Le clientéliste et le collectiviste

Deux personnalités fort différentes

J’ai relaté la spectaculaire affaire Martinez-Pérès à Nouméa, choc d’egos à première vue. En seconde vue les personnalités sont très différentes : c’est un clientéliste opposé à un collectiviste. Issue inhabituelle : le collectiviste a tué le clientéliste. Intéressons-nous de plus près à ces deux types de personnage, souvent confondus.

Le clientéliste est chargé d’empathie magnétique. Il vous capte. Il semble immédiatement voir en vous un potentiel caché. Vous êtes valorisé d’emblée, sans avoir encore démontré la moindre compétence. Attitude très accrocheuse, jamais distribuée au hasard. le clientéliste a quelques notions de vos talents, déjà par votre allure. Votre image flattée, vous devenez attentif. Le discours du clientéliste pénètre un esprit placé dans les meilleures dispositions possibles.

Attention ! Le clientéliste n’accorde de l’importance aux autres que parce qu’elle va lui revenir démultipliée. Il est au centre de l’échange. Ses amis sont essentiels parce qu’ils sont “ses” amis. Le clientéliste est en fait une caricature de l’égocentrique, qui réduit le monde à ceux qui lui font allégeance. Toute l’importance du collectif y est concentrée. Le reste de la société n’existe pas, pas autrement qu’en ombre de cet entourage de premier plan.

Dépendance avantageuse?

“Allégeance” n’est pas le terme qu’emploieraient les amis du clientéliste. Je le refuse même, quand j’en suis. Je me vois indépendant, bénéficiaire moi aussi de l’échange, libre de le rompre à tout moment. Pas si simple. L’amitié du clientéliste n’a pas la même valeur qu’une autre, justement parce qu’elle m’attribue une grande importance, volontiers supérieure à celle que je mérite. Je suis piégé. Indépendance compromise.

Bénéficiaire moi aussi de l’échange ? C’est l’un des ressorts fondamentaux de l’allégeance. Baron près du roi plutôt que membre anonyme d’une immense communauté égalitariste. Libre de rompre ? Si encore des motifs rationnels suffisaient. Mais les liens empathiques tissés par le clientéliste sont autrement difficiles à dénouer. Protégés de la raison par sa simple présence, même après des années d’absence. Inscrits dans la mémoire épisodique, aussi riche en émotions que fragile dans sa logique.

Une dissolution plus rebutante

Le collectiviste est un personnage moins invasif. Il se préoccupe de l’ensemble de ses congénères, autant présents qu’absents. Ce qui réduit l’importance relative des présents et rend son contact moins séduisant. Le clientéliste fait de moi le centre du monde (mais c’est le sien en fait) ; pour le collectiviste je n’en suis qu’une petite partie (mais c’est le monde commun à tous). Le clientéliste cible l’individu en moi, cherche à associer mon égocentrisme au sien ; le collectiviste cible la partie de moi qui se sent incluse dans la communauté. Il veut fusionner sa pensée holiste à la mienne. Il promeut un troisième larron, le Tout, dans lequel il se dissout autant qu’il m’incite à le faire.

La contrainte imposée par le collectiviste réveille un conflit qui m’est déjà personnel : celui entre ma part soliTaire et soliDaire. L’individu égotiste n’apprécie pas ; le sociétaire altruiste est tenté. Est-il surprenant, dans ces conditions, que les plus individualistes d’entre nous cèdent facilement aux sirènes du clientéliste, tandis que les vrais philanthropes s’en méfient, sont plus attentifs au collectiviste, malgré un renforcement positif moindre ?

Auto-congratulation en passant

Le collectiviste n’est pas dépourvu de part soliTaire. Ultimement, ses efforts pour la communauté bénéficient à lui-même. Le saint se nourrit de son étiquette de sainteté chez les autres. C’est le soliTaire en lui qui s’en gorge. Impossible d’échapper à notre nature, qui rend l’espèce bénéficiaire de notre individuation particulière. Le collectif n’existe pas sans les individus qui le portent. Certains le soulèvent plus que d’autres, et tous en profitent. Ce fin réglage d’un conflit indissoluble, entre part soliTaire et soliDaire, a fait notre succès d’Homo sapiens.

Sapiens… sagesse ? La sagesse vient de l’extension de notre part soliDaire. Elle franchit progressivement tous les cercles sociaux, au lieu de se restreindre à l’environnement du clientéliste, bloqué à l’état d’adolescent perdu dans ses mythes. Assurance factice. Identité qui craint de se perdre si elle s’éloigne de son centre. Un Poutine…

Chagrin concentré ou universel?

Le clientéliste est adoré par un petit nombre et détesté par le plus grand. Sa disparition crée un chagrin concentré, et un soulagement diffus. Tandis que le collectiviste, s’il est mu par la passion tout en évitant ses pièges, gagne son monument éternel.

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1 réflexion au sujet de « Le clientéliste et le collectiviste »

  1. Bonjour Monsieur Legros
    Je découvre votre blog suite à ma discussion avec vous ce matin dans votre cabinet

    Merci pour cette analyse poussée et pointue qui peut nous faire penser que ce sont les conséquences qui ont été traitées par la justice et non les causes quand on approfondit ce drame et comme vous le dites et comme je le pense Olivier Pères seraient grandement utile à la société plutôt que d’être Enfermé dans une cellule d’autant que ce chirurgien a sauvé des milliers de vie dans la société calédonienne et qu’il ne représente aucune menace et aucune violence pour la société car OLIVIER n’est pas un assassin
    Tous ceux qui ont été opérés par ce chirurgien, toutes ethnies confondues, n’en font que des louanges par ses compétences et sa bienveillance envers ses patients
    B.Racine

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