Monstres & compagnons

Qu’est-ce que l’amour ?… Peut-on en quelques mots de lever le voile immense qui dissimule le plus grand mystère de l’humanité ? Impossible, n’est-ce pas ? Et pourtant, si l’on a compris le principe qui fonde tous nos repères, la réponse est d’une simplicité lumineuse. Tous nos jugements proviennent soit d’un sentiment d’individuation soit d’appartenance, le T soliTaire ou le D soliDaire. Leur contradiction intrinsèque fait la richesse de nos visions sur le monde, et leurs conflits. Or l’amour est à la fois individuation ultime et appartenance ultime. À son propos, tous nos repères sont équivalents et s’auto-annihilent. Comment définir quelque chose sans le moindre repère ? Vous comprenez là l’amour ultimement égoïste comme celui ultimement fusionné à l’autre, ainsi que l’infinie suite d’interrogations des poètes.

Vladimir Jankélévitch sur France Culture en 1978: « La raison de l’amour, c’est l’amour. La raison de l’amour, c’est qu’on aime. » Auto-référence montrant l’absence de repères extérieurs. Vladimir est un collectiviste ; il est positionné entièrement sur son D soliDaire et ne voit rien dehors. Mais il pourrait être macho exigeant la propriété totale de sa compagne et dire exactement la même chose. Le T du soliTaire tient un discours semblable.

Nicolas de Chamfort: « En amour, tout est vrai, tout est faux, et c’est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité. » Tout est vrai et tout est faux selon que l’on se positionne sur le T ou le D, mais de même on ne peut pas dire d’absurdité et on peut les dire toutes, car il faut bien une position pour parler d’absurdité.

Maurice Merleau-Ponty: « L’amour, c’est le mouvement par lequel je me suis tourné vers quelqu’un, la transformation de mes pensées et de mes conduites. » Augustin: « Je t’aime –je veux que tu sois ce que tu es » Maurice est positionné sur son T ; il se tourne vers l’autre et se voit changé. Augustin est dans son D ; il s’est fusionné à l’autre et a complètement abandonné son T —le ‘je’ chez lui est de trop. Si ‘tu’ est ce qu’il est, et rien d’autre, alors ‘je’ a disparu dans la relation. L’amour est aussi bien appropriation qu’extinction du soi.

La seule définition commune est qu’il dévore. Un ogre ? Cela expliquerait que certains s’en méfient autant. Mais les monstres savent montrer tellement de charme… ils ne manquent jamais de compagnie.

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“All you need is love”, et réciproquement. Sven Ortoli sur Philomag

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