Se passer de hiérarchie?

Abstract: L’étymologie de ‘hiérarchie’, l’ordre sacré, reste d’actualité : il existe toujours des lois auxquelles il faut se soumettre, ne seraient-ce que les naturelles, nouveaux sacrements. Je montre que l’effondrement des hiérarchies est naturel, lui aussi, mais que cette disparition est désastreuse. Ce n’est pas le principe hiérarchique qui pose problème mais ses dysfonctionnements, ses exclusions. La hiérarchie doit être allongée et non comprimée à mesure qu’elle s’étend à une population croissante, de manière à rester inclusive et facile à s’approprier.

Un peu d’histoire

Historiquement le terme ‘hiérarchie’ a un caractère transcendantal. Hier arkhēs en grec veut dire « règle sacrée ». Au début de la chrétienté il fait référence à « l’ordre des êtres célestes ». La hiérarchie désigne l’inévitabilité du gouvernement divin, les règles auxquelles on ne peut que se soumettre, car elles sont supérieures à l’humain.

La hiérarchie s’est installée à partir d’un pouvoir que l’on ne comprenait pas, de forces invisibles dont les prêtres se faisaient les représentants. À côté de cette autorité cléricale s’est installé une force d’essence plus terrestre, celle des guerriers et des conquérants. Progressivement la connaissance a concurrencé et remplacé le pouvoir clérical, jusqu’à le faire reculer dans les lieux de culte. De même, la force brute a été remplacée par l’économie dans les échanges humains. C’est en fait une multitude de hiérarchies qui se sont installées dans la société humaine.

Mais le sens de ‘hiérarchie’ a-t-il vraiment changé, au fond ? Qu’il s’agisse de diktats célestes ou de lois naturelles, la hiérarchie est la soumission à un ordre régissant le monde, incommensurable, écrasant pour l soi. Dieu est devenu Nature, après Spinoza, mais l’opacité des forces fondamentales reste totale. La science retrace un enchaînement de conséquences, ne dit rien de l’origine. Pourquoi les lois naturelles ont-elles cette forme ? Pourquoi les mathématiques se comportent-elles ainsi et pas autrement ? La connaissance est l’appropriation d’un mystère en même temps que sa tentative d’explication. Connaître c’est construire en soi sa propre hiérarchie, une hiérarchie de ‘comment’ qui éloigne la question basique et lancinante du ‘pourquoi’.

Un principe éternel ?

Comment interpréter la perpétuation et l’omniprésence de la hiérarchie ? A-t-elle été tatouée par la culture dans nos sociétés au point qu’il n’est plus possible de l’en débarrasser ? Ou fait-elle partie de la nature humaine ? En d’autres termes est-elle téléologique, héritage d’une volonté culturelle ancienne, ou ontologique, reproduite naturellement par chaque nouvelle génération ?

L’hypothèse téléologique ou descendante : La hiérarchie se maintient sur trois piliers institutionnels, régulateur, normatif et cognitif, conceptualisés par Scott (2014). La régulation est l’ensemble des règles et des rituels administratifs. Le normatif est la force de l’habitude enseignée dans les écoles et autres activités collectives. Le cognitif est l’intériorisation de la hiérarchie quand on ne conçoit pas d’alternatives.

L’hypothèse ontologique ou ascendante : La hiérarchie est l’organisation spontanée des intentions d’une foule d’humains aux vies éphémères. Dans l’hypothèse où cette construction est purement liée aux interactions sociales (Giddens 1979), elle se prête plus facilement à contestation et réforme. Aujourd’hui les justifications de la hiérarchie sont examinées de près. Les dysfonctionnements en font une source d’inégalité et d’inefficacité. Les hiérarchies traditionnelles se voient ébranlées et menacées.

Passons au double regard

Aucune hypothèse n’est supérieure à l’autre. Elles décrivent, de deux directions différentes, la même chose : une interaction entre le bastion des coutumes et la houle des relations sociales qui les usent. La contestation actuelle de la hiérarchie vient à la fois d’un nouvel idéal égalitaire (cause descendante) et du changement des règles interactives avec l’irruption des réseaux (cause ascendante). Le principe d’égalité est bien un idéal et non pas un principe naturel. Les humains se voient et se veulent différents les uns des autres, ce qui explique l’échec des politiques communistes, quand elles ont voulu réaliser un tel idéal sans prendre en compte l’ontologie. Les règles interactives sont bien une cause ascendante : elles fondent une organisation métastable, qui change avec les mentalités individuelles.

Certaines forces sont naturellement ascendantes, comme l’économie libérale. Chacun apprécie sa richesse et entreprend des échanges. Une économie dérégulée produit des contrastes d’autant plus marqués que la population et le nombre d’échanges augmentent. La politique est une force descendante. Elle rétro-contrôle les débordements de l’auto-organisation économique, à l’aide d’idéaux supérieurs tels que la solidarité générale et le droit à déterminer son propre destin. Notre vie sociale est un moteur alternatif, cycle d’échappements et de retour de règles, qui font saigner même la gent masculine…

Avantages et inconvénients de la hiérarchie…

…font l’objet d’innombrables débats et ouvrages que je ne détaillerai pas ici. Les avantages pointent en matière d’efficacité organisationnelle. Plus la société devient complexe, plus des niveaux décisionnels indépendants émergent et la hiérarchie se contente d’épouser cette pyramide. Le complexe domine le simple, dans une pyramide d’intelligence qui s’installe dans chaque discipline. Les expériences de dé-hiérarchisation fonctionnent au sein de teams exerçant le même rôle professionnel, mais l’indépendance hiérarchique reste nécessaire quand le paradigme change, par exemple qu’il faut faire du profit et non plus seulement créer un produit innovant.

Les inconvénients de la hiérarchie sont d’ordre professionnel et social. Deux reproches professionnels : le manque de souplesse face aux évolutions du marché, et l’inertie des employés dont la carrière est tracée par l’entreprise, plutôt qu’auto-entreprise. Reproches sociaux : la hiérarchie encourage les inégalités et refuse aux bas échelons les moyens de se réaliser plus pleinement. La répartition des revenus est décidée en autarcie par le sommet, ce qui accentue les écarts.

Avantages constitués et inconvénients observés

Remarquons immédiatement qu’avantages et inconvénients de la hiérarchie ne sont pas situés eux-mêmes au même plan. Les avantages font de la hiérarchie une structure indispensable à toute organisation humaine, une trame sans laquelle la société ne pourrait se développer. Tandis que les inconvénients font état des dysfonctionnements de la hiérarchie, erreurs inévitables quand ce sont des humains faillibles qui appliquent leurs modèles à une structure nécessaire.

Les regards ascendant et descendant nous montrant des choses très différentes sur la hiérarchie, nous allons prendre un instant pour les détailler.

Regard ascendant

La naissance de la hiérarchie est informelle. Elle démarre sur la reconnaissance d’une qualité particulière dans l’élaboration des choses : le talent. Le talent est porté par un individu, soit à travers un objet et celui qui sait le manipuler adroitement, soit à travers un concept d’organisation performant. Il peut sembler étrange qu’un objet puisse être considéré comme “talentueux”, car nous ne lui attribuons pas d’intention. Nous disons plutôt qu’il est “efficace”. Mais le début de l’intention n’est pas clairement établi entre vivant et non-vivant. Il semble utile d’établir une hiérarchie des objets en fonction de leur efficacité instrumentale, et cela nous aide aussi à comprendre la hiérarchie des individus, qui repose sur le talent de chacun dans une tâche définie. La hiérarchie ascendante est toujours contextuelle. C’est un premier constat important.

Le deuxième constat est l’inévitabilité de la hiérarchie. Elle se fonde ontologiquement sur nos différences génétiques mais aussi acquises : le temps d’une vie est limité et même utilisé au mieux il ne permet pas d’acquérir et d’affiner toutes les compétences. Nous sommes obligatoirement entourés de gens meilleurs que nous dans certaines tâches d’intérêt collectif. La hiérarchie est naturelle en tant que structure d’organisation des différences.

Et si je suis l’expert ?

Le caractère inévitable de la hiérarchie, pesant quand elle évoque l’élite dominante, est plus facile à accepter en se plaçant soi-même en situation d’expert. Nous n’apprécions pas de voir un “nul” nous expliquer une chose que nous connaissons bien mieux que lui. Nous le supportons gentiment si l’indigent est hiérarchiquement inférieur, plus difficilement s’il est au même niveau et pas du tout s’il a un poste supérieur. Un enfant qui clame des bêtises est amusant et même émouvant… parce qu’il n’a pas encore réellement mis le pied sur l’échelle sociale. Le supporterions-nous s’il était notre patron ?

Quand les idéaux égalitaires commencent à gommer les hiérarchies peu visibles mais naturelles, des tensions apparaissent, comme le problème des enfants-rois, ou la différence de motivation à la tâche dans les teams professionnelles. L’abolition des hiérarchies provoque autant de conflits que les hiérarchies trop rigides. Ou plus précisément la négligence des hiérarchies naturelles (ontologiques) fait autant de dégâts que les hiérarchies fondées sur une idée fausse de soi (téléologiques).

Regard descendant

Sommes-nous responsables de notre capital génétique et du milieu social dans lequel nous sommes nés ? Non, à l’évidence il faut faire avec, individuellement, ce qui n’empêche pas de réfléchir à des moyens collectifs de réduire les effets de ces inégalités. Mais ici il faut bien faire la différence entre ‘réfléchir pour soi’ et ‘pour tous’. L’immense cortège des réclamations de solidarité vise un bénéfice pour soi plutôt qu’une amélioration du sort général de l’humanité. De fait les demandes de solidarité provenant des nantis semblent généralement plus authentiques que celles des pauvres. Il faut une individualité satisfaite pour que notre part collectivisante s’exprime en relative indépendance.

L’idéal commun est l’agglomérat de ces parts collectivisantes. C’est le concept partagé sur ce qui est le meilleur ‘pour tous’, et non ‘pour soi’. Ce que les autres et les institutions peuvent faire en notre faveur fait partie du ‘pour soi’ et non du ‘pour tous’. Nous n’en sommes jamais assez conscients, particulièrement quand nous sommes englués dans des difficultés personnelles. Seuls les saints ne sont pas tentés d’en reporter les raisons sur autrui.

Programmés par le spectacle

Pas responsables de notre génétique, nous ne le sommes pas non plus des désirs qui nous sont injectés par la société du spectacle. Vouloir réaliser ses désirs est une pulsion propriétaire, vitale, universelle. La forme prise par ces désirs l’est beaucoup moins. La plupart sont mimétiques. Nous apprenons nos goûts sociaux par identification à d’autres personnes. Même la rébellion, dans la forme qu’elle va prendre, s’apprend auprès d’autres rebelles.

Où se situe notre responsabilité, dans ce cas ? Sous l’éclairage des impératifs génétiques et des mimétismes acquis, elle semble s’évanouir complètement. Certains penseurs nous dénigrent tout libre-arbitre, ce qui impacte fortement la discussion sur la hiérarchie. Qu’elle soit de naissance ou acquise, il n’existerait guère de moyen de bouleverser notre position sociale.

Heureusement personne ne s’éprouve aussi programmé. Au contraire la vie est une impression de constant progrès en liberté potentielle, sinon réalisée. Nous intégrons continuellement de nouveaux critères à ce jugement. La liberté n’est pas forcément augmentée mais nous améliorons la définition de ce qu’elle peut être. À vrai dire ce n’est pas le principe égalitaire qui s’est renforcé aujourd’hui en société mais le principe libertaire, et le libertaire entre en conflit critique avec l’égalitaire, qui impose de se soumettre à une norme collective.

L’idéal au frontispice, pas dans la rue

De même que la solidarité, l’égalité est un principe faussé dans notre esprit parce qu’il est assimilé au ‘droit de chacun de faire comme il l’entend’. Ce qui en fait un principe individualiste et non collectiviste. Nos congénères sont effacés. Or eux aussi veulent faire ‘comme ils l’entendent’. Des problèmes vont surgir. Cette fausseté généralisée des principes liberté-égalité-solidarité qui sont au frontispice de nos démocraties doit faire modifier la manière dont nous concevons les relations sociales. Raison pour laquelle j’utilise le principe T<>D, abondamment décrit sur ce blog, qui permet de comprendre toute relation comme un conflit entre notre part soliTaire et soliDaire. Nous verrons plus loin comment ce principe permet de résoudre les difficultés posées par la hiérarchie.

Mais auparavant nous allons voir comment l’effondrement des hiérarchies interdit paradoxalement à la base populaire de réaliser ses désirs. Nous verrons également que la hiérarchie se dilue et s’effondre naturellement à mesure que la population augmente, sauf à être étoffée et entretenue par la création de nouveaux cercles sociaux et donc des niveaux décisionnels supplémentaires.

Un paradoxe: isolé par l’effondrement de la hiérarchie

L’intolérance à la hiérarchie s’est traduite par un désir du citoyen de juger et sanctionner directement ses élites. La compression de la hiérarchie est caricaturale dans l’élection présidentielle au suffrage universel. Le plus haut personnage de la nation est soumis directement au tribunal populaire le plus large possible. Paradoxalement au lieu de rapprocher du peuple les décisions prise à ce niveau, la dé-hiérarchisation isole davantage la politique suprême. En effet le président doit rendre des comptes à une foule de 68 millions d’humains… c’est-à-dire à personne. Personne dont l’avis compte vraiment. La foule est un mélange d’individus plus ou moins appréciables, utiles, indépendants, pertinents quant à leur jugement. Autrement dit elle n’a pas de valeur en elle-même parce qu’elle contient toutes les valeurs, positives et négatives. La foule est faite d’humains mais n’est pas humaine en soi.

Dix ou cent millions

Pour s’en convaincre, imaginez-vous dans la situation de devoir rendre compte d’un choix difficile auprès d’une dizaine de personnes que vous connaissez intimement, ou cent millions d’inconnus. Quel jugement vous préoccupe vraiment ? Je déclare celui qui répond ‘les cent millions’ plus technocratique et moins humain que celui qui répond ‘les dix’. Nous ne fonctionnons pas comme un atome au milieu de myriades de semblables. Certaines personnes importent plus que d’autres. Leur jugement a de l’autorité pour nous, parce qu’elles connaissent toutes nos facettes. Le président est humain lui aussi, ne lui dénigrons pas cette qualité. Quand il pense à la foule il est face à un monstre tapi, frustre, imprévisible, sans mémoire ou reconnaissance. Le monstre est réputé pour ses humeurs et rumeurs plutôt que sa jugeote. Il inquiète mais son verdict a moins de poids que celui des pairs.

Contraint à mentir

D’où le paradoxe : soumettre un président à la sentence populaire tend à l’isoler dans ses décisions plutôt que le rendre sensible à l’opinion publique, et quand il y est sensible c’est sous la contrainte, le couteau d’une élection sous la gorge. Un président sait que son rôle est de faire une politique véritablement collective et prédictive, et non suivre l’effervescence d’une foule influençable et moutonnière. Il use abondamment de la langue de bois et n’en éprouve aucune culpabilité. Seule manière de tenir en laisse le monstre cyclothymique. Un élu qui ne bénéficie plus d’une protection hiérarchique ment pour survivre. Satisfaire une large audience oblige à mentir. Le pire devient alors de croire à ses propres mensonges.

L’échec du populisme

Rapprocher le désir du peuple du sommet de la hiérarchie, soit écraser celle-ci, s’appelle le populisme. L’Histoire a déjà expérimenté de nombreuses fois la formule. Désastres systématiques. Les exemples perdurent aujourd’hui. L’Amérique du sud a végété un siècle dans un marasme économique parce que ses nations ont mis au pouvoir des populistes. Les dirigeants qui ont voulu honnêtement satisfaire les aspirations populaires sont ceux qui ont fabriqué le plus de misère dans les rues, effaçant des hiérarchies certes critiquables mais préférables à l’anarchie. L’Asie du sud-est, au contraire, a conservé son tissu d’institutions officielles et officieuses. Elle est riche à présent de dragons économiques.

La hiérarchie s’effondre sous sa propre légèreté

Sans entretien, la hiérarchie s’affaisse spontanément. Quand elle semble pesante, ce n’est pas à cause de la multiplicité des niveaux hiérarchiques mais au contraire de leur petit nombre, mal adapté à la taille et la complexité de l’organisation gérée. Les décisions apparaissent trop concentrées, arbitraires, mal personnalisées.

L’aplatissement d’une hiérarchie survient spontanément du simple fait de l’augmentation de la population. Si la hiérarchie ne gagne aucun niveau supplémentaire, la base s’étire et la pyramide semble s’aplatir. Mais surtout le pouvoir hiérarchique, encore net aux niveaux supérieurs parce que les décideurs restent peu nombreux, s’efface complètement à la base. Lorsque des dizaines de millions de personnes partagent un niveau, la hiérarchie n’a plus aucune signification dans ce niveau. Disparition de son pouvoir organisationnel.

Égalitarisme forcé

Les gens ne se différencient plus les uns des autres. L’égalitarisme devient une évidence alors que si l’on prend ces personnes deux à deux, c’est un non-sens. La nature même de l’humain, qui est de se singulariser, est dénigrée. Est-ce une surprise que l’individualité se rebelle ? Non. L’effacement du pouvoir hiérarchique exacerbe le désir de ne pas être comme les autres. Comment s’étonner alors de la tendance à l’ultra-individualisme contemporain ? La hiérarchie est en train de se dissoudre dans l’élargissement de sa base. L’anonymisation des citoyens dans cette société dé-hiérarchisée pousse à l’hyper-reconnaissance du soi.

La révolte actuelle contre la hiérarchie est une révolte contre ses vestiges inaccessibles. Les niveaux sont devenus si espacés qu’il devient très difficile d’en changer. Les transclasses existent mais leurs parcours médiatisés tronquent la réalité des innombrables vies engluées dans une gigantesque middle class qui n’est pas tant déclassée mais surtout non classante. Impossible de s’y situer précisément. Je suis en galère ? Mais à quel point comparé aux autres ? Comment savoir si ma galère est en train de couler ou si au contraire mes perspectives ne sont pas si mauvaises, par rapport à la moyenne. Aucune hiérarchie ne m’en informe. Je suis un parmi des millions.

Sectionner les barreaux ?

Ironie de mon titre : la hiérarchie nous semble pesante mais s’effondre en réalité sous sa propre légèreté. Sa structure est insuffisamment étoffée pour supporter l’incroyable masse d’individus qu’est devenue la société moderne intégrée. La technologie alimentaire a augmenté prestement notre nombre tandis que la politique, bien moins sûre, se trouve dépassée, est en retard pour adapter la structure sociale aux réseaux, aux mouvements migratoires et aux écarts croissants de richesse.

Les barreaux de la hiérarchie apparaissent rigides et gênants parce qu’ils sont archaïques, mais surtout parce qu’ils sont les derniers qui nous séparent de l’anarchie et de ses fallacieuses promesses de libre-arbitre. Attention ! Si nous les sectionnons, ce doit être pour rendre la hiérarchie plus fine et transparente, s’y inclure et non la faire disparaître.

Calculer son aversion pour la hiérarchie

Comment le principe T<>D, évoqué précédemment, aide-t-il à comprendre la hiérarchie ? Nous allons voir qu’il permet de calculer presque mathématiquement le degré de tolérance ou d’aversion que nous avons pour la contrainte quelque peu totalitaire que représente la hiérarchie.

Dans toute action impliquant soi et les autres, nous avons le choix entre une décision entièrement personnelle et celle dictée par la conscience sociale. En langage T<>D la décision appartient soit au T du soliTaire, soit au D du soliDaire. Les deux ne sont bien sûr pas étanches. Les solutions individuelles ont été apprises au contact des autres et ont “sédimenté” progressivement dans l’identité. Le T est une itération du D et continue à évoluer. Il peut connaître une évolution originale et devenir référence nouvelle pour le D. Le D est lui aussi une ‘sédimentation’ des meilleures solutions trouvées par les T. Ressortons du langage T<>D : les génies individuels transforment notre conscience sociale, et cette conscience influence en retour le comportement des autres individus.

S’identifier par le réglage TD

Le réglage TD pointe fortement sur le T pour les génies et autres hyper-individualistes, sur le D pour ceux confiants dans la sagesse collective. Ce réglage est essentiel dans notre attitude vis à vis de la hiérarchie lors des affaires courantes. S’il pointe sur T, cela signifie que j’estime ma solution personnelle plus efficace que la collective proposée. En retour de cette efficience, je n’accepte rien d’autre qu’une position hiérarchique élevée. Je symbolise ce que devrait être un collectif amélioré. Donc les autres ne peuvent m’imposer leur opinion, quel que soit leur nombre et leur consensus. Je les juge inférieurs en efficience. Ce qui démontre que la hiérarchie est toujours intrinsèquement présente dans chaque esprit individuel, avec le soi au sommet.

Ce réglage fort sur le T fonctionne s’il est adoubé par le D. Il faut un accord large chez les autres T de même compétence pour confirmer la validité de ma solution personnelle. Mon T se confond alors avec le D et il n’y a pas de conflit. Effet annexe : j’ai grimpé dans la hiérarchie. Ma compétence est mieux reconnue. Je progresse vers le sommet étroit de la pyramide.

Si le D n’adoube pas ma solution, je reste soliTaire. Si je persiste à vouloir utiliser cette solution personnelle, je crée un conflit avec le D, qui n’approuve pas. Si au contraire je reviens à la solution consensuelle, le conflit s’éteint. Mon T se confond avec le D mais je n’ai pas grimpé dans la hiérarchie, voire l’échec m’a fait descendre.

Un réglage TD modulé par les cercles sociaux

Je simplifie volontairement cette description qui est en réalité bien plus complexe, car le D est une succession de cercles sociaux et non l’humanité toute entière. Chaque contexte éveille un cercle social particulier qui édicte le consensus et les règles. Chacun d’entre nous se loge ainsi dans des hiérarchies locales ; plus le cercle est vaste plus la pyramide devient générale. Néanmoins l’indépendance des cercles fait qu’un grand chef d’entreprise peut avoir une hiérarchie domestique moins favorable…

Le réglage TD permet de retracer tous les destins individuels. Ceux qui restent soliTaires buttent dans la hiérarchie, refusant de se fondre dans le D qu’ils ont échoué à modifier. Ils voient la hiérarchie d’un très mauvais oeil, comme incapable de reconnaissance. D’autres reviennent dans le D et patientent, peaufinent leurs idées, les présentent à des organismes plus accueillants. C’est généralement l’effort soliDaire et non soliTaire qui obtient le succès. D’ailleurs les inventeurs de génie tirent rarement le plein bénéfice de leurs trouvailles. Ce sont des communicants plus soliDaires autour d’eux qui en profitent, au point de justifier l’ironique “loi” d’éponymnie de Stigler : « Une découverte scientifique ne porte jamais le nom de son auteur ».

Comment construire un Tout non ‘totalitaire’ ?

J’ai parlé plus haut de contrainte ‘totalitaire’ de la hiérarchie. La totalité c’est le Tout qui s’impose à ses parties. Pourquoi les parties cherchent-elles éventuellement à le rejeter ? Parce qu’elles ne se sentent pas représentées par lui. Nous avons là la version antagoniste de la relation Tout/parties qui a donné son sens péjoratif au terme ‘totalitaire’. Mais il en existe une version plus coopérative, où les parties comprennent que le Tout agit pour le bien commun des parties. Il faut donc regarder de près ce que ‘totalitaire’ désigne.

S’agit-il d’un individu qui a pris le pouvoir pour s’imposer aux autres et les exploiter, le classique ‘tyran’ ? Le terme ‘totalitaire’ n’est pas vraiment adapté, car il s’agit d’une partie qui contrôle les autres par la force et non d’un gestionnaire du Tout. S’agit-il d’un représentant élu par une majorité des parties, le classique ‘président démocratique’ ? Il est bien potentiellement gestionnaire de l’intérêt collectif, encore faut-il que ses résultats confirment. Le désir de fonction présidentielle n’est pas forcément celui d’être la meilleure totalité possible. Beaucoup d’intentions annexes parasitent l’esprit humain. Les parties ne découvrent qu’a posteriori si le personnage correspond à la fonction.

Comment former les bons décisionnaires

Pas de bon représentant de la totalité sans formation et conviction de la nécessité de la tâche. Or les démocraties n’ont pas réellement d’école dédiée à cette fonction. Elle paraîtrait trop élitiste voire héréditaire, avec un accès réservé à un petit nombre de familles. L’effondrement des hiérarchies qui marque les démocraties entraîne une perte de spécialisation des décideurs. Ils sont censés pouvoir diriger aussi bien une entreprise multinationale, un gouvernement, ou une organisation humanitaire. Inconvénient : les paradigmes éthiques de ces fonctions diffèrent profondément, et il est difficile de les garder séparés dans les esprits des futurs dirigeants.

Cet inconvénient des démocraties dé-hiérarchisées se retrouve à l’état d’avantage dans les oligarchies très hiérarchisées. Au Tibet par exemple, traditionnellement géré par une oligarchie religieuse, le Dali-Lama est choisi très tôt pour sa fonction. Empathie, intelligence et perspicacité sont repérées chez un enfant encore très jeune, et une éthique rigoureuse de sa fonction lui est enseignée. Il devient le représentant parfait de la Totalité tibétaine, et se trouve ainsi très peu contesté.

Des conclusions identiques d’Ouest en Est

Platon et Confucius sont les deux grands penseurs de la politique dans l’Antiquité. Ils sont arrivés, en Occident et en Orient, aux mêmes conclusions. La hiérarchie est incontournable et son sommet doit être rendu imperméable aux vicissitudes de la vie, afin de se consacrer exclusivement aux idéaux collectifs les plus purs. Pour Platon les dirigeants ne doivent rien posséder, ne peuvent transmettre aucun bien matériel. La hiérarchie platonique et confucienne est une hiérarchie de la morale.

Elle se rapproche ainsi de la hiérarchie religieuse, où le meilleur des humains est celui qui s’approche au plus près de Dieu et de sa parole. Mais nous voyons où cela conduit : à s’abstraire complètement des contingences terrestres. Fuite gênante si le travail du dirigeant consiste à gérer ces contingences. Le sommet politique diffère en cela du sommet religieux : il s’agit de connaître parfaitement les contraintes matérielles, au mieux en les ayant vécues, mais ne pas leur être directement soumis.

La transparence en démocratie

Le travail de transparence entrepris par les démocraties sur ses élus a des avantages et des inconvénients. Déclarer leur patrimoine, laisser les médias éplucher les moindres détails de leur vie antérieure et de leur profil psychologique… ne fait que mettre en lumière les défauts des candidats sans rien ne pouvoir y faire. L’élu idéal n’existe pas. Son inconscient s’est construit sans référence à la fonction présidentielle. Les dérapages sont toujours possibles.

Les meilleurs candidats sont ceux ayant grandi dans une période mouvementée. Platon et Confucius sont nés à des époques de grande instabilité politique. Les conflits incessants permettent aux penseurs d’accumuler une foule d’observations sur la société et les incitent à concevoir des solutions plus complètes. L’intelligence politique est un degré de complexité proportionnel à celui des difficultés humaines rencontrées. N’attendez rien d’un politicien né dans un monde conservateur, et tout de ceux qui ont observé les révolutions sans y participer.

La politique manque de modèles prédictifs

Corollaire : les périodes d’évolution sociale rapide, comme celle que nous vivons, sont gérées par des politiciens toujours un peu trop conservateurs, qui n’ont pu les anticiper. Elles font apparaître une nouvelle génération d’élus, cette fois plus adaptés à la nouvelle complexité.

Si l’aplatissement des hiérarchies constaté dans les démocraties modernes a l’avantage de rendre l’élu plus sensible aux désirs de ses électeurs, il a l’inconvénient majeur d’empêcher qu’il s’en émancipe pour les gérer de manière collective. Le populisme c’est élire un chef de bande qui représente directement les intérêts les plus sommaires de ses comparses. Cela fonctionne à l’échelle de la tribu mais pas de la planète. La dégradation des hiérarchies entraîne la décomposition du tissu social et a mécaniquement l’effet inverse de celui recherché en démocratie : l’augmentation du bien-être général.

Comment ré-hiérarchiser efficacement la démocratie ?

Nous avons vu que la contestation des hiérarchies est surtout celle de ses dysfonctionnements, plutôt que du principe lui-même. Les anarchistes convaincus, fidèles à Proudhon, ne sont qu’un petit clan enfermé dans un vice fondamental que j’ai décrit dans un précédent post. La plupart des contestataires sont fâchés avec la hiérarchie telle qu’elle apparaît aujourd’hui, et les inégalités qu’elle semble protéger.

Ce point de vue est certainement erroné. Pour s’en convaincre, il suffit de s’éloigner un peu des conspirationnistes et leurs Illuminati, pour s’intéresser aux mathématiques. Dans une économie de libre-échange, plus le nombre de participants augmente plus leurs écarts de richesse s’accentuent. Ce qui le dit est un modèle mathématique très simple tenant compte de l’intérêt respectif des acteurs de chaque échange. Chaque individu est supposé entièrement indépendant dans ses choix et non soumis à une pression quelconque des plus riches. C’est l’idéal du libre-échange, qui ne reflète bien sûr pas la réalité mais auquel souhaiteraient parvenir en particulier les anarchistes.

La régulation d’un libre-échange mathématiquement inique

Mécaniquement plus le marché s’étend plus les écarts augmentent. Dans un marché devenu mondial, le modèle indique que les ultra-riches devraient être encore plus riches, et les écarts en général bien plus importants qu’ils ne le sont aujourd’hui. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? Parce qu’il existe une régulation politique de l’économie. Même dans les pays les plus libéraux existe une politique sociale qui tend à réduire les écarts. Les politiciens s’y emploient en ordre dispersé, la vieille Europe plus concernée que la nation américaine moins historisée et que les jeunes économies asiatiques, moins préoccupées de souder leurs populations dans un essor encore frais. Néanmoins tous les gouvernements tendent à réduire une fracture sociale qui serait bien plus importante si les échanges étaient entièrement libres, au sein d’une hypothétique anarchie mondiale.

L’idéal de moralité descendant gêne la moralité naturelle ascendante

La hiérarchie est donc rigoureusement indispensable à un tissu social resserré et solidaire. Ce n’est pas son principe qu’il faut contester mais bien la manière dont elle fonctionne. Ce n’est pas vraiment la moralité, telle que le souhaitaient Platon et Confucius, qui doit l’imprégner. La moralité est le symptôme d’un bon fonctionnement hiérarchique ascendant. Elle n’est pas inhérente à l’essence humaine et il serait naïf d’en faire un principe d’organisation. D’où l’échec patent de Platon en politique, et un peu plus relatif de Confucius. Leurs idéaux ont toujours séduit dans les hautes sphères, à l’abri des contingences du peuple. Mais la moralité est difficile à faire ingurgiter à celui qui cherche à satisfaire des besoins élémentaires, sauf à l’enfoncer à coups de matraque. Laissons donc la moralité de côté, en souhaitant seulement que chacun finisse par en présenter les symptômes, grâce à une hiérarchie appropriée.

Dans cette ligne, les deux principes qui doivent fonder la hiérarchie sont la perméabilité et le rétro-contrôle.

La perméabilité

Il existe deux manières fondamentalement différentes de voir le principe hiérarchique : soit comme une délimitation des tâches, soit comme leur point focal. Dans la première manière, l’indépendance est quasi totale ; de part et d’autre de la limite on change de responsable. Dans la seconde manière l’indépendance est relative ; la tâche est effectuée en relation étroite avec les niveaux sus et sous-jacents de la hiérarchie. L’indépendance réside seulement dans le coeur de la tâche et non dans ses motivations. Elle répond à une organisation complexe et n’en est jamais complètement émancipée.

La délimitation entraîne une étanchéité des niveaux hiérarchiques. Entièrement baron en son domaine, le gestionnaire d’une tâche délimitée rend compte des résultats mais pas de la manière. Parfois avantageux si la manière est d’une efficacité originale. Bien plus souvent désastreux parce que la manière n’est pas coordonnée au reste de la structure d’organisation.

Les méfaits de l’étanchéité sont enterrés dans la tradition

L’étanchéité est aussi responsable du sentiment d’injustice dans une organisation méritocratique. Le gestionnaire est protégé par la délimitation des tâches. Sans regard adjacent possible, il est plus difficile de le remplacer par un plus méritant. C’est du sommet que se décrète la valse des nominations. Or plus l’on est placé haut plus l’on craint de descendre. Une hiérarchie étanche tend à rester sagement installée dans son statu quo.

En exemple de hiérarchie étanche, on peut citer les castes indiennes, longtemps castratrices pour la société de ce pays, versus la hiérarchie perméable qui a permis l’essor inouï de l’économie américaine. Les choses s’assouplissent en Inde mais c’est aussi la dé-hiérarchisation américaine qui rapproche les performances des deux pays. L’Inde rend sa hiérarchie plus poreuse tandis que les USA la décrédibilisent. Chacun aurait intérêt à examiner les erreurs de l’autre pour continuer son élan.

Le rétro-contrôle

La perméabilité est la condition principale du bon fonctionnement hiérarchique. Mais comment gérer les mouvements de classe ? C’est le rôle du second principe : le rétro-contrôle. L’évaluation d’une tâche ne peut être effectuée au sein du niveau d’organisation. Il y a conflit d’intérêt, puisque ce niveau exerce le même rôle et est en compétition pour accéder au niveau supérieur. Le simple fait d’être évaluateur, au sein d’une équipe, détermine un niveau supérieur. Si l’évaluation est coopérative, par le vote, c’est alors le tout formé par l’équipe qui devient le niveau supérieur, et ce ‘tout’ fait l’objet d’un jugement par d’autres organismes. Dans tous les cas la hiérarchie intervient dans le rétro-contrôle.

L’évaluation d’une tâche vient généralement des niveaux qui en bénéficient, soit les sus-jacents dans l’organisation. La seule exception concerne des tâches qui seraient entièrement internes au niveau où elles s’effectuent. Mais elles sont moins nombreuses qu’on l’imagine et souvent jugées ainsi à cause de la dé-hiérarchisation contemporaine, plutôt que pour leur réelle indépendance.

Les tâches indépendantes étant difficiles à rétro-contrôler, elles sont source de dysfonctionnements dans l’organisation générale. Une hiérarchie efficace a cette fois intérêt à les délimiter très rigoureusement, pour éviter qu’elles n’empiètent sur les tâches coordonnées. Elles se font hors du temps de travail communautaire ou sont externalisées auprès de travailleurs indépendants.

La moralité est une force de liaison, pas de gestion

Pour toutes les autres tâches c’est l’organisation supérieure qui se charge de l’évaluation. Cela ne désigne aucun personnage en particulier. Un comité d’évaluation peut recruter n’importe qui doté des connaissances et du souci pour l’intérêt du niveau supérieur. Cette compétence doit remplacer un idéal absolu de moralité. Une évaluation est éthique, au plan hiérarchique, quand les règles de fonctionnement du niveau d’organisation sont correctement prises en compte. Les règles sont arides et dépourvues d’empathie lorsqu’elles traitent de modes d’organisation. Mais rien d’empêche de réintroduire la compassion en tant que règle élémentaire, au niveau adéquat, c’est-à-dire avant l’application des décisions sur les gens. C’est même un impératif. La moralité fait partie des règles essentielles dans les relations inter-humaines, mais pas dans les relations avec les instruments de gestion, qui sont souvent des objets mathématiques totalement dépourvus d’âme.

En cernant précisément la tâche de l’évaluateur, il n’est pas obligatoire que l’évaluation se déroule au sein de la hiérarchie. Il est même préférable de la rendre indépendante, malgré les coûts supplémentaires. Elle s’affranchit ainsi des jeux de chaise courants dans les institutions comme les entreprises. Cela rend aussi possible une évaluation jusqu’au sommet de la hiérarchie. Il n’est pas nécessaire d’exercer la fonction mais il faut en avoir une connaissance poussée. Il semble ainsi pertinent de faire évaluer le travail présidentiel par d’anciens présidents ou de grands chefs d’entreprise plutôt que par la rue et ses innombrables experts auto-proclamés.

Conclusion

J’ai soutenu au long de cet article la nécessité de la hiérarchie et milité pour son extension pour qu’elle redevienne moins visible et pesante. Je cite en conclusion l’argument le plus fort pour l’obligation de hiérarchie, que je ne détaille pas ici mais que les lecteurs assidus du blog comprendront sans peine : Étant nous-mêmes intérieurement une hiérarchie conceptuelle, il nous faut une hiérarchie à l’extérieur pour intégrer à la réalité notre monde personnel.

Sans cela nous nous contentons généralement de vouloir remplacer la réalité par ce monde personnel, perdant au passage d’innombrables nuances de la réalité, le respect des mondes propres à nos congénères, et la connaissance de la réalité commune qui permettra de faire aboutir nos souhaits. Dérouter un monde ne se fait pas en le poussant de l’extérieur, pauvres fourmis que nous sommes. Notre seule chance est de s’y intégrer, grimper sa hiérarchie, et commencer enfin à tourner le volant.

Soutenir le principe de hiérarchie est soutenir sa propre réalisation personnelle, et non la freiner.

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Child, John – Hierarchy, A Key Idea for Business and Society, 2019
Perrineau, Pascal – Le Populisme, 2021
Piketty, Thomas – Le capital au XXIè siècle, 2013

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