La Fée Philosophie
Noël. La société humaine illuminée. Uniquement d’électricité ? Désormais les électrons dessinent un réseau directement entre les esprits. Évènements et commentaires crépitent ! Ces chemins-là sont-ils aussi lumineux ? Éclairons-les avec la Fée Philosophie. En effet j’évite la fréquentation des réseaux car je les trouve obscurs, plein de coupe-gorges, dangereux et infréquentables.
Il est rare que les inconnus se montrent polis. Les commentateurs sont outranciers dans le positif et plus souvent dans le négatif. En relisant quelques pages de mes propres interventions je m’aperçois qu’elles sont aussi plus volontiers négatives. Alors, les réseaux, un univers de gens pressés qui se bousculent en grognant, qui se gênent plutôt qu’ils s’enrichissent à discuter ? Voici une petite réflexion sur le positivisme et le négativisme.
Le gazon noir des réseaux
Quel intérêt d’écrire : « Vous avez bien raison d’affirmer cela » ? Les commentaires positifs purs n’apportent rien à une discussion. Seules les contradictions sont utiles. Seul le conflit alimente une discussion. Il n’est donc pas surprenant de voir les réseaux envahis par des kilomètres de prose négativiste. Effet naturel et inéluctable de l’extension de l’espace de discussion. Comment organiser cet afflux de discordes, réfutations et contre-pieds qui finit par noircir le beau gazon vert du positivisme ?
En matière d’interface, c’est une bonne chose de permettre les boutons ‘like’ ou ‘pouce levé’ mais de supprimer le ‘pouce baissé’. Le like évite d’encombrer le champ d’attention avec des commentaires positifs généralement sans intérêt. Tandis qu’un commentaire négatif ne peut être remplacé par un ‘pouce baissé’. Le positif ne contient aucune information autre que “pareil !”, tandis que le négatif dissimule un riche univers de sens alternatif. Le positif se contente d’un icône, le négatif se doit d’emprunter un langage complexe. Le positif est ‘un’, le négatif est ‘Tout’. Opposés mais pas symétriques.
La symétrie ?
Un petit aparté sur la symétrie n’est pas inutile. La symétrie concerne des points dans une dimension. Ils ne créent pas cette dimension, ils y sont inclus. Par exemple de part et d’autre du zéro sont installés symétriquement les nombres entiers positifs et négatifs. Ce n’est pas sur cette symétrie-là que repose le positivisme et le négativisme dont je parle, qui concerne nos esprits en interaction. Si je devais les appliquer aux nombres entiers, ce serait ainsi : À chaque nombre entier s’applique un positivisme : lui-même (je suis moi), et un négativisme : tous les autres entiers (ce qui n’est pas moi). Il existe donc une multitude de positivismes comme de négativismes. La différence est que chaque positivisme est unitaire, tandis que chaque négativisme est infini. Ainsi le positivisme ne prête aucunement à discussion, malgré sa multitude, tandis qu’en négativisme l’échange n’est jamais terminé.
L’opposition ?
Ajoutons un deuxième aparté sur l’opposition. L’opposition entre ‘un’ et ‘Tout’ n’est pas de celles où l’un doit disparaître au profit de l’autre. Ils sont les créateurs de la dimension qui les unit et n’ont pas de définition par eux-mêmes, seulement l’un par rapport à l’autre. Si l’un d’eux s’affaiblit, la dimension se rétrécit. Leur sens polarisé s’efface. C’est ici que réside le véritable problème avec les réseaux. La dimension complexe entre Un et Tout s’évapore à mesure que l’importance du Tout s’affadit. Le réseau devient plat, simple collection d’unités chacune installée dans sa petite case, ne formant plus d’entité globale. Un réseau de cerveaux ne forme pas un esprit plus vaste. Pour cela il faudrait qu’ils traitent l’information de manière intégrée. Impossible sans un sentiment d’appartenance, sans la puissante présence du Tout. Le cerveau global de l’Humanité a multiplié ses neurones à plusieurs milliards d’exemplaires tout en désintégrant son organisation. Sa conscience d’espèce est plus schizophrénique qu’elle ne l’a jamais été.
Le grand A de Appartenance
Le sentiment d’appartenance est essentiel pour manager le négativisme ambiant. Il est utilisé par toute bonne mère de famille pour gérer sa progéniture. Un enfant conteste, réclame, se fâche. Ego encore désordonné et pas complètement échappé de l’univers utérin. Il pense encore que le monde et lui ne sont qu’une seule chose, donc le premier doit se conformer à ses désirs. La maturité est un détachement du monde, le soi qui s’éloigne du non-soi. L’Un se polarise face au Tout, plutôt que croire être lui-même le Tout. La vraie polarisation est une humilité, car le Tout a une autre envergure. L’Un est face à l’infini. Parfois la réduction est trop importante et l’identité devient minuscule. Mais c’est rare aujourd’hui. L’ego est assisté par les algorithmes des réseaux, régulièrement gonflé jusqu’à la taille de ces grenouilles qui effraient tant les boeufs.
Gros ego et faible sentiment d’appartenance caractérisent l’internaute moderne. Ce qui rend le négativisme conflictuel, agressif, improductif. Mais notez ce point essentiel : ce n’est pas le négativisme en lui-même qui pose problème. Heureusement ! puisque nous l’avons dit naturel et inéluctable. Comment la société pourrait-elle échapper à l’effondrement s’il fallait la débarrasser d’un négativisme inextirpable ? Faut-il laisser cette cancéreuse agoniser sans acharnement médical ? Mais la tumeur est bénigne. La société manque simplement d’une vitamine essentielle, la vitamine A pour Appartenance.
Appartenir ou Apparaître ?
Avec un tel sentiment le négativisme devient agréable à gérer. Nous ne sommes plus entourés d’agresseurs mais d’ego(s) encore quelque peu infantiles, persuadés que le moindre accroc à leur vision du monde est une attaque personnelle. Forcément, puisqu’ils sont le monde. Tout ego fait la même chose, y compris les nôtres. Mais il existe à l’intérieur de nous un sentiment d’appartenance pour le contrebalancer. Que chaque ego fasse la même chose les rend finalement très semblables. Même contenants, avec des contenus organisés autrement. Il s’agit d’en faire une synthèse. Le négativisme est la base de la coopération, parce qu’il reconnaît l’existence des alternatives, tandis que le positivisme consiste à se cloner avec l’autre comme s’il était parfait. Inacceptable pour notre propre ego.
Pourquoi l’Appartenance est-elle en berne ? Un autre ‘A’ la concurrence : Apparaître. Difficile d’exister dans l’immensité des réseaux. Un contact positif n’a pas autant de valeur que dans le vrai monde. Notre cerveau n’y attache pas la même importance, le contact virtuel activant une partie restreinte de ses fonctions. Très peu de sens sont stimulés, l’émotion plus faiblement ; la multitude de critères éveillés par une vraie personne en face de nous sont ici absents. Ce n’est même pas un intérêt platonique, plutôt fantomatique. Il faut des centaines (des milliers?) de contacts positifs virtuels pour approcher la satisfaction d’un contact réel. Celui qui est en défaut dans le réel se comporte en affamé perpétuel dans le virtuel.
Sources pures ou toxiques
Comment appartenir quand on a déjà du mal à apparaître ? Le positivisme pur, « Je pense exactement comme vous », est impossible. C’est le « Oui mais… » qui l’emporte. Apparaître en tant que source différente fait davantage exister. Nous pourrions dire que le négativisme coule de source. Ouf ! Voilà les réseaux qui prennent un aspect moins sinistre. Au lieu de ressembler à une multitude de collecteurs déversant leurs immondices acides et putrides, ils sont en fait un paradis de montagnes verdoyantes constellées de sources pures 🙂
La réalité participe des deux. Il existe des réseaux de jardiniers heureux et d’autres, glaçants, de militants haineux. Comme dans le monde réel certains quartiers sont à éviter. L’obscurité d’une ruelle signale sa dangerosité. Nous avons intérêt à choisir notre chemin. Donner un ordinateur connecté à un enfant serait comme l’envoyer se promener librement dans une zone où se cachent voleurs, dealers, recruteurs, et il reviendra marqué à jamais, ou ne reviendra pas.
Fêtons l’anti-monde des vraies personnes
Noël c’est un peu l’anti-réseau. Déconnexion et retour à une réunion composée seulement de vraies personnes. Bon il existe toujours dans un coin un drogué qui n’arrive pas à décrocher de son smartphone. Mais le positivisme pur qui règne en cette occasion permet d’intégrer même ces fantômes. La famille Adams est réunie. La Main court sur la table, attrape des cacahouètes. Les Bouches ondulent, s’étirent, se referment en baisers. Les Yeux clignent pour se protéger du déferlement de lumière. Accompagnée de sa cour d’appendices, la Famille est séduisante. Même le sapin, invité du Monde des Plantes, s’est soigneusement apprêté. Mais qui a oublié de lui servir à boire ? Il est déjà en train de perdre ses épines!
Nous perdons toutes les nôtres, à Noël. Le négativisme, même s’il est naturel, inéluctable, et finalement tolérable, il est bon de s’en déconnecter. Joyeuses fêtes à tous !