Abstract: Débat entre Olaf Scholz, chancelier allemand, et Axel Honneth, philosophe auteur de ‘Le Souverain au travail’, sur le problème de la reconnaissance du travail dans la société contemporaine. L’intérêt du débat est qu’il est l’archétype de l’esquive des fondamentaux du problème. L’ontologie sociale n’est pas même évoquée. Étonnamment le philosophe apparaît encore plus englué dans la démagogie. Je fais rapidement allusion au véritable coeur de l’affaire, la relation individu/collectif, à la fin de la discussion.
Les débats entre politiciens et philosophes sont souvent passionnants. On s’attend à voir s’éteindre la langue de bois, outil favori des politiciens devant les foules, considérées comme trop abêties pour entendre la sincérité. Ici l’audience est éduquée : ce sont les lecteurs de Philosophie Magazine, qui s’offusqueraient d’être la cible d’arguments démagogiques. La ligne de ce magazine étant nettement marxiste, comme nous l’avons vu à propos des retraites en France, on ne s’attend pas à ce qu’il défende le capital. Sans surprise, le débat sur le travail proposé par une journaliste allemande met aux prises un chancelier socialiste et un philosophe post-marxiste. Voyons si cette gauche pragmatique contemporaine parvient à éviter les non-dits.
La discussion étant passionnante et emblématique du genre, je la reproduis en intégralité, en insérant mes commentaires. Étant donné l’origine des débatteurs je publie exceptionnellement l’article en allemand, avec par avance toutes mes excuses pour les erreurs —je suis trop médiocre dans cette langue pour corriger les imperfections de Google Traduction.
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Olaf Scholz-Axel Honneth: un chancelier et un philosophe au travail, 16 août 2023
Svenja Flaßpöhler (la journaliste) : Monsieur Scholz, le SPD, dont vous êtes membre, a depuis longtemps coupé les ponts avec ses racines marxistes. Aujourd’hui, les électeurs vous délaissent, et l’AfD [Alternative pour l’Allemagne, parti politique allemand d’extrême droite] fait jeu égal avec votre parti. Était-ce une erreur ?
Olaf Scholz : Je ne partage pas votre analyse. Je répondrai d’abord de manière biographique. Je suis membre du SPD depuis 1975 et je fêterai donc, dans deux ans, le cinquantième anniversaire de mon appartenance au parti. Durant toutes ces années, mon thème a toujours été le travail. C’est pourquoi je suis devenu avocat en droit du travail. J’ai représenté des comités d’entreprise tout comme des travailleurs qui avaient été licenciés ou dont les postes devaient être supprimés. Raison pour laquelle j’ai vraiment beaucoup aimé lire votre livre, Monsieur Honneth [Der Arbeitende Souverän « Le Souverain au travail », qui a paru cette année en Allemagne]. J’ai moi aussi une conscience profonde du fait que les personnes qui travaillent, par exemple chez Ford à Cologne, sont le souverain en démocratie. Mais venons-en à votre question. Tout d’abord, le programme de Bad Godesberg [adopté en 1959 par le SPD, il reconnaît l’importance de l’économie de marché et dénonce le communisme] n’était pas un abandon du mouvement ouvrier.
La journaliste : Ce fut tout de même un adieu au marxisme…
O. S. : La véritable décision du programme de Godesberg a été l’évolution vers un parti populaire. Le SPD est l’inventeur du parti de masse en Allemagne : il s’est alors ouvert à d’autres groupes qui s’engageaient pour la démocratie, la solidarité et la justice, sans être nécessairement issus du milieu ouvrier traditionnel.
Axel Honneth : Pour répondre rapidement à votre remarque biographique initiale : j’ai adhéré au SPD avant vous. Mais j’ai également quitté le parti beaucoup plus rapidement. Je peux comprendre l’abandon de certains fondements du marxisme. C’était sans doute nécessaire, dans la mesure où la théorie marxiste était un produit de l’industrialisme. Le mouvement ouvrier, influencé par le marxisme, misait tout sur la force révolutionnaire du prolétariat industriel. Dans les années 1950, le paysage du travail a commencé à se transformer radicalement. Nous assistions au passage du travail industriel à la société de services. Dans ce contexte, continuer de se référer uniquement au prolétariat industriel aurait certainement été une erreur.
La journaliste : Mais ?
A. H. : La question est plutôt de savoir si, dans la transition d’un parti ouvrier vers un parti populaire, le travail n’a pas été par trop mis de côté. Le passage au parti populaire aurait davantage réussi si le SPD avait continué à affirmer qu’il était un parti du travail – plus exactement du travail sous ses nouvelles formes, qui sont nombreuses – et si le parti avait dit : nous représentons les intérêts et les préoccupations de tous ceux qui accomplissent un travail pénible et exigeant ; nous veillons à ce que, au sein de cette société, le travail soit équitable et bien organisé dans tous les espaces où il prend place, de la femme au foyer – et de plus en plus aujourd’hui, espérons, de l’homme au foyer – aux ouvrières d’Amazon, en passant par le personnel soignant des hôpitaux. La crise du coronavirus a mis en lumière, l’espace d’un instant, un manque de reconnaissance, de sécurité et de rémunération financière ; mais ces enjeux ont très vite été oubliés.
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Commentaire : Cette entrée en matière est admirablement intelligente et sincère. Remarquez que les bons communicants procèdent tous ainsi. Ils débutent sur une honnêteté percutante, mettant l’auditoire dans des dispositions favorables. « Ce type parle vrai ! » Ce qui permet plus facilement de passer des couleuvres et dissimuler ses absurdités par la suite. Mais pour l’instant le problème est parfaitement posé : Une politique du travail soucieuse des classes populaires doit s’adapter à l’évolution du marché du travail, sans perdre de vue son objectif initial : améliorer la solidarité entre les classes sociales.
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O. S. : Je suis d’accord. Pour exprimer cette préoccupation essentielle, j’utilise d’ailleurs le terme de respect. Mais nous devons également faire preuve de respect sur d’autres plans. La formule « l’ascension par la formation » [initiative de formation lancée en 2008] est bien sûr un objectif important, mais, en tant que norme sociale, cet horizon a conduit à ne plus valoriser suffisamment certaines professions. Le travail d’un avocat, d’un professeur d’université, d’une journaliste ou d’une philosophe n’a pas plus de valeur que celui des gens qui travaillent à l’abattoir, qui entretiennent nos parcs, qui construisent nos maisons… C’est aussi à ce niveau que nous avons perdu de vue le respect. C’est pourquoi je veux dire très clairement qu’il est fondamental d’avoir du respect pour tout travail.
A. H. : De prime abord, je ne suis pas certain de la portée réelle de la différence entre respect et reconnaissance. Elle est probablement minime. Cependant, je pense que tant que l’on s’en tient au « respect », nous en restons à une demi-vérité. Le respect exige la création de conditions qui permettent à celui qui doit être respecté de considérer ce respect comme mérité. Nous devons nous demander ce qu’il faut faire de plus pour que le respect devienne effectivement respect ou reconnaissance. Selon moi, cela implique que nous réorganisions concrètement l’activité de ceux qui méritent l’estime et le respect, de telle sorte que ces gens cessent de considérer leur travail comme un geste creux et purement symbolique. Une véritable reconnaissance, un respect sincère, impliquerait de créer des conditions matérielles qui justifieraient les expressions d’estime.
La journaliste : Vous écrivez pourtant que les conditions matérielles seules ne suffisent pas…
A. H. : Bien entendu. Cela demande d’interroger la division du travail elle-même. Le fait que les activités professionnelles soient divisées d’une certaine manière n’est pas l’expression de nécessités technologiques ou de contraintes fonctionnelles. Bien souvent, les professions qui existent aujourd’hui sont nées à la suite de conflits politiques et économiques. La question de savoir, par exemple, si le personnel soignant devrait pouvoir exercer dans le cadre de son travail plus de compétences que ce qui est actuellement autorisé en vertu de la réglementation professionnelle est une question importante. Toutes les professions simples sont des structures relativement artificielles, créées notamment pour répondre à un calcul politico-économique dont l’objectif est de réduire les exigences en matière de qualification, afin de pouvoir diminuer les coûts de maind’œuvre. À plus long terme, nous devons nous demander si ces professions ne devraient pas être redéfinies. Avec un brin d’imagination sociale, nous pourrions envisager ce qui est parfaitement compatible avec la social-démocratie – comment organiser la chaîne de division du travail de manière que certains n’effectuent pas un travail excessivement répétitif, pénible et épuisant, alors que d’autres perçoivent un revenu considérable pour relativement peu de travail. C’est un horizon plus radical que ce dont nous avons discuté jusqu’à présent. On ne peut pas se contenter de ce qui existe : l’infirmière fait ceci, le médecin fait cela. La division du travail peut être entièrement repensée ; rien n’empêche la recomposition des activités. Dans les faits, de nombreuses professions se recomposent depuis longtemps déjà. Désormais, le contrôleur ferroviaire contribue à la livraison des repas.
La journaliste : Et c’est un progrès ?
A. H. : Non, bien entendu. C’est une charge supplémentaire considérable. Je veux simplement dire qu’il est en principe possible de restructurer les métiers. La social-démocratie pourrait en faire l’un de ses chantiers principaux et commencer à réfléchir à de nouvelles formes de travail, plus satisfaisantes intellectuellement, moins répétitives, moins monotones.
O. S. : Je suis d’accord. Néanmoins, une question m’est venue en vous lisant : faut-il mener un type particulier de vie pour avoir son mot à dire dans l’affaire ? Nous devons éviter un écueil : celui de ne pas faire confiance à ceux qui n’exercent pas, actuellement, une activité intellectuellement satisfaisante pour prendre activement part à la démocratie. Dans votre livre, vous prenez d’ailleurs vous-même vos distances avec l’idéal marxiste du travail non aliéné et mettez au contraire en avant l’importance de la formation de la volonté politique.
A. H. : Je serais vraiment contrarié si mon livre donnait, ne serait-ce qu’un peu, l’impression de dire que ceux qui ne trouvent pas de conditions de travail suffisamment bien organisées ne peuvent pas participer à la démocratie.
La journaliste : Vous écrivez cependant explicitement que l’agent d’entretien devrait travailler de manière plus exigeante sur le plan intellectuel afin de développer une volonté politique…
A. H. : Je dis que le travail répétitif a certaines conséquences. Il ne rend pas stupide. Les gens qui l’effectuent ne sont certainement pas bêtes, bien au contraire : ils disposent de beaucoup plus de savoir-faire, d’expertise et d’intelligence qu’on ne le suppose souvent dans les hautes sphères. Mais le travail répétitif se révèle un danger lorsqu’il devient comme une seconde nature pour la personne. Celle-ci aura alors du mal à développer une force d’initiative et une confiance en soi suffisantes pour exprimer son opinion publiquement. Je pense ici au sentiment de honte ressenti par ceux qui effectuent des tâches que les autres regardent de haut. Comment pouvons-nous changer cela ? En valorisant davantage le travail. Mais quelle est la meilleure façon de le faire ? En rendant le travail plus complexe, en l’enrichissant de nouvelles tâches et en le rendant globalement plus exigeant. Personne n’aime faire un travail répétitif. On en souffre, on se sent sous-employé et exposé aux moqueries des autres. Nous devrions nous efforcer de mettre tout en œuvre pour transformer le plus possible le travail répétitif afin de le rendre plus intéressant.
O. S. : Sur le principe, je pense que cet effort normatif est juste.
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Commentaire : Après le début prometteur, les débatteurs sont vite passés à la langue de bois. Grosse surprise cependant ! Le politicien en use en premier mais se retrouve vite dépassé en mesure par le philosophe. Voyons cela :
Scholz aborde le “respect” du au travailleur, qu’il soit ouvrier ou médecin. Ce terme, comme celui de “dignité”, est assez vague pour y dissimuler un univers entier de non-dits, à propos du principe égalitaire et de sa discordance avec la réalité : les citoyens sont inégaux en tout, l’idéal de l’égalité s’efface derrière la gestion pratique des inégalités. Le terme “reconnaissance” est déjà nettement plus explicite, quoi qu’en dise Honneth, et conduit au bon vocabulaire : “reconnaissance de l’individualité”. Faites l’essai avec votre traitement de texte de remplacer ‘respect’ par ‘reconnaissance d’individualité’ dans les paragraphes précédents et les choses s’éclairent.
Mais la langue de bois n’a pas disparu pour autant. En cherchant à unifier la reconnaissance, Scholz et Honneth esquivent soigneusement le sujet de la hiérarchie des métiers et des responsabilités, comme si la société pouvait être “aplatie” par un coup de baguette magique. La hiérarchie des tâches semble ici traitée comme un héritage archaïque dépourvu de tout intérêt intrinsèque. Elle est pourtant le coeur du fonctionnement du monde du travail.
Scholz est le premier à s’emmêler les crayons en effaçant la hiérarchie derrière le respect : « Le travail d’un professeur d’université n’a pas plus de valeur qu’un travail à l’abattoir ». Pourquoi, dans ce cas, l’un est-il beaucoup plus rémunéré que l’autre et donne-t-il bien plus de pouvoir social ?
Mais c’est Honneth, le philosophe, qui se prend carrément les pieds dans le tapis. Il pense que les moins éduqués devraient faire un effort d’intellectualisation pour sortir d’un métier fade et répétitif, mais refuse de le reconnaître car ce serait constater la moindre valeur des métiers en question. Honneth dit : « Le travail répétitif ne rend pas stupide ». Mais il bloque certainement le développement de l’intelligence. Langue de bois. « Les gens qui l’effectuent ne sont certainement pas bêtes, bien au contraire : ils disposent de beaucoup plus de savoir-faire, d’expertise et d’intelligence qu’on ne le suppose souvent dans les hautes sphères. » Honneth cherche à s’évader de la souricière en assimilant toutes les formes d’intelligence à la générale. Mais la société accorde des valeurs très différentes aux intelligences logique, émotionnelle ou manuelle. À nouveau l’essentiel est esquivé.
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La journaliste : Comment comprenez-vous les phénomènes actuels de « grande démission » et de « démission silencieuse » ?
A. H. : Je ne pense pas que ces gens ne veulent pas travailler. Je pense qu’ils ont des difficultés à trouver des emplois au sein desquels ils pourraient vraiment s’identifier. Et cela est en partie dû à des conditions déplorables dans ces secteurs. Dans mon enfance et mon adolescence, le métier d’enseignant était une profession très respectée. Il faut voir comment cette profession est désormais payée, la quantité de travail que doivent effectuer les enseignants dans des classes très compliquées avec une hétérogénéité culturelle majeure. Ils doivent effectuer un effort considérable d’intégration, tout en étant confrontés souvent au droit d’opposition des parents. Le soir venu, ils rentrent à la maison complètement accablés psychologiquement et sans aucune estime sociale de la part de la société. Qui veut devenir enseignant ou enseignante dans ces conditions ? Le marché du travail s’est développé de telle manière que des professions qui pourraient être épanouissantes sont en fait organisées de telle manière qu’elles n’attirent plus personne.
O. S. : La manière de considérer le travail a connu des changements importants dans l’histoire des idées. Selon Luther, le travail était un accomplissement du devoir moral chrétien. Il est relativement nouveau dans l’histoire de l’humanité que la vie ne soit plus entièrement dominée par le travail, que beaucoup de gens soient encore en formation jusqu’à l’âge de 27 ans et qu’ils puissent jouir de vingt ou trente ans d’une vie sans travail après avoir pris leur retraite, grâce aux prestations sociales. La réduction du temps de travail est également une réalité relativement nouvelle ; elle laisse la place à d’autres centres d’intérêts. Mais cela ne signifie pas que le travail serait devenu totalement insignifiant pour nos identités. Cela ne signifie pas non plus que nous serions sortis du travail. En ce qui concerne, par exemple, la question des enseignants, nous devons admettre ce fait : dans certains Länder, il faudrait que 10 à 15 % des élèves de terminale choisissent le métier d’enseignant pour que nous puissions remplacer rapidement les enseignants qui partent à la retraite. Même si ces professions sont très bien payées chez nous par rapport aux États-Unis ou à la France, nous devons faire des efforts dans ce domaine. Nous tous, et en particulier les Länder, qui sont responsables des politiques d’éducation.
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Commentaire : Honneth, décidément très décevant, se prend lui-même à contrepied. Il regrette la dégradation du travail de l’enseignant, métier intellectuel s’il en est, alors qu’il résulte justement du nivellement de la hiérarchie dont il se fait le héraut. Le respect semble comme le pouvoir sujet à vases communicants : lorsqu’on l’augmente dans les basses couches sociales il s’assèche terriblement dans les hautes. Il y a visiblement quelque chose dans la psychologie humaine que notre érudit philosophe n’a pas compris. Ou qui est inavouable…
Scholz est plus pragmatique. Il pense que la revalorisation du métier d’enseignant passe non pas par une égalisation populiste du salaire mais par son augmentation. Néanmoins pour quelle raison le respect reviendrait-il ? N’est-ce pas la jalousie des autres qui serait exacerbée ? Nos débatteurs s’enterrent dans un univers dualiste où rémunération et respect sont aussi déconnectés que corps et esprit, et personne ne sait comment les relier.
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La journaliste : Le développement de l’intelligence artificielle peut-il également aider à résoudre le problème de manque de main-d’œuvre dans certains secteurs ?
A. H. : Nous pourrons certainement simplifier beaucoup de choses dans le secteur de la production grâce à l’intelligence artificielle et à la robotisation. Nous pourrons aussi automatiser de plus en plus certains des aspects les plus pénibles du travail qui subsistent encore aujourd’hui. Mais, à mon avis, nous ne serons pas capables de remplacer le travail humain dans les domaines du soin et de l’éducation, car ces derniers exigent une interaction avec la personne, une présence physique et une capacité d’empathie. À vrai dire, le besoin de main-d’œuvre dans les secteurs du soin et de l’éducation va augmenter. Nous vivons dans une société vieillissante. Pensons par ailleurs à ce que nous devrons faire à l’avenir dans les écoles si nous voulons intégrer tous les réfugiés que nous espérons pouvoir accueillir. Même avec les meilleures intentions du monde, je ne peux pas imaginer que l’on mette un robot face aux élèves. Je ne peux pas imaginer que l’éducation fonctionne sans interaction avec la personne de l’enseignant. Les émotions – y compris la résistance à l’enseignant ou l’enseignante – dont a besoin un élève à travers son parcours scolaire ne pourront pas être suscitées par un robot.
O. S. : Si l’on avait pris au sérieux tous les livres écrits depuis le XIXè siècle qui annonçaient que nous allions manquer de travail, nous aurions tous été au chômage au moins cinquante fois, et définitivement ! Il en a été autrement, et c’est pourquoi il y a matière à être confiants aujourd’hui. Notre principal effort est de veiller à ce que tout le monde puisse suivre le rythme des changements et à ce que personne ne soit mis de côté lorsque les exigences du travail changent. Les entreprises doivent faire un choix lorsqu’elles ont besoin de nouvelles qualifications de la part de leurs employés : les licencier et en engager de nouveaux, ou envisager de requalifier ceux qu’elles emploient déjà pour les former aux nouvelles activités nécessaires.
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Commentaire : Fin de débat démagogique sur la révolution de l’IA. La référence aux livres écrits depuis le XIXè siècle est stupide. Aucun philosophe ou économiste n’a pu anticiper les bouleversements liés à l’arrivée d’une intelligence qui va inéluctablement dépasser l’humaine. Seuls les auteurs de science-fiction s’y sont essayés, et leurs récits ne sont pas tous aussi sommairement positivistes.
Au final, ce débat sur le travail, après une bonne présentation du problème, est bien trop convenu et superficiel pour présenter le moindre intérêt. Le noeud de l’affaire n’est même pas cité. Il s’agit en effet de la relation entre l’individu et le collectif. L’individu est abondamment cité, à travers le ‘respect’ qui lui est du. Mais nulle part il n’est fait mention de l’intérêt du collectif. Seulement représenté par Scholz et complètement négligé par Honneth, comment alors existe-t-il vraiment ? Obligatoirement par l’effort que chacun d’entre nous y consacre. Le travail n’est pas dirigé intégralement vers son propre intérêt. Une partie va à l’intérêt collectif. Ce fait est radicalement gommé de la discussion, en particulier quand Honneth répond à la question de la ‘Grande Démission’ : « Je ne pense pas que les gens ne veulent pas travailler ». On s’étonne de trouver cette réplique populiste dans sa bouche plutôt que celle de Scholz. Certes les gens conservent un désir de travailler… mais pour eux-mêmes principalement, et accessoirement pour leurs proches. L’indifférence au collectif est croissante.
Celui qui se replie dans une propriété autonome à la campagne, cultivant et bricolant pour lui-même, fait comme si les services dont il bénéficie, invisibles parce qu’ils ont toujours été là, faisaient partie d’un cadre spatio-temporel inaltérable, sans qu’il soit nécessaire de s’en préoccuper. Cet “indépendant” l’est-il réellement, ou a-t-il surtout des oeillères bien plus fermées que le plus débutant des politiciens ?
Le problème du travail est donc avant tout un changement de perspective entre l’intérêt individuel et collectif, en chaque citoyen. Le premier est en progression constante. Il existe une part contraignante en tout métier, qu’il s’agisse d’un travail manuel ou hautement intellectualisé. Toutes les professions comportent des tâches répétitives et peu gratifiantes. C’est la conscience de leur importance en tant que rouages du collectif, et non comme valorisation individuelle, qui permet de les supporter.
Il existe certainement des rééquilibrages à faire entre les individus, mais ces rééquilibrages ne doivent pas se faire au détriment du collectif, qui montre actuellement des signes d’inversion et de désagrégation —montée des populismes, repli sur le clan social.
La reconnaissance de l’importance de tout métier n’est pas non plus censé effacer la méritocratie, qui consacre l’effort fourni à améliorer ses intelligences dans tous les domaines. Personne n’est stupide, mais tout le monde peut devenir plus intelligent…
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