Les sabotages d’infrastructures jugées écocidaires sont-ils productifs ou contre-productifs ? La nécessité de réparer les dégâts pour un coût encore plus important pour la planète désigne ces actes comme empreints d’une bêtise crasse. Cependant avant de conclure, intéressons-nous au débat entre deux écologistes, George Monbiot, journaliste britannique, et Andreas Malm, géographe suédois auteur de ‘Comment saboter un pipeline’. Monbiot critique vertement dans The Guardian l’apologie écoterroriste de Malm, dont la réponse est traduite dans Socialter, magazine radical.
La difficulté d’une réforme quand il faut tout changer
Pour Monbiot, la révolte contre l’effondrement écologique est une révolte contre le système tout entier. Elle n’est pas uniquement dirigée contre les combustibles fossiles, mais contre le capitalisme industriel dans son ensemble. Supposons que soient démantelés tous les oléoducs, mines de charbon et SUV. Suivrait la découverte que « nous sommes toujours condamnés à l’extinction », parce qu’« il resterait encore à s’attaquer à la dégradation des sols, la raréfaction de l’eau douce, la dysbiose des océans, la destruction des habitats, les pesticides et autres produits chimiques synthétiques, chaque problème étant comparable, en termes d’échelle et de gravité, à l’effondrement climatique ». Nous ne sommes pas ici aux prises avec le seul capital fossile mais avec tout le système capitaliste. Par conséquent, les sabotages contre l’exploitation fossile sont futiles et contre-productifs.
Pas de vrais contre-arguments chez Malm qui utilise la rhétorique bien connue de la pente glissante. Il prolonge la liste de Monbiot, ajoutant qu’il faut « démanteler tous les chalutiers, bulldozers, usines de pesticides et découvrir que nous sommes toujours guidés droit vers l’extinction. Pensez simplement aux 10 000 ogives nucléaires stockées sur Terre. Elles n’évacuent pas les malheurs et les soucis auxquels il faudrait s’attaquer. La Palestine reste occupée. L’exploitation dans les ateliers de misère sera plus répandue que jamais. L’extraction au Congo repose sur des conditions proches de l’esclavage, et ainsi de suite » Et donc pour Malm il faut bien commencer quelque part… c’est-à-dire casser du pipeline, du SUV, du jet privé.
Je ne m’attarde pas sur le reste de son argumentation, qui sonne aussi creux et parce que l’essentiel n’est pas dit, comme nous allons le voir. Notons, stupéfiés, que Socialter publie sans aucune censure des articles signés prônant la destruction des biens d’autrui, des infrastructures publiques, et la « désobéissance civile légitime ». Au moins nos petits révolutionnaires ne peuvent se plaindre d’une restriction de leur liberté d’expression…
La pente glissante nous conduit à l’euthanasie de masse
Un jet privé, c’est ce à quoi me fait penser l’esprit de Malm, ironiquement. Des pensées qui tournent en rond autour d’une vingtaine de sièges… Pourquoi ce vase clos qu’est l’écoterroriste n’a-t-il aucune chance de voir ses espoirs se réaliser ? Parce que Malm commet une erreur cruciale. Il s’est persuadé que la violence spectaculaire est seule capable de réveiller les consciences, et que toutes vont s’engouffrer dans la brèche qu’il a créée. Pour cela il postule que ses contemporains partagent un avis désespéré sur l’écologie comme les sans-culotte partageaient la même misère lors de la Révolution de 1789. Or c’est le contraire. Les gens ne sont pas affamés mais soucieux de préserver leur confort, que beaucoup estiment déjà chiche. La décroissance est populaire chez un petit nombre d’adorateurs de Gaïa que leur profil rend peu susceptibles d’être touchés sévèrement par les privations. Chez les plus dépendants de l’assistance et des services collectifs par contre, la vie va devenir plus précaire encore.
Le système économique actuel n’est certes pas exempt de critiques, mais c’est le seul qui a permis d’amener la population humaine à huit milliards. Terrible langue de bois des écolo-radicaux à ce sujet, qui n’ont pas de système alternatif réaliste et n’osent pas dire que leur politique imposerait de réduire drastiquement notre nombre pour épargner des ressources vitales. Êtes-vous candidat à l’euthanasie thérapeutique pour sauver Gaïa, monsieur Malm ? Croyez-vous que les riches souhaitent se défaire de leur consommation, ou qu’au contraire les pauvres n’attendent que l’occasion de consommer davantage ?
Les ultras font peu d’émules
Croire que tout le monde pense comme soi et n’attend qu’une bourrade dans le dos pour l’exprimer ? C’est avoir la pensée bien étroite. Raison pour laquelle l’écologie politique est restée marginale jusqu’à présent. Elle ne cherche pas à comprendre comment les gens fonctionnent, s’arque-boute au contraire sur une vision idéaliste de comment ils devraient fonctionner, qu’il faut si nécessaire imposer. L’écoterrorisme est malheureusement un repoussoir à l’encontre de la cause climatique, expulsant les militants dans des parcelles de territoire comme les députés radicaux se retrouvent à vitupérer dans une frange de l’Assemblée. Lire à ce sujet ‘Quand l’ultragauche investit le plateau des Millevaches’ dans Le Point de cette semaine. Qu’arrive-t-il quand des militants s’installent dans une région ? Une saine émulation ? Non, l’inverse. Des tensions. L’immédiat fossé entre le citadin qui débarque avec ses théories arrêtées et les locaux qui connaissent leur terre.
S’il existe un mouvement capable d’inverser la tendance, c’est plutôt l’écopacifisme, le prêche par l’exemple et non l’agression des autres, même en la focalisant sur les nantis, car le rêve c’est eux et non la vie pénible d’un paysan des siècles passés, que pas grand monde aujourd’hui ne saurait endurer.
S’il faut arrêter de rêver, n’en faisons pas un spectacle
L’écoterroriste vend du spectacle mais pas du rêve ! C’est d’ailleurs une autre de ses incohérences : utiliser l’arme du spectacle, si omniprésente et parfaitement rodée dans la société qu’il cherche à transformer. Comment penser qu’il va battre le capitalisme à son propre jeu, en continuant d’utiliser le vecteur qui a perverti tous les esprits contemporains ? Debort et les déconstructeurs doivent se retourner dans leur tombe.
Philomag a fait un intéressant panorama de l’écomilitantisme en 2022 : De la non-violence au terrorisme: quelles dissidences écologiques ?
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