Le fantasme de la pulsion de mort

La guerre du Ça

Désir de mort et pulsion de mort sont confondus à tort. Bien mal nommés en plus car ils ne sont ni désir ni pulsion mais solutions. Solutions d’une médiocrité confondante, certes, mais quand vous êtes sur un champ de bataille dévasté, parfois, vous liquidez le dernier adversaire debout, qui est vous-même.

Une bataille, c’est bien de cela qu’il s’agit. Bataille entre pulsions inconscientes et jugement conscient, entre l’Animal et l’Observateur, entre le quotidien vécu et le destin espéré. Toutes les pulsions de l’Animal sont de vie, qu’elles passent par le sexe ou d’autres moyens d’exister. Elles rugissent, puissantes, et viennent s’écraser contre la digue du réel. Le réel leur barre la route; peu réussissent à passer.

Terrorisme mental

L’Observateur conscient, chez les chanceux, cherche à leur faciliter le passage. Il canalise les pulsions, les élève, les enluminent, leur permet d’inonder finalement les centres assoiffés de la récompense. Chez les malchanceux, l’Observateur renforce au contraire la digue, la rend infranchissable. L’Animal cause trop d’ennuis. Il force, agresse, se fait punir, détruit les perspectives forgées par l’Observateur. Le conflit s’installe, s’endurcit. Comme toutes les batailles sans issue celle-ci est source de splendides déclamations poétiques, dans lesquelles il faut ranger les désir de mort et pulsion de mort.

En lice se trouvent en réalité un désir d’exister et une pulsion de vie. Mais quant la forme étrangle la force elles s’annihilent mutuellement et ne reste que du vide. Absence nommée dépression. Plus souvent l’Animal et l’Observateur remportent chacun leur tour des batailles, sans gagner la guerre. Si l’un domine trop, l’autre se désespère, bascule dans le terrorisme. Il en vient parfois à faire exploser la planète ‘Je’.

Le cerbère et la brute

La pulsion de mort est une pulsion de vie Animale tellement contrariée par l’Observateur qu’elle cherche à éliminer cet insupportable cerbère de tous les instants. Elle attire vers toutes les drogues capables de l’assoupir. La surconsommation n’est pas un problème mais une intention franche de l’Animal. Il finira bien par assassiner son foutu Observateur, ce maître tyrannique et impuissant à le satisfaire.

Le désir de mort est, à l’inverse, la solution de l’Observateur, campé au-dessus des ruines de sa vie. L’Animal a tout dévasté. Il rue et s’agite encore, menaçant d’autres existences proches, d’autres planètes personnelles en partie détruites et prêtes à s’effondrer. Le destin intemporel imaginé par l’Observateur peut être encore sauvé en supprimant l’Animal.

En-vies étouffées

Pulsion et désir de mort sont bien tous deux des intentions contrariées, frustrées, qui cherchent à ôter leurs chaînes. Aucune envie de mort pour elle-même, mais pour faire place à l’intention inhibée. Ce sont deux intentions de vie, d’en-vie étranglée. L’esprit étant un perpétuel champ de conflit, la bataille n’est pas une mort sollicitée mais un mode de vie. Elle débouche sur une vie agitée, où le décès n’est qu’un effet secondaire accidentel.

Parfois le conflit perd sa nervosité sans avoir été résolu. Les forces s’équilibrent. Les évènements sont rares et n’animent plus le champ de bataille. Une catastrophe pour l’esprit, qui a perdu ses deux intentions de vie. L’équilibre se fait en creux. Le creux d’une dépression. Ni désir ni pulsion, il s’agit d’une résignation à la mort.

Sui-destructeur et sui-signé

Ce qui nous conduit à deux attitudes suicidaires fort différentes, intentions de vie contrariées ou effondrées. Désignons-les par ‘pulsion de destruction’ et ‘résignation à la mort’. D’où viendrait une véritable en-vie pour la mort, pour une complète absence que l’instinct ne peut concevoir ?

Le suicidaire-Destructeur fait le ménage autour de lui. Il tue sa famille ou toute autre cible de sa frustration paranoïaque, avant de se donner la mort. S’il parvient à se suicider avec une telle vigueur, c’est parce que ce n’est pas exactement lui qu’il assassine, mais le monde auquel il assiste. Il est le spectateur qui détruit la scène du théâtre jouant une pièce insupportable, dramatique au-delà de l’acceptable. Suicide-censure.

Le suicidaire-Résigné a un mal fou à passer à l’acte. Il préférerait que quelqu’un d’autre s’en occupe. Euthanasie réclamée sans aucun problème de santé. Les dernières braises du feu vital rougeoient à peine, parce que l’Observateur du résigné les a soigneusement, et longuement, étouffées. Il s’est construit une image de soi qui ne laisse pas d’autre alternative. Cette fois c’est le spectateur qui ne mérite pas de regarder la scène. On le met dehors, gentiment, sans violence. Le monde continuera sans lui.

SoliTaire ou soliDaire

Le suicidaire-Destructeur est un hyper-individualiste. Il n’existe pas d’autre monde que le sien. Donc se détruire est mettre fin au monde. Tandis que le suicidaire-Résigné est grand collectiviste. La conscience d’appartenir à un Grand Tout, plus vaste que lui, est omniprésente. Un Tout tellement vaste qu’il n’a guère besoin de lui. Il rend service en mettant fin à son individuation. Extinction d’une espèce personnelle. Suicide-Dodo.

Ce qui nous donne les pistes pour aider ces deux genres de suicidaires : faire voyager le Destructeur dans d’autres mondes que le sien, et réindividualiser le monde trop diffus du Résigné. Deux voies radicalement opposées, il ne faut pas se tromper !

*

Laisser un commentaire