Jeunes contre vieux ou vieux en contrat avec les jeunes?

Échapper à la catégorisation

La manière classique de penser l’ancien face au jeune est que le premier serve de modèle au second, respectueux du premier, nous dit Michel Eltchaninoff. C’est l’exemplarité d’un Clint Eastwood dans Grand Torino (2008), qui joue un vieillard aigri et solitaire mais capable de transmettre son sang-froid et même de se sacrifier pour la nouvelle génération. La seconde manière est plus conflictuelle, opposant la modernité du jeune au conservatisme possessif du vieux. Elle fonde la littérature des XIXè et XXè siècle, à l’orée de la révolution industrielle, par exemple dans Les Démons de Dostoïevski et l’oedipien Totem et Tabou de Freud (1913).

Michel voit cependant les Rolling Stones échapper à cette classification avec les textes de leur dernier album. Ils se sont révoltés contre leurs parents psychorigides mais ne veulent pas devenir des exemples de sagesse classique. Le message :« Laissez-nous croire que nous sommes encore jeunes, séduisants et sémillants, que nous chantons toujours du blues comme si c’était la première fois ».

Bouffons nos pensées confites!

Tout cela est fort réducteur pour le vieillissement et la sagesse. Bien vieillir est perpétuer l’auto-organisation de ses idées. C’est continuer à rechercher et affronter le conflit plutôt que se réfugier dans des pensées confites, de moins en moins contestées avec l’âge. Le vieux conservé évite de traîner dans sa conserve. Il n’a aucun besoin de réclamer du respect, que son discours obtient de plein droit, par sa charge d’empathie et le collectivisme dont il se réclame.

Mûrir n’est pas modifier ses idées mais les épaissir, les recouvrir de couches de complexité successives. Le vieux réussi est intégré dans un monde plus vaste et non pas confiné dans son passé. Le jeune existe toujours en lui. Cette persona qui survit dans le sage aide à organiser les conflits avec la modernité de la nouvelle génération. Le vieux réussi s’approprie les nouveaux modes de pensée avec son ”jeune intérieur”, toujours actif pour remodeler son esprit.

Enfermés et évadés

Il n’y a pas deux manières de penser le vieux face au jeune, mais deux catégories de personnes, celles qui s’enferment dans un monde personnel étanche et celles qui s’en évadent. Ces deux catégories concernent les vieux autant que les jeunes. Les différences existent, cependant, et se devinent assez logiquement :

D’une part il est plus facile de changer de catégorie quand on est jeune. Plus de temps parvenir à sortir de soi, étoffer son Observateur intérieur. D’autre part il y a plus d’évadés chez les vieux que chez les jeunes. Il ne le sont pas tous, car les frustrations personnelles ont replié beaucoup de vieux sur eux-mêmes. Mais c’est bien chez eux que l’on trouve les vrais sages, les émancipés des idées, ceux qui ont pu vérifier qu’aucune n’est universelle.

Les Stones roulent-ils vraiment?

En vérité les Rolling Stones ne se présentent pas comme des vieux mais comme des jeunes qui n’ont pas voulu grandir. Une présentation qui les place dans la catégorie de l’enfermement. Ne les connaissant pas intimement, je souhaite pour eux qu’il s’agisse d’une amplification par leur service marketing. Personnellement je me sens en contrat avec les jeunes et non en contradiction avec eux. Le contrat n’est pas de montrer une immaturité en miroir de la leur, montrer plutôt que l’épaisseur acquise avec l’âge ne concerne pas seulement le tissu adipeux, mais la complexité du tissu neural aussi…

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Rolling Stones, le Ciel peut attendre, Philomag 2023

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