La vie c’est le mouvement

Abstract: Après avoir défini la vie comme le mouvement, j’applique ce principe à la politique et montre que les tyrannies sont des sociétés-zombies, répondant à une dégradation préalable de la vie mentale, telle qu’on l’observe aujourd’hui en démocratie occidentale.

Définir la vie

Pourquoi tant de discussions et d’errements sur la définition de la vie alors que l’adage « la vie c’est le mouvement » est reconnu universellement ? Est-ce trop vague ? Cela ferait-il trop de vie dans l’Univers, parce que rien n’est immobile à l’intérieur ? Cette question en soulève d’autres, plus fondamentales :

1) Qu’est-ce que le mouvement ?

Nous avons vu dans un article précédent comment la réalité se met en mouvement à partir d’un “fond d’écran” immobile. Seul ce fond, alors, serait inerte, non-vivant. Mais nous ne savons pas s’il existe vraiment. Les choses inertes sont pour l’instant des cadres mathématiques, des représentations, c’est-à-dire des configurations neurales ponctuelles et enchaînées. Rien n’est inerte dans l’absolu.

2) Une vie seulement humaine ?

Une arrogance naturelle de la conscience veut restreindre la définition du vivant à des états plus sophistiqués de la matière. Il faut de la reproduction, de la mémoire, de la transmission, en sus du simple mouvement. Mais que cherchons-nous là ? La définition générale de la vie ou de notre manière particulière de vivre ? C’est une définition identitaire choisie par un degré supérieur de complexité mentale.

Pourquoi pas ? Mais nous devrions alors parler de “degrés de vie”, du moins complexe vers le plus complexe. Des propriétés importantes apparaissent à certaines étapes et les rendent plus essentielles. Aucun de ces étages de complexité cependant ne fonctionnerait sans l’agitation à la base. Pas de vie sans mouvement. La mouvement est la définition intégrée de la vie. Les autres définitions sont par degrés.

Degrés de vie, degrés de mort

L’immense avantage de notre définition générale de la vie est qu’elle précise aussi la mort à tous les degrés. La mort est l’arrêt du mouvement quel que soit le processus concerné. Comment est-ce possible à vrai dire, puisque son cadavre continue en réalité à bouger ? Il se décompose et cette dispersion contient autant de mouvement qu’auparavant. Voilà qui nous montre que la définition générale de la vie ne peut se passer de celle par degrés. Ce qui a disparu est le mouvement coordonné, celui opéré aux niveaux de complexité supérieurs, qui se sont effondrés. Le corps est redevenu un amas de biomolécules sans objectif commun.

La mort d’un degré de complexité n’est pas l’arrêt de ses processus constitutifs, seulement de leur intégration en un Tout. Effondrement d’un Tout qui est aussi une individuation. L’arrêt du mouvement coordonné définit la mort de l’individu, sa dissolution en ses composants. Le mouvement est à la fois le moteur général de la vie et un mouvement particulier, propre à chaque degré de complexité.

La vie politique

Tout cela peut vous sembler bien théorique mais les applications pratiques sont omniprésentes. Prenons par exemple la “vie” politique. La politique est-elle en vie purement au sens figuré ? Non, elle l’est véritablement au sens propre et ce que je viens d’exposer permet de le comprendre. La politique est une hiérarchie décisionnelle, une structure qui assemble nos désirs humains en niveaux de complexité jusqu’à une “conscience” politique globale qui prend les décisions.

Le tyran est un décisionnaire qui ne tient pas compte des désirs de la base, comme si une conscience individuelle négligeait les nécessités du corps physique. Cette personne serait promise à un décès rapide. Au sens figuré cette fois, la tyrannie est une traversée du désert pour une société. Elle finit par mourir et se décomposer. La voici divisée à nouveau en innombrables biomolécules humaines. Quel nouvel organisme politique va se reconstituer ?

La tyrannie ne disparaît pas en démocratie

Ce qui définit la tyrannie et sa mort inéluctable est que son chef ne comprend pas sa posture. Il est résultat d’une confluence sociale et non prédestiné à ce poste. Or il se juge avec un regard divin, descendu du Ciel, Téléologique avec un grand T : Je suis là par la Volonté de Dieu. Notez que ce regard ne disparaît pas en démocratie. Au contraire il est omniprésent. C’est le regard idéaliste. Dès que notre esprit forme un idéal, il se déifie. Désormais il faut suivre l’idéal absolu, sans tenir compte des soubresauts des micro-évènements sociaux. Beaucoup de “démocrates” utilisent un tel idéalisme, généralement aux extrêmes du paysage politique.

Néanmoins la caractéristique de la démocratie est de privilégier le regard ascendant, celui des citoyens, le regard des interactions cellulaires sur le grand corps social. Dans cette direction, la raison d’être de l’organisation humaine est toujours perceptible. Elle grimpe en complexité tant qu’elle continue à bénéficier à la majorité des individus, que d’autres peuvent venir s’y intégrer sans menacer l’ensemble.

Mutation du politome

Une telle organisation a des hauts et des bas. Elle gagne puis perd en complexité, la reforme. Inéluctablement. Parce que les relations sociales changent. Le mode de vie évolue. Les micromécanismes inter-individuels sont vivants, se transforment. Migrants, réseaux, technologies, sont des facteurs mutagènes. Quel idéal fixe pourrait gérer une telle dynamique ? L’idéal, en tant que regard descendant absolu sur la vie sociale, programme sa terminaison. Son immobilisme est synonyme de mort politique.

La vie démocratique est un mouvement constant, comme toute autre vie. Elle consiste à baigner dans les interactions sociales, accompagner leurs déplacements. Un démocrate réorganise en permanence la complexité hiérarchique qui va tenter de synthétiser nos désirs. La politique est une fuite en avant parce qu’il existe une poussée par derrière. Un bon politicien a toujours des yeux dans le dos…

Rencontrer les idéaux pour s’en aller plus loin

Jusqu’où peut grimper cette complexité ? La démocratie n’a pas de cerveau propre. Elle n’est autre qu’une organisation virtuelle de nos propres complexités individuelles. C’est l’élévation de celles-ci qui améliore la société, plutôt qu’un leader charismatique. Un symbole peut focaliser quelque chose seulement si le réceptacle est déjà présent dans les esprits. Comment apparaît-il ?

Voilà la limite du regard ascendant pur. Basiquement il donne naissance à des désirs instinctifs. Une poussée par derrière venue du fond des âges. Se dire Humain est davantage que cela. C’est être éduqué, héberger en soi l’histoire de l’Humanité, les solutions qu’elle a essayées pour mieux se rassembler et s’organiser. Sans tomber dans l’idéalisme. Les idéaux sont des repères pour notre mobilité mentale. L’idéalisme, lui, immobilise l’esprit.

Petite mort occidentale

Aujourd’hui les déboires de la démocratie, et le renforcement des idéalismes, démontrent-ils que les nouvelles générations ont raté leurs cours d’Histoire ? Elles ne l’ont pas vécue. Mais surtout elles ne vivent plus dans une réalité commune. L’Histoire est celle des vainqueurs, ont insisté les historiens. Les élèves en ont retenu que la vraie n’existe pas. Chacun la sienne. Chacun, par extension, sa réalité contemporaine.

Les jeunes sont séduits par l’anarchie, étape ultime de la désagrégation sociale où n’existent plus que des tyrans solitaires, dirigeants de leur nation personnelle. Nous avons raté quelque chose avec cette éducation à l’ouverture. Un multivers social s’est créé, fort bien, mais il a perdu de vue sa naissance à partir d’une réalité commune, seule fondation pour une organisation collective. L’anarchie n’est pas une organisation mais son refus. La poussée instinctive par derrière est toujours aussi forte chez l’individu et n’est plus contrôlée par une conscience sociale. Anarchique, la société trébuche et se désagrège. Une petite mort de l’Occident démocrate est en cours.

Cependant le mouvement ne s’est pas arrêté. La vie politique continue. La mort sociale est également une question de degrés. Profonde, éteignant les Lumières, elle fait élire un leader nouveau-né bruyant, impérieux pour qu’on satisfasse ses désirs. Modeste, simple assombrissement, elle donne le pouvoir à un conservateur qui replâtre les fissures, sans reprendre l’ouvrage de zéro. Un nouveau-né est plus tyrannique qu’un vieux sage ! C’est bien d’une maladie létale de la société qu’émerge le tyran. Une naissance qui a tué la génitrice.

La démocratie au fond du lit

La démocratie dispose néanmoins d’un avantage certain. Elle éduque aussi ses médecins. Elle peut se délivrer un diagnostic et s’auto-guérir. Pas toujours facile. Comme un être humain, une démocratie tombe plus souvent malade quand elle est très jeune ou très âgée. Jeune elle n’a pas encore de système immunitaire entraîné. Âgée, son immunité réagit avec retard et perd de son efficacité. La nôtre est âgée. Elle a tardé à se défendre contre les algorithmes des réseaux, qui ont déjà contaminé toutes ses cellules humaines avant qu’un anticorps ait pu être sécrété.

Survivra-t-elle ? Pas sûr. Elle est de moins en moins encline à se faire vacciner. Une forte fièvre… et l’on se réveille dans une tyrannie.

Hypocondrie démocratique

Il existe aussi un revers à la mobilité de la pensée en démocratie. L’on se sait malade, ou enclin à l’être. Une multitude de penseurs en font état librement. Alors l’hypocondrie nous guette. Tous doctinautes, nous pistons le moindre symptôme inquiétant. Ultra-sécuritaires, nous trépignons à chaque dysfonctionnement social comme si la survie du pays était en jeu. Attentifs au moindre borborygme interne nous devenons aveugles au pistolet sur la tempe.

La démocratie meurt ainsi d’autant plus vite qu’elle se voit impuissante à trouver un traitement, qu’elle est paralysée par l’effroi. Elle se tourne vers le charlatan populiste qui n’a plus qu’à faire boire sa potion amère et promettre que le cancer va disparaître.

À l’inverse la tyrannie est très peu sensible. Déjà morte, elle n’en a pas conscience —vous avez pensé à la Syrie bien sûr. Elle peut mettre des décennies pour s’en apercevoir. La tyrannie est un état de mort-vivant. Qui peut durer bien plus longtemps que la vie. Tant qu’il reste des voisins à la chair tendre et goûteuse…

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