Abstract: La xénophobie vient d’un débordement des cercles protecteurs dans des populations devenues trop hétérogènes culturellement. La pensée horizontale, qui voit les blocs culturels comme concurrents, est impuissante à gérer l’extension d’une nation. Seule la pensée verticale, fondée sur la hiérarchisation personnelle, en est capable. Elle doit être soutenue non pas par un idéal égalitariste borné mais au contraire par une hiérarchisation sociale poussée qui protège les cercles identitaires. C’est à partir d’une identité renforcée que l’esprit peut s’étendre. Tandis que l’égalitarisme anonymise l’individu et réveille sa xénophobie. Son côté soliTaire négligé se révolte. Il refuse d’appartenir à autre chose que son propre intérêt égotiste. Le saccage des cercles identitaires a effondré le sentiment soliDaire. La soliDarité est aujourd’hui rendue forcée, et l’individu ne cherche qu’à récupérer la part d’effort qui semble lui avoir été arrachée.
Les cultures en bloc
La poussée contemporaine de xénophobie n’est pas liée à une réduction de l’empathie dans l’espèce humaine, concluais-je dans l’article précédent. Le désir d’appartenance —le D du soliDaire— est inscrit génétiquement comme celui d’individuation —le T du soliTaire. D’où vient la montée de xénophobie dans ce cas ? D’un débordement des barrières protectrices dans des populations devenues trop hétérogènes culturellement. Vous connaissez bien la pensée horizontale classique : elle nous souffle que les cultures sont adversaires. Ce sont des blocs concurrents qui cherchent à s’absorber et s’éliminer. Quand un bloc domine largement les autres, pas de réelle menace pour lui. La concurrence n’est pas suffisante pour exacerber l’ostracisme. Il reste au stade de la moquerie, des blagues raciales. À mesure que les blocs culturels mineurs se musclent et affichent leur identité, cependant, la xénophobie s’éveille inévitablement dans le bloc principal.
Pour cette raison, la pensée horizontale est impuissante à gérer les nations pluri-ethniques. Ce mode de pensée fonctionne correctement pour la tribu ou n’importe quel groupe culturellement très homogène, dont tous les membres adhèrent aux règles et partagent sa gestion. Il peut accepter un nombre limité de cercles sociaux supplémentaires si le groupe principal en garde le contrôle. Mais il échoue à traiter l’immense multiplication de complexité de nos nations occidentales actuelles.
Le glissement vers la haine signée
Sans éducation à la pensée verticale, nos concitoyens sont contraints de se replier sur l’univers qu’ils connaissent bien, leurs cercles proches, et les défendre contre les “étrangers”, désormais trop nombreux et divers pour être intégrés. Xénophobie protectrice, impérative. L’essor des populismes ne provient donc ni d’une perte d’empathie ni plus généralement de la dégradation des valeurs humaines. C’est la simple conséquence de l’extension de la population, avec de nouveaux cercles sociaux qui se juxtaposent aux existants sans leur être intégrés, menaçant l’unité collective. Ceux qui pâtissent de cette concurrence forcée ne sont pas ceux qui l’ont décidée, accentuant la rancoeur vis à vis de la hiérarchie. L’idéaliste est à l’abri dans ses beaux quartiers.
Le défaut d’intégration est accentué plutôt que dilué par les réseaux sociaux, car le groupisme y est encore plus accentué. Le net entraîne une multiplication brutale des petits cercles identitaires incompatibles les uns avec les autres. L’anonymat a d’abord amplifié les coups de gueule et dévasté les espaces d’échange. Mais le pire est qu’il fait place maintenant à une haine signée. L’anonyme restait dans l’ombre parce qu’il avait encore conscience du pouvoir régulateur du collectif. Celui qui se montre ne lui en accorde plus aucun. Il ne croit plus qu’en l’individu.
Des rois plus proches de leurs serfs…
Dans une société qui s’étend, une hiérarchie doit s’étager en proportion, pour rester inclusive. Mais elle est restée trop brève, trop horizontale. On s’est contenté d’ajouter des édiles, pas de les hiérarchiser davantage. Paradoxalement nos décisionnaires si proches apparaissent lointains, parce qu’ils surmontent une foule immense qui nous ressemble de moins en moins. Ils semblent complètement déconnectés de nos cercles privés, de nos intérêts personnels. Forcément, puisque ceux-ci sont noyés dans une masse informe et sans limites. Les rois des siècles passés, malgré l’élitisme et le dogmatisme dont ils faisaient preuves, étaient plus proches de leurs serfs que les présidents sont proches de leurs électeurs aujourd’hui.
Les intérêts les plus visibles dans la hiérarchie sont ceux des cercles les plus élevés, inaccessibles. Industriels, ultra-riches, despotes, banques, multinationales, fonds de pension, plus des cercles occultes prêtés aux personnages influents, préoccupés seulement d’écraser la piétaille populaire. Qui est conspirationniste aujourd’hui ? Quelqu’un qui a perdu son identité et se demande qui a bien pu la voler.
La nécessité d’un raffermissement identitaire
Où cet article nous conduit-il ? À l’inévitabilité de la xénophobie, directement issu du mode de pensée tribal. Impossible d’échapper à nos mécanismes archaïques de pensée. Plus les congénères s’accumulent plus notre part soliTaire est étouffée. L’erreur est de les déclarer identiques à nous, égaux par nature. L’étouffement de l’individu s’accentue. Il est noyé dans un océan infini où sa tête émerge à peine. Seule une ré-hiérarchisation des cercles autour de lui peut recréer une structure ferme où son identité sera capable de se réinstaller. Déclarons-nous différents, très différents de nos congénères ! Halte au clonage imposé par les idéaux égalitaires !
Ce raffermissement identitaire est un préalable obligatoire à la rénovation du collectivisme. En effet, seule une part soliTaire comblée peut laisser notre part soliDaire s’exprimer et s’étendre. L’individu frustré n’est pas dépourvu d’empathie, il l’empêche de filtrer. L’intérêt pour les autres ne peut démarrer que d’une base solide, assainie, d’un individu réinséré dans sa société.
Pas de solidarité sans assurance
C’est en identifiant parfaitement notre T, notre noyau d’identité personnelle, que nous pouvons générer des idées saines à propos du collectif. Aujourd’hui, avec un T laminé, les deux aspects de notre personnalité sont mélangés, produisant une infâme soupe de solidarité égoïste, vague et évanescente, ballotée par les circonstances. On se croit soucieux des autres alors qu’on se sent bien trop négligé soi-même pour l’être vraiment. On en vient à monnayer son empathie en attendant un remboursement immédiat, sinon on a l’impression de la disperser en pure perte. Est-ce donc cela, le sentiment collectiviste ? Est-ce cela, le don de soi ?
L’exemple du travail bénévole
La fleur consciente du collectivisme est flétrie. Elle a déserté notre jardin quotidien. Nous n’avons plus de ses bouquets à offrir. Ne restent plus que ses racines, dans notre intuition. Je vais prendre en exemple la question de la reconnaissance des tâches domestiques et bénévoles comme travail à part entière.
Pourquoi avons-nous l’intuition qu’il serait mal venu de rémunérer l’empathie, l’amour et la charité, alors qu’un travail obligatoire mérite salaire ? Aujourd’hui en effet, certains proposent de rémunérer le parent qui élève ses enfants, le charitable qui secoure les démunis, le logeur qui accepte d’héberger un sans-abri. Mais nous sentons qu’il y a un « hic », par rapport aux tâches classiquement monnayées.
L’argent est une valeur individualiste
L’argent est une valeur d’échange, et l’échange n’a de sens qu’entre individus, qu’entre personnes indépendantes. Ce sont les T en nous qui échangent des services ; nos parts soliTaires fournissent contre salaire un travail qu’elles n’auraient pas exécuté spontanément. Si vous cultivez un jardin pour vous nourrir, vous ne recevez rien, contrairement au fait de vendre une production dont vous n’avez pas l’utilité vous-même. Le travail soliTaire procure du pouvoir au T au sein du collectif, d’une manière qui doit être mesurable. C’est le rôle de l’argent.
Tandis que les actes solidaires et charitables viennent du D, de la part soliDaire qui nous relie aux autres. L’intuition du « hic » est juste : l’échange n’a aucun sens entre des parts soliDaires puisqu’elles sont fusionnées ; elles sont par définition une seule chose répartie entre tous. Le don de l’une n’a pas à être compensé par le dû de l’autre. Pas d’échange, pas de transfert de valeur. C’est pourquoi nous avons l’impression d’un dévoiement de l’argent s’il est proposé dans une telle action.
Le dévoiement du sentiment solidaire
N’est-ce pas le signe que notre T est en passe d’effacer complètement la présence du D que songer à financer le soin donné aux enfants, aux vieillards de sa propre famille, voire à rémunérer des prévenances envers soi-même? On a commencé à payer des femmes enceintes pour qu’elles arrêtent de boire ou de fumer. Et pourquoi ne pas pousser l’idée jusqu’à récompenser financièrement la diminution de tous les mauvais comportements, pour qu’ils soient moins coûteux pour la sécurité sociale ?
Monétiser le rapport à la solidarité conduit à des aberrations stupéfiantes, parce que le droit à la solidarité serait un dû, et ne pas en profiter ouvrirait la porte à une compensation. Ce sont les mots fréquemment entendus dans les cabinets médicaux pour accompagner une demande abusive : « Avec tout ce que j’ai cotisé, j’y ai bien droit ! ». Effrayant dévoiement du sentiment solidaire ! C’est le T égotiste qui s’exprime ainsi et non le D. Est-ce une surprise, en ayant rendu obligatoires les cotisations sociales : elles n’expriment plus aucune spontanéité du partage, contraignent seulement le T à participer contre son gré au collectif, avec l’injonction de payer.
D comme Dindon
Non seulement aucune spontanéité du D ne peut apparaître dans ces conditions mais cette part est sévèrement étouffée. Chez ceux qui croient payer trop, le sentiment soliDaire s’effondre et le T s’exacerbe dans la grogne : « Je suis le dindon du système de répartition ». Les D sont pris en otage, terrible effet pervers qui devrait être corrigé partout par le prélèvement à la source de la participation solidaire. Il faut rendre la ponction invisible pour le citoyen, car il n’a pas à intervenir, à faire un effort, ni même un choix puisqu’il a décidé de vivre en société, d’en utiliser les services. De même qu’il n’a pas vraiment conscience des cotisations retraite payées par son employeur —une solidarité automatique pour le futur vieillard qu’il deviendra—, les cotisations maladies et les impôts devraient rester invisibles. Ils n’entrent pas en ligne de compte dans les échanges inter-individuels, les seuls où l’argent est un symbole incontournable.
Nous en arrivons à cette conclusion paradoxale : c’est en s’efforçant de faire respecter la solidarité que la société nous en a détournés. Elle l’a étendue trop vite, bien plus vite que notre gain d’assurance pouvait le permettre, et l’a entièrement monétisée, ce qui l’a essorée de toute spontanéité. La pensée horizontale de nos gestionnaires s’est contentée de multiplier à l’infini les payeurs et les bénéficiaires, les éloignant autant que s’ils habitaient des planètes extra-solaires. Il n’existe plus aucun lien visible, humain, dans la redistribution, seulement des chiffres dans l’espace d’information.
Comment en est-on arrivé là ? Comment un régime qui prétend faire du collectivisme un idéal moral a pu en dégoûter la majorité de ses administrés, au point qu’ils se font séduire par les tendances autocratiques du populisme ? Réponse dans le prochain article…
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