Le courage à la loupe

Qu’est-ce que le courage ?

N’est-il qu’affaire de contexte ? Pas seulement. Même si nous voyons facilement la lâcheté un peu partout, nous savons reconnaître les exceptions : ceux qui feront preuve de courage en toute circonstance. Quel point commun trouver à ces résistants ?

Le courage est un mélange : instinct de survie, peur maîtrisée, danger affronté, soi idéalisé. Des choses volontiers contradictoires. De l’élan certes (difficile pour le dépressif d’être courageux) mais aussi du contrôle (faire le tri dans les pulsions). Mélange cohérent ou détonnant. Mais alors qui est le plus courageux, au fond ? Celui qui sait parfaitement ce qu’il doit faire, ou celui tiraillé entre plusieurs choix et qui finit par prendre le moins facile ?

Tout dépend du point de vue. Se place-t-on à l’intérieur de l’individu ou dans le collectif qui juge les actes ? A l’intérieur, on peut applaudir davantage le courage inattendu d’un esprit inquiet et houleux, que celui prévisible d’un esprit solide. De l’extérieur, le collectif standardise les comportements et se préoccupe moins des épreuves traversées par le courage pour se montrer. Il valorise sa constance.

Commentons une revue du sujet par Philomag en utilisant le premier point de vue, qui personnalise mieux la réalité du courage :

Les faux courages

situations dans lesquelles il existe des protections solides contre la peur.

1) Avoir foi dans une âme immortelle ou dans une après-vie. Plus cette croyance est forte, plus la mort du corps est un inconvénient mineur. Platon se trompe en définissant le courage comme une indifférence à la mort parce que la vie terrestre ne serait rien. Ce motif rend le courage facile.

2) Ne pas ressentir la peur. L’impassibilité n’est pas un courage quand la situation ne génère aucune frayeur. S’être entraîné à rester adamantin en toute circonstance démérite le titre de courageux. Aristote se trompe en affirmant que « en nous habituant à mépriser le danger et à lui tenir tête, nous devenons courageux ». C’est le contraire.

3) Idéal supérieur au désir personnel : Kierkegaard voit le modèle du courage dans Abraham, prêt à sacrifier son fils quand Dieu le lui demande. Exemple suspect. J’espère qu’Abraham a rencontré Dieu en personne plutôt qu’écouter une petite voix intérieure. Mais les histoires bibliques sont remarquables pour leur déconnexion avec la réalité.

4) Dire la vérité, malgré les risques personnels, est le courage selon Foucault. Mais la vérité étant personnelle chez ces individualistes, il faudrait en vérifier le caractère collectif avant de parler de courage. Foucault déclare faussement courageux tous les conspirationnistes qui hantent aujourd’hui les réseaux.

Meilleur courage

éprouver sa propre capacité à surmonter les épreuves. Ou s’observer dans l’incapacité de se satisfaire de la raison précédente. Deux définitions contradictoires qui traduisent deux regards, utilisés à tour de rôle par les penseurs. Or nous allons voir qu’ils sont indissociables.

5) Dépassement de soi : tiré en avant par une image confiante du soi futur. Sénèque voit ainsi le courage stimulé par les difficultés, nourri même du désespoir.

6) Emportement par la passion : Descartes insiste sur l’ontologie du courage. Quand il place dans l’âme la « chaleur ou agitation qui dispose […] à se porter puissamment à l’exécution des choses », nous l’attribuerions aujourd’hui aux pulsions, instinct de survie et singularisme.

7) Ignorer l’inconnu : Kant insiste sur le courage intellectuel : se jeter dans le vide sans repère, s’affranchir des tutelles, pour penser par soi-même.

8) Assumer l’absurdité du monde : Camus a également une définition intellectuelle du courage, qui est de continuer à habiter le monde une fois admis qu’il est vide de sens.

9) Résister à l’angoisse de la liberté : Le défilé des observateurs philosophiques continue avec Ricoeur. Il s’inquiète que les ressorts de nos choix restent insondables, et trouve courageux d’intégrer cette angoisse en nous-mêmes.

10) Fuir les faux refuges : Deleuze complète Ricoeur en vantant le courage de quitter les certitudes et plonger dans « l’immense déroute » du devenir.

11) S’aveugler momentanément : mettons notre observateur en vacances. C’est un côté pile ou face chez Jankélévitch. Fermons les yeux pour laisser notre courage s’extérioriser sans réticence.

Vrai courage, enfin

Si je classe les visions précédentes avec le double regard, elles sont : ascendantes pour (2,6), descendantes pour (1,3,4,7,8,9,10,11). Les descendantes sont évidement plus nombreuses car reflétant les observateurs singuliers des philosophes. La vision ascendante, ontologique, est unique et se résume ainsi : un élan vital nous incite à glorifier notre individualité. Il débute avec l’instinct de répandre nos gènes, mais peut bifurquer en désir de protéger l’espèce via ses membres qui nous semblent importants. L’individu se réalise dans l’action collectiviste. Mélange contradictoire qui rend délicate l’appréciation du courage. Est-il dirigé vers soi ou les autres ? Il est important de le situer au confluent des deux regards.

12) Cruauté envers soi et force de la supporter : L’humain a la force de surmonter la douleur qu’il s’inflige. Nietzsche est le seul à utiliser le double regard. Il associe l’observateur conscient (je m’oblige à) et l’ontologie du courage (élan vital qui pousse à).

La vie est un conflit entre les pulsions et le rétro-contrôle cortical. Ce conflit oscille autour d’un équilibre. Nous pourrions redonner raison à Aristote, qui voit le courage dans le « juste milieu » entre les excès ‘peur’ et ‘témérité’. Mais l’équilibre est aussi une représentation choisie par l’observateur cortical. Le courage n’est-il pas de renoncer à cet équilibre, en suivant davantage son instinct ou au contraire sa raison, alors que les bénéfices n’ont rien d’immédiat ? Laisser sa chance à un autre destin.

Finalement le courage ce n’est pas être soi, mais devenir passionnément autre.

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