. Le wokisme en matière de méthode nous ramène aux premiers âges de l’espèce humaine, à une sorte d’animisme de la connaissance. En élargissant le nuage d’erreurs, chacun peut situer son centre où cela lui plaît.

Et la cognition ?

Le pluralisme des idées et des méthodes est une production de la cognition. Pas son mécanisme. En multipliant les méthodes nous pouvons comprendre la richesse du phénomène ‘cognition’. Mais si nous voulons savoir sa cause, il faut préciser “la” méthode que la cognition utilise elle-même pour se constituer.

Pourtant Kirfel et Gerstenberg rapportent que les cognitivistes sont impuissants à trouver une méthode unique, qu’ils constatent plusieurs modes de cognition. Que faut-il conclure ? La cognition pose le même problème que la Nature pour Feyerabend : les méthodes se multiplient et s’affrontent dans un contexte d’impuissance à en trouver une plus transcendantale. Ce qui n’est pas une preuve de son inexistence. Le pluralisme est une stratégie d’attente, un pragmatisme qui n’a pas vocation à être lui-même transcendantal…

*

Anything goes! From a pluralism of methods towards a unified theory of causal cognition, Lara Kirfel and Tobias Gerstenberg, 2022

Laisser un commentaire