Le principe T<>D en théorie quantique

(T<>D) Qu’es acquo?

Le principe T<>D est au coeur de la ‘théorie du Tout’ expliquée dans Surimposium. Il est d’une extrême simplicité : Toute chose émane d’un conflit entre individuation et collectivisation. Entre “Je suis” et “appartenir à”. Entre le T de soliTaire et le D de soliDaire. Chaque état d’une chose est un réglage entre ses tendances soliTaire et soliDaire, un réglage T<>D.

Le principe T<>D se retrouve sous une forme ou une autre dans toutes les disciplines scientifiques. Quand son importance théorique est repérée, il se révèle toujours d’une grande richesse conceptuelle. Prenons l’exemple de la reconstruction de la théorie quantique opérée par Carlo Rovelli (1996) :

Quantique de Carlo Rovelli

Rovelli part de deux axiomes :
A1: Il existe une quantité maximale d’information pertinente qui peut être extraite d’un système.
A2: Il est toujours possible d’obtenir de l’information nouvelle d’un système.
Ces axiomes peuvent sembler contradictoires, mais non : tout repose sur la ‘pertinence’ de l’information du 1er axiome. Elle trace une limite à l’information récupérable dans un système… pour un observateur.

Pour Rovelli l’information est observateur-dépendante. C’est aussi la définition de Shannon. Impossible de séparer la définition de l’information de l’observateur qui la recueille. Il n’existe pas d’information intrinsèquement objective, entièrement définie par elle-même.

Traduction

Traduite dans le langage T<>D, cela veut dire que le T, le soliTaire, l’individuation, n’existe pas isolément. Il ne peut que se référer au D, au soliDaire, au tout. Qu’est-ce exactement que ce “tout” ? Est-ce vraiment ‘tout ce qui existe’, ou seulement un tout significatif pour la relation avec l’individu, c’est-à-dire le contexte de cette relation ? Ou est-ce une partie encore plus réduite, la fraction du contexte dans laquelle intervient l’observateur ? Le “tout” est en fait un tout emboîté, observateur logé dans un contexte lui-même logé dans un cadre plus large. Nous ignorons quel nombre de boîtes forment la série et même s’il existe une boîte ultimement grande et une autre ultimement petite.

Les axiomes de Rovelli indiquent une variabilité de la dépendance de l’individuation au tout, concrétisant la présence de plusieurs observateurs possibles. L’information peut apparaître d’une certaine manière à la totalité d’entre eux, ou un seul. C’est le principe du réglage T<>D ; l’information peut s’y positionner n’importe où, vers le T ou le D, sans jamais les atteindre.

Changement de direction

Notons que l’observateur existe aussi dans le second axiome de Rovelli —“il est toujours possible d’obtenir de l’information nouvelle d’un système”—, mais la direction de la relation change :
1ère direction: L’observateur/contexte est le point de départ —“il existe une quantité maximale d’information pertinente qui peut être extraite d’un système”. C’est l’observateur qui aspire l’information. Pour lui, le système atteint un maximum d’information pertinente.
2ème direction: Le système est le point de départ. Il peut toujours produire de l’information nouvelle, soit par son évolution intrinsèque, soit devant différents observateurs/contextes extrinsèques.

Le principe sous-jacent à ces deux axiomes est qu’il existe une relation indissoluble entre l’information unitaire et la totalité dont elle fait partie. La formulation du principe T<>D ajoute que le Tout est lui aussi dépendant des unités. Évidence pour l’ontologie ‘bottom-up’ classique, mais aussi pour la téléologie ‘top-down’ : le Tout est lui-même unité, donc individuation dans un plus grand contexte. Nous retrouvons la hiérarchie de nos boîtes imbriquées.

Ça sert à quoi?

Quel est l’intérêt de reconstruire la théorie quantique ? Laissons la parole à Rovelli :

« La mécanique quantique ne cessera d’apparaître déroutante que lorsque nous pourrons dériver le formalisme de la théorie d’un ensemble d’affirmations physiques simples (postulats, principes) sur le monde. Par conséquent, nous ne devrions pas essayer d’ajouter une interprétation raisonnable au formalisme de la mécanique quantique, mais plutôt de dériver le formalisme d’un ensemble de postulats motivés expérimentalement. »

Les tentatives de reconstruction complète à partir d’axiomes simples ont jusqu’à présent échoué. Rovelli, avec seulement deux axiomes, a été le plus loin en matière de réduction, mais son développement oblige à faire des choix pour parvenir à l’espace de Hilbert quantique. Sa reconstruction ontologique ne se réduit pas à ces deux axiomes.

Au-delà de l’information

La raison est à mon avis que les axiomes sont déjà trop différenciés. Pourtant ils sont fondés sur un “concept-racine” parmi les plus abstraits : l’information. Partir d’une fondation aussi élémentaire semble la bonne direction. Quelques théoriciens (Tegmark) voudraient faire de l’information le fond ultime de la réalité. Malheureusement un handicap rédhibitoire l’empêche de prétendre à ce titre. L’information est basée sur les relations entre des individuations, sur une quantification de la réalité. Or tout ne peut s’expliquer à partir d’une réalité discontinue, discrète. Le tout, justement, dont nous avons un besoin impératif, est une continuité, une fusion.

Problème supplémentaire de la discrétion : comment deux individuations radicalement séparées font-elles pour échanger ? La discrétion introduit un fossé minuscule mais abyssal entre les unités, du même ordre que le dualisme corps-esprit. Chaque unité est son propre univers. Comment s’intéresse-t-elle à sa voisine ? Comment la réalité devient-elle indiscrète ?

Continuité du conflit et discontinuité de l’information

Il faut donc remonter à un concept plus profond que l’information, quelque chose dont l’information est une émanation. Certes c’est une émanation suffisamment fondamentale pour générer le réel, dans le monde physique, et le virtuel, dans le mental. Grâce à l’information nous progressons vers une réalité moniste, en ressoudant réel et virtuel à l’interface neurale, comme je l’ai montré dans Surimposium. Mais il faut à présent ressouder discret et continu. L’information n’y suffit pas. Il faut enquêter sur le principe même d’individuation et surtout sur celui de dimensions dans lesquelles prend place cette connaissance. Les dimensions permettent à notre connaissance de prendre forme, mais le principe origine n’a encore aucune forme. Il est illusoire d’en faire une expression mathématique. Ce serait le réduire au langage qui est notre seul moyen de le saisir. Mieux vaut dans ce cas utiliser le langage oral, certes plus flou mais ce flou cerne mieux ce que nous voulons attraper.

C’est pourquoi le principe que j’ai proposé a son sigle mathématique (T<>D), mais s’explique mieux avec un mot courant : le conflit. Le conflit, dans toute chose, entre sa part individuée et sa part appartenante. « Je suis » et « Tu es nous » réunis inconciliablement. Nous avons déjà dans ce principe le moteur de la réalité, l’explication qu’elle ne soit pas un fond statique. Elle s’occupe éternellement de chercher une conciliation impossible. Éternellement dans le sens d’une séquence infinie et non d’un temps —qui en est l’émanation. Si la réalité ne s’arrête jamais sur une conciliation définitive elle en rencontre beaucoup de provisoires. Équilibres métastables qui transforment le pur chaos en séries d’organisations. Ces niveaux organisés génèrent leurs propres conflits. Une autre séquence interactive exploratrice se surimpose1La surimposition (superposition + imposition) est l’émergence d’une information résultante par dessus la constituante, intriquée mais indépendante. à la stabilité de la précédente.

Quel ingénieur à la rescousse du soudeur?

Surimposition ? C’est le néologisme que j’ai créé pour traduire l’élévation d’un cran dans la dimension complexe. Cette variété dimensionnelle est la plus fondamentale. La seule qui accepte ensemble le discret et le continu. Chaque niveau a une face discrète/constitutive et continue/holiste. C’est la seule dimension “soudée”, dépourvue de ces minuscules fossés infinis qui caractérisent les dimensions discrètes de nos cadres habituels.

Reste à comprendre la nature de la soudure. Mais souvenons-nous que tout accord définitif à ce sujet est impossible. C’est la nature même du conflit 😉

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Reconstruction of Quantum Theory, Grinbaum Alexei, The British Journal for the Philosophy of Science 2007-jun 23 vol. 58 iss. 3

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