D’où vient l’idéal ?

Abstract: L’idéal est-il un moteur du changement social ou seulement un symptôme ? Le double regard montre qu’il est les deux, dans un cycle métastable, permettant par exemple de comprendre que l’abolition de l’esclavage ou de la peine de mort puisse être imposée à une population en apparence défavorable mais qui accepte implicitement la nécessité de l’idéal.

L’auto-organisation est émaillée d’idéaux métastables

En tant que coeur de l’identité humaine, l’idéal est la base du regard descendant. Il est l’origine de nos intentions, qui sont des représentations idéalisées du monde associées à des besoins corporels sublimés en désirs complexes. Les nécessités physiques sont confrontées à un monde réticent à s’y soumettre, d’autant qu’il est maintenant transformé par une société sophistiquée.

L’auto-organisation n’affaiblit pas l’idéal par principe. Elle affaiblit celui qui est périmé, inadapté à la société contemporaine. Elle rend l’idéal métastable, c’est-à-dire maintenu par la réduction des conflits, perdu quand ils se réveillent, toujours susceptible de réanimation ultérieure. Cette dynamique ressemble à la thermodynamique, avec son principe de réduction de l’énergie libre, qui plaît beaucoup à certains sociologues. Mais c’est laisser trop d’emprise au regard ontologique pur. L’idéaliste refuserait de voir son idéal réduit à une construction purement passive, entièrement dépendante du contexte. La seule force de cette opinion impose de voir l’idéal autrement, car il se maintient effectivement dans des circonstances qui ne lui sont plus favorables, et tente de ramener le monde à lui.

Une ontologie rétro-contrôlée par l’idéal

Le cours spontané des micromécanismes sociaux ne suffit pas à expliquer cette persistance des idéaux, alors qu’ils deviennent des solutions inadaptées. L’auto-organisation ne se réduit pas à passer d’une politique stable à une autre, dès que la première ne convient plus. Les stabilités seraient fugaces. L’idéal, en tant que niveau de réalité indépendant, cherche à se maintenir et prolonge la stabilité qu’il représente. C’est son éloignement de la réalité sous-jacente qui permet son maintien. Il est une approximation de ce réalisme sous-jacent, peu sensible à ses variations dans certaines limites. Sa présence influence en retour la réalité pratique pour qu’elle se conforme à ces limites. Seul un contexte franchement défavorable l’en fait sortir. On ne quitte l’idéal que lorsqu’il devient insupportable.

L’auto-organisation, sous le double regard, est bien une ontologie de mécanismes rétro-contrôlée par un idéal téléologique. Une place importante est faite à nos intentions. Sans les faire descendre d’un univers mystique. Sans les sanctuariser dans un espace où elles ne pourraient pas être questionnées. L’idéal a sa vie propre, en tant que niveau de réalité indépendant, mais ne peut s’imposer à la réalité sous-jacente que s’il en est une solution acceptable.

Les idéalistes starters du changement

Comment dans ce cas parvient-on à imposer un idéal à une population qui n’en veut pas ? Comment nos grands idéalistes ont-ils réussi à abolir l’esclavage ou la peine de mort ? Certainement auraient-ils échoué dans une époque véritablement anti-abolitionniste. Ils n’ont fait qu’éveiller des sentiments qui ne demandaient qu’à le faire chez leurs contemporains. Le pouvoir du mimétisme outrepasse celui du conservatisme. La solidarité se nourrit de la capacité à s’identifier à l’autre. Ce n’est pas la condition d’esclave en soi, ou de condamné à mort, qui nous répugne, mais l’idée qu’elle touche un être que nous ne pouvons plus cataloguer comme sous-espèce, comme une sorte de fourmi insignifiante. Son écrasement prend du sens.

L’idéal en apparence imposé par quelques précurseurs est en fait une solution qui s’impose d’elle-même dans un contexte favorable, qui fait ensuite l’objet d’une symbolisation dans les idéalistes précurseurs, et ce symbole a en retour une action véritable, en particulier dans l’éducation des générations suivantes. L’idéaliste est d’abord symptôme et non cause du changement social, puis il devient causal du maintien du changement, jusqu’après sa mort. Il faut s’y faire : nos plus grandes idées ne transforment pas le monde de notre vivant… Pas besoin de remercier l’auteur, cher lecteur. Laissez faire vos descendants 😉

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