Imbécile

“Imbécile”, pourquoi ai-je autant envie d’utiliser cet adjectif et pourquoi cela me gêne-t-il à chaque fois ?

C’est d’abord un effet du principe TD. Mon savoir soliTaire, le T, voit les limitations du savoir des autres, un peu partout ; tandis que ma tendance soliDaire, la D, gênée par mes propres limitations, espère que je ne suis pas moi-même un imbécile. Le T répète que j’ai affaire à des ânes, pas moyen de le dire autrement, la D soutient qu’il ne faut pas généraliser, que l’intelligence emprunte bien des voies, etc.

En un sens cet adjectif, ‘imbécile’, a donc une grande utilité en tant que thermomètre TD. Si j’ai l’impression de partager le monde avec une foule d’imbéciles, je suis positionné mentalement dans mon T. Si je trouve des excuses à tout le monde, je suis dans ma D. Que conclure dans ce cas d’un emploi croissant et généralisé de l’adjectif ‘imbécile’ ? Non pas que l’humanité effondre son intelligence, mais plutôt son collectivisme.

Employer l’adjectif n’est pas en soi un problème, puisqu’il permet tout de même de hiérarchiser la pensée des gens côtoyés. Untel a une connaissance d’un sujet bien moindre que la mienne ? Inutile de s’attarder, sauf Untel est mon ami, mon enfant, mon élève. Hiérarchiser l’intelligence de l’imbécile au génie augmente la mienne, en triant la valeur des informations reçues.

Le problème ne vient pas de l’adjectif ‘imbécile’ mais de son mésusage chez les ultra-individualistes. Ils sont de plus en plus nombreux et appellent ‘imbécile’ ce qu’ils ne comprennent pas, dès lors ‘intelligent’ veut dire “qui me convient”. En appliquant ‘imbécile’ à la place d’incompréhensible, on rétrécit son univers intérieur à son propre savoir, bulle minuscule rendue étanche par la nécessité de se protéger des imbéciles.

L’imbécile devient l’étranger, l’inconnu, le monde où l’on ne veut pas rentrer, parce que l’on manque d’assurance pour quitter le sien. C’est sa propre imbécillité que l’on projette sur l’autre et qui oblige à retourner chez soi, acrimonieux, incertain et tiraillé… indécile ?

Un tel mésusage devrait nous décourager d’utiliser ce mauvais ‘imbécile’ qui est pourtant du bon français, et le remplacer par des termes plus populistes et qui détaillent mieux, finalement, ce que nous voulons en faire : ignare, panouille, un grand choix de marchandises écervelées (cloche, ballot, cruche, gourde, poire, cornichon), et enfin mal emmanché —la raison est-elle autre chose qu’un manche censé s’insérer dans le bon outil de réflexion ?

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