Parution de ‘Societarium’

Societarium vient de paraître, au format papier et epub. Ce livre réunit des articles de sociologie et politique parus sur ce blog, organisés autour des deux principaux : Un système politique universel et Peut-on se passer de hiérarchie? L’ensemble est un manifeste argumenté contre une démocratie participative aveugle et pour une ré-hiérarchisation sociale inclusive, qui mette fin à la dépersonnalisante notion des “masses”.

Alléché ? Voici un extrait de la conclusion, pour vous faire goûter la sauce :

Allons-nous relever l’échelle qui est tombée ?

Effectuons une synthèse finale de tout ceci en repartant de la juste observation de Proudhon : Un gouvernement, même démocratique ou populiste, anéantit la liberté individuelle, réduisant son pouvoir à une portion infime de celui du collectif, qui décide de tant d’aspects de notre vie. Constat omniprésent que nous partageons tous. Pour ce principe élémentaire, la liberté d’agir, tout gouvernement doit être rejeté ou réduit au minimum. En effet la moindre mesure collective a une puissance indécente car elle annihile des millions de pouvoirs individuels.

Où nous emmène ce principe ? À ne plus coopérer, ne plus enseigner, ne plus catégoriser, choisir. Bref si ce principe avait guidé seul notre espèce, jamais l’humain n’aurait construit de civilisation. Un autre lui est heureusement adjoint : le principe d’appartenance, fondé sur une empathie marquée pour les congénères. Appartenir à quelque chose de plus grand que soi c’est lui déléguer une part de sa liberté individuelle. Quelle part ? C’est là que les choses se gâtent. Le réglage TD, entre pouvoir soliTaire et soliDaire, varie terriblement chez les individus. C’est la manne principale de toutes nos histoires, emplies de mâles alpha et d’esclaves-nés.

La propriété c’est le vol [!]

Proudhon a involontairement illustré le conflit TD en disant en 1840 : « Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol ». ‘Propriété’ pour le T est ‘vol’ pour le D. Contradiction irréductible à gérer. Encore une fois, notre cerveau peut la gérer pour quelques dizaines d’individus, pas des millions. Seul un gouvernement peut s’en charger, et seule une hiérarchie extensive permet de le supporter. Quoi qu’il en coûte ? Une hiérarchie est-elle si coûteuse au fond, si nous en sommes tous les fonctionnaires ?

Probablement Proudhon savait-il qu’il faut de la solidarité pour construire un monde, mais il avait la naïveté de croire que chacun peut abandonner librement la part de pouvoir nécessaire. J’ai cherché honnêtement en moi et vous invite à faire de même, sans avoir trouvé beaucoup d’incitation à abandonner librement du pouvoir. Il faut que cet abandon me profite au final, c’est-à-dire que je puisse tracer son devenir jusqu’à quelques retombées personnelles. Autrement dit l’intérêt du collectif m’importe parce que j’en fais partie et suis censé en profiter aussi. Si je perds de vue la connexion entre l’intérêt collectif et le mien, ma solidarité se réduit à peau de chagrin, ou au surplus dont je n’ai pas besoin. Je suis programmé pour une empathie tribale, pas pour l’étendre à des millions d’inconnus.

L’infime est grand dans le rien

Ce que Proudhon n’a pas compris c’est qu’un pouvoir infime est impossible à céder. Il en reste tellement peu ! Comment montrer de la solidarité avec des millions d’êtres sans un gouvernement pour l’imposer ? C’est impossible. Nous sommes programmés pour que ce soit interdit. Déjà, intérieurement il nous est impossible d’être solidaire de toutes nos pensées. Notre liberté est de décider, de privilégier un acte au détriment des autres, parce qu’il correspond mieux à notre identité, au détriment des autres que nous aurions pu endosser. Notre mental est un gouvernement intérieur.

À l’intérieur comme à l’extérieur, un humain ne lâche du pouvoir qu’à une autorité supérieure. S’il est lui-même en position d’autorité, et qu’il assiste un congénère, il prend du pouvoir sur lui. Le désintéressement est une légende idéaliste. Il existe toujours une cible à notre intérêt, ne serait-ce que l’image que les autres ont de nous.

Ce qui nous manque aujourd’hui

La compréhension de ces mécanismes intimes est essentielle. Elle débouche sur la nécessité d’une hiérarchie rapprochée entre humains, un transfert de pouvoir dont l’intérêt soit clairement établi. Plus le nombre d’humains augmente en société, plus le nombre de cercles qui les englobent doit s’étoffer, de même que la hiérarchie qui leur est attachée. Une hiérarchie n’est respectée que si l’on s’y sent inséré, que le pouvoir délégué est encore à portée.

Le rôle de la hiérarchie se résume finalement ainsi : d’une part elle doit protéger inflexiblement le pouvoir individuel dans son cercle le plus intime, qui est la liberté de penser. Elle doit d’autre part protéger avec la même inflexibilité le pouvoir le plus collectif, à l’échelon de l’espèce entière, qui n’obéit pas à la multitude des règles individuelles mais à des règles communes, soumises à consensus. Comment protéger en parallèle ces intérêts contradictoires ? En les séparant par des niveaux de représentation, et en multipliant ceux-ci pour qu’ils ne laissent aucun pouvoir individuel anonyme dans une masse. C’est ce qui nous manque aujourd’hui.

Le Soleil est chaleureux… quand on éprouve son rayonnement

Rénover la hiérarchie n’est pas renouer avec le règne du Roi-Soleil, mais éviter son remplacement par le règne du Bonnet-d’Âne. Après une programmation dans l’oeuf inégalitaire et nécessaire —on ne sait jamais ce qui peut sortir de l’oeuf—, le destin de l’humain n’est pas de voir la société enkyster son algorithme personnel mais au contraire l’intégrer à l’organisation commune, dans une hiérarchie assez fluide et étendue pour qu’elle devienne invisible.

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1 réflexion au sujet de « Parution de ‘Societarium’ »

  1. Dans Societarium je critique l’intrusion de l’Égalité parmi les principes naturels d’organisation sociale. Le philosophe Jacques Rancière a pris le contrepied de cette démarche, passant sa carrière à sanctifier le principe d’égalité. « Aucune institution n’émancipe les gens », affirme-t-il. Selon lui nous aurions des âmes égales en possibilités, et l’éducation pervertirait cette égalité en enchaînant ces pauvres âmes avec les pouvoirs des érudits. Rancière est un bel exemple de l’idéalisme béat du regard descendant solitaire. A-t-il jamais lu un livre de génétique ?, peut-on se demander.

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