Abstract: Les mystères quantique et conscient sont rapprochés dans la théorie quantique de la conscience, où le phénomène est attribué à l’interaction entre neurotransmetteurs et champ de point zéro. Succès matérialiste mais galéjade philosophique, la richesse qualitative de la conscience n’étant pas prise en compte. Une pépite, pourtant: la théorie est une solution simple à la difficile interprétation de l’effondrement de la fonction d’onde en physique. Une conciliation est apportée par Surimposium, théorie multidualiste qui replace la dimension complexe entre les effondrements de probabilités quantiques et mentales.
Deux mystères qui se tiennent la main?
Dans la foulée de l’enquête scientifique exhaustive mais classique menée récemment sur la conscience des IAs, examinons les théories moins centrées sur les neurosciences, moins consensuelles également. La plus populaire est certainement la conscience quantique. Le monde quantique paraît à la majorité d’entre nous aussi mystérieux que la conscience phénoménale. N’est-il pas tentant de rapprocher les deux mystères ? Deux signatures célèbres, Penrose et Hameroff, ont défriché le terrain. Depuis c’est une ruée vers l’or quantique ! Les chercheurs de pépites se précipitent. Voyons par exemple ce qu’a trouvé Joachim Keppler, présent au 1er Atelier sur l’Intelligence Artificielle pour la Perception et la Conscience Artificielle (Aixpac 2023), avec l’article Amener les robots au-delà du seuil de conscience : conditions scientifiquement fondées pour la conscience artificielle.
Le champ fondamental de conscience, annonce Keppler, est le champ de point zéro (Zero-Point Field ZPF) de l’électrodynamique quantique (Quantum Electro-Dynamics QED). Le phénomène conscience apparaîtrait par couplage du champ ZPF avec les neurotransmetteurs qui opèrent dans les micro-colonnes du cortex, ses unités fonctionnelles élémentaires. La conscience serait une modulation du champ ZPF, désordonné à l’état basique, devenant cohérent dans l’interaction avec les neurotransmetteurs.
La théorie quantique a des avantages…
L’article de Keppler, dans les pas de Penrose et Hameroff, offre l’avantage de ramener la conscience au sein de la physique, donc d’un matérialisme fondamental. Pour cette raison les auteurs affirment la théorie ‘scientifique’. Elle est en effet réfutable par l’expérience. Il suffirait de mesurer les états du champ ZPF et les corréler à des états de conscience éprouvés. Ce n’est pas technologiquement possible pour le moment, mais l’hypothèse place la conscience quantique parmi les théories scientifiques, c’est exact.
Malgré son ancrage matérialiste, cette théorie est susceptible de séduire les plus mystiques des partisans du panpsychisme. En effet le champ ZPF équivaudrait au “champ de Dieu”, à l’outil dont Il se serait servi pour nous doter d’une conscience. L’âme est là, au moins dans une apparence, et l’on peut encore spéculer sur ce que son champ recouvre. Voici le monde spirituel qui prend fermement pied dans le réel.
…mais est une galéjade philosophique
N’importe quel philosophe exercé, par contre, fera la moue. Pour lui, la conscience quantique relève de l’imposture. Comment faire une équivalence, en effet, entre une variation de régime d’un champ quantique et la richesse des impressions conscientes ? Est-ce un canular ? S’il est un champ concerné par la conscience quantique, c’est celui des questions, qu’il faut rétrécir terriblement pour continuer à s’y intéresser. Les scientifiques sont sans doute plus philosophes qu’on l’imagine, car la plupart d’entre eux éprouvent le même scepticisme face au réductionnisme quantique.
Une pépite à considérer
Néanmoins il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il existe bien une pépite cachée dans la conscience quantique : elle est une explication séduisante au problème de l’effondrement de la fonction d’onde. Ce problème ardu n’est toujours résolu en physique, et un kaléidoscope de théories s’affronte à ce sujet, de l’interprétation de Copenhague au multivers d’Everett en passant par la décohérence et l’onde-pilote de De Broglie. Parmi elles, la théorie idéaliste qui fait intervenir l’observateur, également appelée interprétation de von Neumann–Wigner, est l’explication la plus simple et courte : l’effondrement provient d’une observation consciente. Couplée avec l’équivalence conscience = champ ZPF, l’interprétation n’est plus dualiste mais entièrement moniste à l’échelon quantique ; inutile de faire des hypothèses audacieuses voire fantaisistes.
Explication courte, mais dramatiquement trop raccourcie pour un chercheur pluri-disciplinaire sur la conscience. Gros inconvénient en passant : seul un être conscient donc doté des fameux neurotransmetteurs est capable d’effondrer la fonction d’onde. Affirmation si arbitraire qu’elle semble intenable. La plus classique décohérence, par exemple, autorise l’effondrement à tout moment par interaction avec des photons du rayonnement spatial profond. Deux réalismes s’opposent, l’un autonome, l’autre entièrement dépendant de notre conscience. C’est un gouffre qu’il faut sauter.
Franchir ce nouvel abysse
Décidément l’histoire de la conscience est faite de dualismes abyssaux à combler. Comment garder une explication facile à l’effondrement de la fonction d’onde tout en conservant sa richesse à l’expérience consciente ? La réponse est dans la complexité, une dimension quasi occultée dans la conscience quantique et les théories en neurosciences, alors que tout scientifique baigne dedans, ne serait-ce que par les limites que cette dimension impose à sa spécialité.
Je risque de perdre les non-spécialistes de la complexité dans les paragraphes suivants. Si vous en êtes, sautez à la conclusion.
La complexité surimposée
La solution que j’ai proposée dans Surimposium est un multi-dualisme poussé à l’extrême : chaque système auto-défini par les interactions de ces éléments est un plan de réalité doté d’indépendance relative. Lorsque l’information du système est intégrée —la valeur de chaque information est dépendante de toutes les autres— l’ensemble acquiert deux facettes indissolubles, locale et globale. La facette globale est une approximation de la facette locale, ce qui fait son indépendance. En effet les propriétés globales ne changent pas dans une fourchette de variation des interactions locales.
Au plan physique, l’approximation est l’effondrement des probabilités que le système soit telle ou telle chose dans l’interaction avec un système de même niveau. Le système n’est en effet jamais solitaire. Auto-défini spatialement et temporellement par ses interactions, il devient élément d’un contexte plus large. C’est dans cette interaction nouvelle qu’a lieu l’effondrement des probabilités. La réalité s’auto-observe à chaque niveau de complexité. La présence de conflits persistants / d’énergie libre crée un niveau d’interaction supérieur.
La réalité complexe est un mille-feuilles épais de niveaux de complexité. Une quantité spectaculaire de niveaux est formée par les neurones organisés en graphes successifs, qui augmentent rapidement la profondeur complexe des concepts qu’ils symbolisent. Au sommet est installée notre conscience éveillée, dotée de tous ses attraits.
Conclusion: la conscience est une fusion
À quoi aboutissons-nous ? Ce que vous devez retenir : Ne disons plus « La conscience effondre la fonction d’onde », mais « La conscience est l’effondrement des probabilités dans tout système intégré d’informations ». Plus en détail : l’effondrement des probabilités intrinsèques au système forme un niveau propriétaire global. Ce niveau est une ‘couche de conscience’ inscrite dans la dimension complexe et source d’un qualia spécifique. La conscience éprouvée par toute entité individuée est la surimposition (superposition et intrication) de l’ensemble des couches complexes qui la constituent.
La conscience surimposée est un qualia toujours spécifique qui ne peut s’éprouver qu’à cet endroit, à cette profondeur de complexité, conséquence de l’empilement complexe. Elle peut se comparer à d’autres de même profondeur mais pas se substituer ou se connecter à des empilements plus faibles. Raison pour laquelle notre conscience globale ne perçoit pas des états cérébraux partiels, par exemple lors du sommeil. Le cerveau est actif mais à un niveau de complexité plus faible, les fonctions mentales restant indépendantes. La conscience éveillée se juge ‘inconsciente’ pendant le sommeil, néanmoins les fonctions mentales actives à cette période, devenues entités complexes indépendantes, sont probablement le siège de consciences frustres résultant de leur propre surimposition neurale en activité.
Nous sommes plusieurs, et ces plusieurs peuvent s’associer d’une multitude de façons différentes. C’est pourquoi lorsque l’espace de travail global est éveillé, il existe autant de facettes à nos personnalités. La qualité de conscience que vous éprouvez est l’effondrement des probabilités que vous soyez telle ou telle persona (calme, coléreuse, attentive, etc) en une personnalité fusionnelle évolutive selon le contexte que vous traversez. Avec cette nouvelle approche du cerveau nous pouvons expliquer la conscience mais aussi l’organisation de notre psychisme, sans tomber dans le réductionnisme qui a cours actuellement. L’effondrement des probabilités mentales ne doit pas signifier l’effondrement de la psychologie…
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Taking Robots Beyond the Threshold of Awareness: Scientifically Founded Conditions for Artificial Consciousness, Joachim Keppler 2023