Comment Twitter détruit le collectif

Twitter est un échangisme social qui a inscrit dans le quotidien la “petite phrase”. Or la petite phrase est vilipendée par tous les observateurs préoccupés d’éthique et de transparence. Extraite de son contexte, elle tronque l’opinion dans lequel elle est prononcée, parfois au point d’en faire l’inverse. Ue méchante manipulation qui aurait du disparaître, en tant que biais d’expression ? Au contraire, elle s’est donc institutionnalisée. Ce qui nous démontre entre autres que…

Le spectacle a gagné sa guerre contre la vérité

Nous sommes tous parfaitement conditionnés par la société du spectacle. Les derniers esprits libres sont décédés. Le flux de médias est un psychotrope administré continuellement. Sa concentration est si stable qu’il nous empêche de réfléchir isolément. Zombies connectés. L’esprit dépendant ne sait plus chercher sa sensation de récompense ailleurs que dans la scandalisation, le contraste hypertrophié, l’incroyablement vrai. Mais comme fort peu de vrai est incroyable, les nouvelles sont le plus souvent fausses, simplement maquillées d’un vernis de vrai.

Le vernis tient rarement plus de quelques jours. Aucune importance. Qui se préoccupe aujourd’hui d’avouer qu’il s’est trompé ? Chaque vague de nouvelles engloutit la précédente et lave ses traces. L’esprit ne retient plus rien puisque ses assistants numériques le font à sa place. Aucun passé ne réside plus dans nos têtes. L’impression de se souvenir devient illusoire. Elle est en fait l’attente qu’un évènement futur nous remémore le passé. Au lieu de conserver une existence propre notre mémoire devient suspendue au flux de média qui va nous arriver.

Fast-food cérébral

Ainsi est-il encore plus facile de manipuler notre esprit. Comment pourrait-il vérifier la pertinence des informations qui lui arrivent puisque sa mémoire n’est pas encore survenue ? Le flux de médias ne contient pas seulement les nouvelles, mais aussi l’entière façon dont elles doivent être interprétées.

C’est dans ce contexte de décérébration que prospèrent des réseaux tels que Twitter. Quoi de plus facile à ingurgiter qu’un tweet ? Il entraîne un minimum de fatigue pour l’esprit. La nouvelle épicée s’avale comme une cacahouète à l’apéritif. On n’hésite pas à les enfourner par poignées. Digérées vite et sans effort. L’émotion surgit instantanément. Le cerveau est content. Pas besoin de consommer plus de quelques microgrammes de glucose pour obtenir une sensation de récompense. Pourquoi se fatiguer des heures à réfléchir dans ces conditions ? Le tweet s’est installé à chaque coin de notre monde intérieur, comme la plus grande chaîne de fast-food mental.

Perdre la sincérité du présentiel

Les biais qui rendent le tweet tronqué sont bien connus. Il est dépourvu de tout langage corporel qui pourrait mieux nous informer. Lorsque les ‘petites phrases’ sont prononcées en présentiel, que ce soit au comptoir d’un bar ou dans une soirée mondaine, nous voyons immédiatement de Qui elles proviennent. Ce Qui n’est pas n’importe qui. Il contient l’opinion collective de lui-même. Je m’explique :

Le langage corporel est-il inné ou acquis ? Les deux, l’un donné l’autre étant l’histoire de notre socialisation. Mon esprit, né en tant que simple “corps pensant” a créé progressivement une image de lui-même à partir des autres. Cette opinion s’affiche dans l’attitude. À mon corps défendant, je montre l’opinion du collectif envers moi à ceux qui ne la connaissent pas encore. Que cette opinion soit juste ou fausse importe peu en l’occurence, puisque ce n’est pas intrinsèquement la mienne. J’avoue ce que les autres pensent de moi. Le langage corporel marque une sorte de sincérité vis à vis du collectif et de soi-même. Il empêche de truquer sa propre image à loisir. Cette sincérité n’existe pas dans un tweet.

Liberté de pression

La publicité la plus grande et la plus fausse trône sur l’enseigne de Twitter : le réseau serait le protecteur de la liberté d’expression ! Protecteur de la permission de truquer la réalité, oui. Liberté de pression. Producteur de spectacle instantané, bref, et de la plus médiocre qualité. Distributeur de graines de fiel. Mais alors notre espèce, qui l’adore, serait-elle fielleuse ?

Le fielleux, toxique, jaloux, calomnieux, est avant tout un hyper-individualiste. C’est cela que Twitter flatte en nous : l’individualiste. Sous la fausse valeur universelle d’être libre de s’exprimer, Twitter nous incite à être individuel. « L’universel » doit venir de moi plutôt que des autres. Dans le conflit permanent entre notre part soliTaire —je suis individu— et notre part soliDaire —je suis partie du tout—, Twitter appuie fortement, répétitivement, sur le T du soliTaire, entraînant un profond déséquilibre dans notre esprit. Le véritable collectif se dissout, remplacé par celui que chacun voudrait voir survenir.

Conflit inséparable

L’individu isolé n’a aucune chance de parvenir à ses fins. Aucun gagnant possible dans le conflit entre individu et tout. Ils sont indissolublement liés, deux faces d’une même pièce. En prenant l’avantage chez trop d’individus, la part soliTaire finit toujours par renforcer la soliDaire chez les autres, et vice versa. Le règne du chacun pour soi crée les religions collectivistes ; le régime égalitariste étouffant crée la révolution anarchique. La démocratie représente pourtant un bon équilibre. Pourquoi est-elle menacée ?

Justement parce que des phénomènes comme Twitter excitent outrancièrement l’individualisme, encourageant notre libre-arbitre à empiéter largement sur celui des autres, à refuser le vote majoritaire, à faire du collectif une collection d’individus. Mais celui qui confond les deux n’a rien compris à la nature du collectif. Il est formé par ce qui en nous est semblable chez tous les autres. Le Tout est une indépendance qui ne nous appartient pas et qui est pourtant partie de nous. L’ignorer est une schizophrénie mentale.

Un réseau d’attracteurs n’est pas un tout

Échouant à détruire complètement le collectif, Twitter pousse sa fragmentation au maximum : c’est le groupisme. L’intérêt général de l’humanité s’est effacé, remplacé par celui des clans, des groupes d’opinion. Leur séparation est bien tranchée. Ils ne se parlent plus. L’hypothétique organisation mondiale des nations, qui pointait son nez au siècle dernier, est remplacée par un morcèlement croissant de ces nations. La hiérarchie s’effondre, car elle gêne les prétentions individuelles. Twitter crée huit milliards de baronnies personnelles, associées par des intérêts de circonstances.

La vérité, lorsqu’existe un collectif authentique, peut diffuser partout. Devenir universelle. Unifier l’humanité. Seul moyen de résoudre ses plus grands problèmes. Twitter, en connectant tous les humains, serait-il l’instrument possible d’une telle réussite ? C’est le contraire. En sacralisant chaque opinion individuelle, en primant le soliTaire en nous aux dépens du soliDaire, Twitter crée des barrières infranchissables pour la vérité. Elle se morcèle en aspects contradictoires. Chaque aspect s’ébat à l’intérieur d’un groupe, renforçant localement l’impression de liberté personnelle, muselant celle du collectif, qui perd toute chance d’évoluer.

Les sectes jaillissent et se multiplient. L’humanité stagne, en tant qu’espèce. Les technologies sont en plein essor, les valeurs humaines sociales en régression. Les avancées technologiques, de moins en moins d’humains en profitent. C’est une évidence dans le domaine de la santé mais nous n’en avons pas conscience, fascinés que nous sommes par notre dernier modèle de smartphone et le spectacle permanent qui en jaillit.

Un Twitter Musklé fait un twit1Note savoureuse: “twit”, chez nos amis québécois, veut dire ‘personne stupide’. Au Québec, on a déjà compris que Twitter signifie souvent ‘réseau des idiots’.

Twitter n’est bien sûr pas le seul réseau en cause et peut être amélioré2Améliorer Twitter ? Il faudrait différencier clairement le tweet de fait du tweet d’opinion. Le premier aide à construire la hiérarchie sociale et mentale personnelle. Le second la détruit et la remplace par l’opinion préparée., mais il est devenu caricatural avec le travestissement que vient d’en faire Elon Musk. Voilà un autiste assumé, génie techno et médiocre empathe, qui nous explique ce qu’est la liberté d’expression. Les rapports humains sont le domaine notoire de son incompétence, mais il en devient pour nous le professeur. Un esprit soliTaire hypertrophié voudrait nous enseigner la soliDarité. Étonnant, n’est-ce pas ?

Et pourtant sur Twitter, la pilule est avalée, comme les autres. Certainement le langage corporel de Musk nous informerait mieux de la véritable nature de son discours, mais lequel de ses suiveurs l’a rencontré ? Et qui surtout pourrait faire abstraction de son pouvoir pour le juger tel qu’il est ? C’est cela, aussi, l’intérêt de la hiérarchie : se faire juger dans le cercle de ses égaux et non par une foule de fans…

Sauver Gaïa c’est faire de l’humanité une entité aussi intégrée

Après cet article sombre il en faudra un autre plus encourageant sur les manières de sauver le collectif. En résumé il s’agit de diminuer le poids des hiérarchies sur les intérêts individuels, mais pas en réduisant les premières au profit des seconds. Cela rend les hiérarchies encore plus rigides, ou sinon le collectif se désagrège et la société s’effondre —c’est d’ailleurs la menace qui pèse sur l’occident fortement twittérisé. Les hiérarchies doivent être au contraire étendues, multipliées, assouplies, ce qui rend possible à chacun de s’y insérer. Humain nageur, qui remonte le courant hiérarchique grâce à ses efforts individuels, se laisse porter en arrière s’il est fatigué.

Chacun veut s’imposer en tant que Tout, mais le Tout nous voit chacun différent, changeant. Un conflit inséparable, un moteur de réalité humaine auquel nous ne pouvons échapper.

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