Aiguillage
Charles Pépin fait un essai brillant sur Comment passer à l’action. Son conseil se résume ainsi : « Se préparer à n’être jamais prêt ». Les certitudes gênent l’action, nous désorientent si le déroulement n’est pas conforme. Décider c’est « y aller pour voir […] y aller parce qu’on ne sait pas assez […] autrement, on ne saura jamais ».
Charles parle avec son coeur. Mais le cerveau dit la même chose ! Quelle est la nature même de la décision, sinon se décaler de la réalité ? Lorsque nous suivons passivement le cours de (notre) réalité, peu de surprises nous attendent. Nos habitudes ont été forgées par la réalité passée. Les agissements sont réflexes et non réfléchis. Le qualificatif ‘décision’ ne s’applique que si nous sortons des rails tracés. Nous décidons de manoeuvrer un aiguillage. Le Moi s’évade de sa destinée automatisée. Il entre dans l’inconnu.
À l’abordage!
La préparation ne fait sens qu’à l’approche d’un tel décalage. Une habitude est suivie, pas alertée. La décision, elle, éjecte l’habitude. Un nouveau capitaine est monté à bord. Capitaine pirate ? Son intention est claire : imposer sa volonté au réel. Mais le réel se laissera-t-il faire ? Quand nous crierons « À l’abordage! », tomberons-nous sur un réel désarmé ou enverra-t-il une bordée qui détruira nos espérances ?
Impossible d’être prêt. Nous sommes dans l’inconnu. La décision d’agir nous bascule dans le décalage et l’impréparation. Mais Charles, en nous débarrassant des certitudes, nous laisse irrésolus, ce qui est un comble avant d’agir. Il faut absolument séparer deux futurs, celui de nos prédictions et celui de notre identité.
Y aller c’est…
La prédiction est fragile, c’est entendu. Mais le futur de notre identité est solide, indissoluble du présent. Nous l’appelons ‘motivation’, ou ‘assurance personnelle’. C’est la certitude que notre but est valide, en continuité avec notre Moi présent. L’identité est une, s’étend du passé vers un futur espéré en chevauchant le présent. Les identités les plus actives ne s’y arrêtent guère. Elles vivent déjà leur futur. Si le présent est un frein, il faut s’en décaler au plus vite. Donc décider, agir. Continuellement.
Aucune irrésolution. Parce que y aller, c’est se rejoindre devant.
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Comment passer à l’action, Charles Pépin, 2022