Pourquoi il faut abandonner l’écologisme politique

Abstract: L’écologie est la science la plus dégradée par des idées religieuses, ce qui a effondré sa réputation auprès de la classe dirigeante. Le militantisme écologique a déclenché les effets inverses de ceux espérés. Il a rendu la gestion raisonnée de la planète impopulaire et l’a retardée. L’Allemagne, pays dont la gestion a été la plus impactée par l’écologisme, a le bilan carbone le plus médiocre de l’Europe. En radicalisant les opinions, le wokisme écolo a détruit les chances de les unifier dans un avenir planétaire commun. Il faut mettre fin au versant politique de l’écologie et lui redonner son statut de science conseillère des classes dirigeantes, chargées de sa délicate intégration à notre complexité sociale.

Science gangrenée

L’écologie est profondément corrompue par les idées religieuses à propos de la Nature. Elle succède ainsi à l’astronomie pré-galiléenne et à l’anthropologie pré-darwinienne pour le titre peu envieux de science la plus dégradée par les croyances. Sa bibliothèque contemporaine est emplie d’ouvrages fantaisistes. Ses militants sont impliqués dans des mouvements affabulateurs, antivax, transhumanistes, décoloniaux, adorateurs de Gaïa, etc. Cette corruption idéologique avait un impact limité quand elle concernait l’astronomie ou l’anthropologie. Les idées sur la place du Soleil dans l’Univers ou l’Origine de l’Homme ne décident pas directement de notre destin. Tandis qu’en touchant l’écologie la corruption risque, crûment, de nous éradiquer.

L’écologisme politique est le bras armé de cette science déformée par les croyances. Au lieu d’une information objective, l’écologisme véhicule des interprétations farfelues, conspirationnistes et arbitraires. Les données brutes sont engluées dans un cérémonial mystique qui désigne les cibles impies, industrielles, politiques, Illuminatiques. A-t-on jamais vu une science armée de troupes dévastant les champs expérimentaux, de bateaux opérant des actions de piraterie, de gangs montant dans l’ombre des opérations de guerre ? C’est bien la situation de l’écologie aujourd’hui. La cause planétaire, que chaque habitant devrait pouvoir s’approprier sans réserve, est représentée par des partis terroristes, une Nouvelle Inquisition prête à traquer le mal dans chaque entreprise.

Le rapport Meadows

Si encore la cause était accessoire. Nous pourrions seulement reprocher à ces militants le paradoxe de s’octroyer par leurs destructions un désastreux bilan carbone personnel. Mais la cause est d’une importance cruciale ! L’écologie a mis en lumière un destin critique pour l’Humanité. Elle le pressent déjà depuis 50 ans. Le rapport Meadows, première projection scientifique de l’effondrement, date de 1972. Issu de la dynamique des systèmes, le modèle world3 utilisé dans le rapport a été alimenté avec la base de données sur la société humaine —économiques, énergétiques, démographiques, ressources naturelles— pour lui dérouler plusieurs destins possibles en fonction de la manière dont ces paramètres allaient varier.

Tous les scénarios mènent à l’effondrement global de la société au milieu du XXIème siècle, sauf ceux qui limitent précocement la croissance. La catastrophe climatique, qui a pris le devant de la scène médiatique, est un élément presqu’accessoire dans cette plus générale théorie de l’effondrement de l’Humanité. Nous ne mourrons pas par milliards de l’élévation du CO2 mais d’un gigantesque krach de la structure sociale. Et celui-ci a sans doute démarré. Vraiment ?

La décroissance ? Pas besoin de l’espérer, elle est là

Notre organisation planétaire est une complexité qui a déjà dépassé son sommet et redécroît. Elle a atteint ce sommet après les deux dernières guerres mondiales avec la création de l’ONU, organisme qui a semblé un instant capable de mettre fin aux conflits internationaux et mettre en place des agences de gestion globale. Espoir évanoui. Il n’y a plus de gendarme planétaire mais une administration inutile de plus. Les nations se replient sur leurs intérêts particuliers, les plus riches refusant de décroître et les moins riches ne rêvant que de croissance. L’anarchie mondiale a repris. Les puissances nucléaires sont désormais dirigées par des enfants butés, tandis que des nouvelles continuent d’arriver dans la cour de récré.

Le rapport Meadows supposait qu’une gestion mondiale coordonnée puisse nous faire dévier de l’effondrement. En son absence, il semble à présent nous le promettre. Un vaste schisme est apparu entre l’écologisme global et le particulier. Le précautionnisme planétaire s’est évanoui, alors qu’il est amplifié jusqu’à l’absurde dans les militantismes locaux. Des lanceurs d’alerte nous avertissent régulièrement de petites entorses à la vie verte. Le Quotidien de l’Enfer Écolo Local. Et cette douche froide nous a rendus indifférents à l’Enfer Global. Ne sommes-nous pas déjà dedans, avec cette multitude de démons en liberté ?

Peut-on se permettre l’impasse politique pour l’écologie?

S’interroger est d’autant plus légitime que l’Allemagne, pays le plus sensible à l’écologisme politique, est aujourd’hui grevé du plus mauvais bilan carbone en Europe. Droits dans leurs bottes, les anti-nucléaires ne regrettent rien. Autre genre d’effet secondaire de l’écologisme : l’élection américaine de 2016. Les républicains remportent le Wisconsin pour la première fois depuis trois décennies. Hillary Clinton y perd par moins de 23 000 voix contre Donald Trump, tandis que Jill Stein, la candidate écologiste qui ne s’est pas désistée, engrange 31 000 voix. L’écologisme fait passer la direction du monde dans des mains indifférentes voire hostiles à la santé de la planète, et ce uniquement pour exister au plan politique.

Utiliser le vecteur politique pour mettre en oeuvre un projet ? C’est une évidence pour un projet auquel une majorité de la population est naturellement favorable. Par contre c’est le mettre dans l’impasse si l’idée est minoritaire, et le cantonner là, bien en vue, avec son bonnet d’âne. Le projet écologique serait-il naturel ? Loin de là. Le naturel est d’assurer subsistance et confort avec ce que la société offre de manière contrastée à chacun. Après seulement il reste à certains du temps pour refaire le monde. Sauver Gaïa ou remplir l’assiette de ses enfants, une prétention vaniteuse contre la plus belle des humilités.

Le militantisme-spectacle

L’écologisme politique s’efforce d’ignorer la hiérarchie des décideurs pour imposer directement ses vues. Il ne fait ainsi que contribuer à la désagrégation de cette hiérarchie, précipitant le désastre climatique ! Les décideurs ont aujourd’hui courte vue, doivent satisfaire des échéances rapprochées, des électeurs pressés, ondulent au vent des médias. Bref il ne s’agit plus de gérer mais de cornaquer un chaos à peine organisé, en sachant qu’on ne tiendra pas longtemps les commandes. Comment des politiciens placés dans de telles conditions pourraient-ils se préoccuper du long terme ? De la génération suivante ? D’un effondrement qu’ils ne verront pas ?

Est-ce ainsi que l’on fait émerger une conscience à l’Humanité ? Son esprit actuel est superficiel, sensible au spectacle et à la mode. Les écolo-militants participent au spectacle, et la mode sera bientôt de danser dans les ruines, l’esprit léger se moquant des prophètes et trouvant toujours des raisons de s’amuser. La vraie conscience globale ne peut provenir que d’une connaissance plus profonde, mieux intégrée, et surtout extensive dans le temps. Son identité inclue ses prédictions. Comment les rendre justes ?

Garder toutes les prédictions et faire varier leur probabilité

La méthode bayésienne améliore la probabilité qu’une prédiction se réalise. Le cerveau est bayésien dans son fonctionnement mais notre espace de travail conscient n’en est que le résultat. Pour qu’il raisonne de manière bayésienne à son tour il lui faut apprendre cette méthode particulière. Les consciences ordinaires n’améliorent pas la fiabilité de leurs prédictions, se contentant de garder les bonnes et jeter les mauvaises.

Le rapport Meadows, intitulé précautionneusement “The Limits of grows”, faisait pourtant de l’effondrement une quasi certitude. Mais il avait lui-même une faible probabilité d’être juste à sa sortie. Ce ne sont pas les prédictions apocalyptiques qui doivent nous inquiéter mais leur solidité intrinsèque et leur échéance. La théorie de l’effondrement est-elle devenue plus vraisemblable ?

La théorie des catastrophes diminue-t-elle les catastrophes ?

Notons d’abord qu’une théorie de la catastrophe a en elle-même un effet sur la catastrophe. Si aucune esquive ne semble possible, tous les acteurs se comportent en fonction de l’inéluctable. Prophétie auto-réalisatrice. Si une solution existe, la théorie diminue fortement la probabilité que la catastrophe survienne effectivement. Stupéfiant paradoxe pour une théorie ! Plus ses prédictions sont vaines plus elles deviennent vraies. Plus ses prédictions sont efficaces plus elles deviennent fausses.

Une catastrophe est donc transformée profondément par sa propre théorie. C’est une équation non linéaire. La meilleure manière de ne pas trop s’écarter de la prédiction est la méthode bayésienne : recalculer la probabilité à chaque changement de paramètre, en particulier quand apparaissent les absents du départ : les solutions. Comme dans un jeu vidéo, nous recommençons à avancer, au lieu d’avoir terminé la partie.

Du rapport Meadows à la collapsologie

Dans les années 2010, la théorie de l’effondrement est devenue une discipline à part entière, la collapsologie. Spécialité transdisciplinaire qui a établit ses connexions avec la philosophie (collapsosophie), la politique (effondrisme), le mode de vie (collapsonautes qui construisent des abris), et qui a ses sceptiques (collapsophobes). Les prédictions sont toujours en effet exposées à des évènements assassins surnommés “cygnes noirs”.

Un exemple humoristique de cygne noir ? Dans un élevage de dindes, la plus statisticienne d’entre elles nommée Dindows propose un modèle prédictif de leur petite société. Dindows alimente son modèle avec les données sur l’espace, la température, l’apport en nourriture, la démographie, etc. Le modèle prédit que l’espace sera entièrement occupé et la nourriture épuisée quinze ans plus tard, entraînant le collapsus de l’élevage. Dindows partage son inquiétude avec les autres dindes. Elles ne paniquent guère. Quinze ans ! Aucune dinde ne survit si longtemps. Leurs descendantes trouveront bien une solution. Le 23 décembre, le modèle de Dindows prévoit encore une belle tranquillité à cette assemblée dindine pour l’année suivante. Le 24, patatras ! Toutes les volailles sont saisies, cuites au four et remplacées par de nouveaux poussins. Le débonnaire et rougeaud Père Noël est en réalité un cygne noir.

La volonté d’être aveugle ou de laisser mieux voir?

Pour l’Humanité le cygne noir pourrait être un projectile cosmique venant percuter la Terre et mettant fin prématurément à la collapsologie ainsi qu’au reste. Ce pourrait être aussi un cygne blanc sous la forme d’une révolution dans la production d’énergie, une décollapsolation. À votre santé, chère Gaïa ! Mais les cygnes ayant pour vocation de bousculer nos prédictions plutôt qu’y rentrer, nous ferions mieux de compter sur nos forces existantes, à l’intérieur de l’élevage. Car l’Humanité n’a pas de propriétaire, et nous ne sommes pas des animaux domestiques. Alors pourquoi faisons-nous comme si la gamelle allait être toujours remplie ?

À ce sujet, les effondristes expliquent que la catastrophe écologique étant déjà là, l’absence de réaction indique forcément que les gens « veulent surtout ne pas voir ». Absence de volonté transformée en volonté un peu bizarre, assez irrationnelle et largement répandue ? C’est plutôt gentil de la part des effondristes, qui distribuent leur sensibilité écolo épidermique même à ceux qui n’en ont pas de dermique. Peut-être surtout bon nombre d’entre nous sont-ils encore rationnellement humbles et collectivistes, faisant confiance à plus savant que nous pour échapper au collapsus.

Complotement effondriste!

Le rapport Meadows a d’ailleurs été commandé par un Think tank, le Club de Rome, à l’influence malheureusement trop marginale. Il n’a pas touché les hautes sphères. L’efficacité intellectuelle s’est dégradée encore depuis que tout le monde se déclare collapsologue et décide de son propre avenir dans son coin. Songeons aux volumes titanesques de béton, d’énergie et d’autres ressources qu’utilisent les collapsonautes pour construire leurs abris. Ils ajoutent un nouveau cygne noir à la théorie de l’effondrement, de ceux qui la précipitent…

Les effondristes sont ainsi les plus actifs en politique alors qu’ils ont un effet particulièrement pervers, auto-réalisateur, sur la catastrophe potentielle. Ils sont majoritairement conspirationnistes, c’est-à-dire enclins à la contre-interprétation des données, le but étant de corroborer une opinion personnelle, sans modèle global tel que le world3 de l’équipe Meadows. Par exemple une même estimation des énergies fossiles restantes est donnée comme “insuffisante” ou “trop importante” selon l’usage que l’effondriste veut en faire. Aucune science ici, mais une religion du Collapsus qui a remplacé celle plus classique de l’Apocalypse biblique. Tous les humains seront jugés et tués —qui n’a pas péché ?— sauf ceux qui auront pris la précaution de s’enterrer.

Dame Techno et science commune

Parmi les déités écolo-effondristes, la technologie tient une place majeure. Déité malfaisante, bien sûr, mais puissante et influente même parmi ses détracteurs. Dame Techno fabrique les modèles dont se sert l’écologisme politique pour avertir le monde de son destin funeste. Ces prédictions étant d’essence divine, comme la Nature, ne sont jamais remises en question. Leur faillibilité n’est évoquée à l’avance que par les impies. Par contre, s’il s’avère que la prédiction est fausse, on applaudit ! Gaïa a vaincu Lucifer.

La science commune fait des conquêtes bien moins symboliques. Elle fait progresser des probabilités théoriques, un pourcentage après l’autre, sans jamais parvenir à la certitude. S’adapter au caractère tranché des décisions humaines lui fait créer des seuils arbitraires, comme le “petit p” en médecine, limite d’erreur de 5% qui sépare une étude “fiable” d’une non-valide.

Plus inquiet à 100% ou à 95% ?

Faut-il éviter de mentionner ces incertitudes pour être plus convaincant ? Voire. Êtes-vous davantage inquiété par le militant bouillonnant qui annonce le décès de la Terre certain à 100%, ou par l’analyste qui vous chiffre cette probabilité à 95% ? Le second me rend plus attentif. Ainsi est-il intéressant de confronter les projections du rapport Meadows à la réalité des 40 années qui l’ont suivi. C’est l’objet du graphique ci-dessous.

La zone grise à gauche montre les données connues en 1970 et utilisées par le rapport Meadows. Chaque ligne se poursuit ensuite par le pointillé prédictif du rapport et par la ligne continue de l’observation enregistrée (jusqu’en 2010). Le modèle est assez bon, n’est-ce pas ? Alors, cette prédiction, qu’en fait-on ?

Catastrophisme et précautionnisme

La science, discipline du regard ascendant, a conçu la théorie des catastrophes mais ne fait pas de catastrophisme. L’hystérie appartient au regard descendant, à la conscience qui ne sait que faire d’une telle prédiction et s’agite vainement dans tous les sens. Cette conscience histrionique a donné naissance au précautionnisme, à l’espérance paranoïaque de réduire la plupart des risques à zéro pour ne plus en avoir autant sous les yeux.

Le précautionnisme fait partie des cygnes noirs capables de précipiter l’effondrement. Le Covid-19 en est un autre qui l’a avivé. Au vu des moyens nécessaires pour faire passer chaque risque de minime à un peu plus minime encore, il apparaît que le principe de précaution accentue dramatiquement la consommation des ressources et l’appauvrissement des moyens politiques. Cela ne gâte en rien sa popularité. Nous sommes devenus une population de ‘déjà victimes’, seulement désireuse de consolation, en route vers sa fin. Précautionnisme main dans la main avec le catastrophisme et la victimisation. Personne ne doit mourir, mais nous sommes déjà tous morts. Que reste-t-il d’autre à faire que se tenir par les mains et pleurer ?

Pluri-disciplinaire mais pas pauci-disciplinaire

La collapsologie souffre des mêmes travers que l’écologie. C’est un enrobage du regard descendant sur les catastrophes qui nous guettent, une gestion histrionique de leurs conséquences plutôt qu’une approche scientifiquement ascendante. Le souci est qu’il existe une confusion croissante entre les deux chez les scientifiques eux-mêmes. Un bon scientifique visualise les limites de ses connaissances, ce que ne fait plus le collapsologue. Celui-ci se voit comme un spécialiste du touche-à-tout, une sorte de Léonard de Vinci moderne. Mais l’on ne s’invente pas nexialiste (chercheur pluri-disciplinaire) aussi facilement. C’est bien davantage de travail que d’être spécialiste, sauf à dégrader les connaissances picorées et les détacher de leur contexte. Le vrai nexialiste n’est pas un surfeur du web mais le propriétaire d’une bibliothèque aussi variée et fournie qu’indigeste.

Le nexialiste est surtout un spécialiste de la complexité et de la dynamique des systèmes. Pour juger la valeur du rapport Meadows il faudrait disposer d’une théorie structurelle sur la complexité du système Terre. Mais il n’en existe pas d’officielle. World3 n’est qu’un modèle, pas une théorie. Le modèle est testé sur les données passées et gardé si les résultats sont conformes à ce qui a été observé. Fruit de l’expérience, il n’explique pas en lui-même son succès. Outil empirique et non ontologique.

Dans la dernière partie de cet article, je vais utiliser le double regard, cette conjonction de l’observation consciente et du regard que nous prêtons aux processus, pour préciser la meilleure voie pour l’écologisme. Afin de faire tomber le regard descendant d’une grande altitude, j’emprunte celui d’un alien évolué en train d’observer la Terre. Pour faire perdre toute prétention au regard ascendant, je nous réduis à une bande de rongeurs essayant de survivre au sol. Prêts à dévorer ?

Nous vivons dans notre poubelle

L’Humanité vit dans un gigantesque vaisseau spatial appelé Terre. Son atmosphère n’est pas renouvelable. Elle est régénérée par des plants végétaux et régulée par de vastes bains océaniques qui dissolvent certains gaz. Comment penser que défricher d’énormes pans de ces surfaces végétales ou les laisser brûler soit sans conséquence ? Cela continue année après année en l’absence de gestion centralisée du vaisseau, chaque mammifère s’installant dans l’un de ses recoins comme s’il était seul à bord. Pas d’éco-gestion mais une ego-gestion. Les mammifères humains en effet n’ont pas construit le vaisseau, ils sont nés dedans, l’accompagnent dans sa ronde qu’ils pensent éternelle. Certes, à l’échelle de leur courte vie, rien ne change vraiment à bord du vaisseau. Presqu’aucun d’eux ne le verra de l’extérieur autrement qu’en photo. L’humain sur la Terre est comme le rongeur dans New-York, impossible de s’en faire une représentation intégrale. Il y fait sa niche. Ego-gestion.

De cette niche il est difficile de voir que l’Humanité vit dans sa poubelle. C’est pourtant bien le cas. Les déchets ne peuvent quitter la Terre. Heureusement la partie biologique est recyclée spontanément. Elle sent mauvais mais cette putréfaction témoigne de l’efficacité de nos symbiotes bactériens. Nous-mêmes produisons de la merde sans nous en offusquer, gage de bon fonctionnement interne, et c’est de l’arrêt de production dont il faut s’inquiéter. Le stockage est soigneusement fait à part. Pas question de confondre entrées et sorties de notre usine biologique naturelle. Nous sommes d’attentifs gestionnaires de notre petit écosystème personnel.

Faire du vaisseau un corps

La partie non biologique de nos déchets ne fait pas l’objet d’une éducation aussi précise. Nous n’avons pas appris à être commandant du Vaisseau Terre. Mammifères dispersés à l’intérieur, nous y abandonnons ce qui ne nous sert plus. Au bout d’un certain temps, et quand les petites bestioles sont devenues plusieurs milliards, c’est un grand bazar. Leurs déchets non biologiques ne sont pas recyclés. Ils envahissent le vaisseau, s’insinuent dans les corps, inutiles et même dangereux pour le métabolisme. L’Humanité vivant dans sa poubelle, ne doit-elle pas s’inquiéter que celle-ci devienne toxique ?

Mais l’Humanité n’existe pas. Sauf à l’état d’image, comme celle de la Terre, dans chacune de nos têtes. Pour que l’Humanité acquière une existence réelle, capable de prendre le contrôle du Vaisseau Terre, il faut que toutes ces images s’alignent, se coordonnent, fusionnent pour réaliser une entité homogène, une conscience globale. Impossible, avec autant de cellules différentes ? Un corps n’est pas autre chose, pourtant. Immense conglomérat de cellules variées, aux fonctions diversifiées, dotées d’images d’elles-mêmes très personnelles. Grâce à une organisation médiée par un code génétique commun, l’individu humain survit dans des espaces qui auraient détruit les cellules isolées.

Gaïa n’a pas de cerveau !

La Terre, moins facile ou plus facile à gérer ? Elle n’a pas de prédateurs. Il lui suffit de garder ses oscillations métaboliques dans certaines limites. Une Humanité bien organisée y parviendrait sans difficulté. Mais, organisée, elle ne l’est guère. Il manque un cerveau global. La plupart de ses cellules humaines se comportent comme des bactéries, frénétiquement occupées à se reproduire et à consommer toutes les ressources disponibles. Déficit de code des lois commun pour les cellules en interaction. Aucun génome assez grand pour construire la société planétaire. Le milieu intérieur se dégrade avec l’afflux de déchets. La plus grande partie des cellules humaines vont mourir. D’autres, plus adaptées, les remplaceront. Des cellules mieux organisées, peut-être. Qui produiront sur nos cendres une post-Humanité plus résistante parce que dotée d’un vrai cerveau ?

Éco-éducation plutôt qu’ego-éducation

Cette post-Humanité, nos enfants peuvent-ils encore être ceux qui vont la former, eux que nous hésitons à faire naître dans une poubelle toxique ? Possible, s’ils sont éduqués dans ce dessein. Les post-Humains ne devront certainement pas choisir d’être organisés de la bonne façon, il faudra qu’ils soient éduqués à la racine dans ce sens. Seule manière de survivre dans un milieu difficile. Qu’il s’agisse du nomade dans le désert, de l’indigène dans sa forêt primaire, son existence repose sur sa connaissance du milieu dès la naissance. De même, le post-Humain doit apprendre dès les premiers mois de vie les règles pour subsister sur une Terre hostile. Il ne peut plus être enfant-Roi dans un hypermarché perpétuellement alimenté.

Cette éducation est-elle en place ? Absolument pas. Au contraire, l’enfant-Roi s’empare de plus en plus tôt des commandes de l’adulte-Roi pour réaliser ses envies. Les adolescents qui vont assister à l’effondrement sont éduqués à satisfaire leur ego avant l’intérêt collectif, bien davantage que leurs parents. Pourquoi un tel décalage entre éducation et projection ? Bien sûr parce que les Éducations Nationales sont d’énormes trains de marchandises qui avancent lourdement et ne renouvellent pas souvent leurs stocks. Les sciences qu’elles enseignent sont livrées par des trains du passé. Les élèves quittent encore l’école persuadés de l’existence d’un temps universel déroulé dans l’instant présent. Fugacité de l’existence, toujours pas réécrite par les découvertes d’un Einstein qui datent pourtant d’un bon siècle. Alors le vaisseau spatial Terre, c’est encore de la science-fiction. À l’école on apprend la science-musée, vite lassante, plutôt que la manière de faire de la science.

Vaseuse à force de discuter

Nos créateurs d’enseignement n’ont pas la tâche facile, il est vrai. À quel moment les découvertes scientifiques peuvent-elles être jugées comme parfaitement sûres, au milieu des incessantes révolutions qui les agitent ? Un certain conservatisme est de mise. Pour forcer ces protections rigides, une science se doit d’être particulièrement convaincante, unifiée, partagée par tous les chercheurs. Et c’est bien là où l’écologie révèle sa fragilité. Minée par la religion de Gaïa et autres déifications de la Nature, dévorée par les querelles de chapelle, essorée par la propagande industrielle, l’écologie n’est pas une science mais un marécage politique. Potentiellement aussi précise que la biologie, elle est plutôt vaseuse comme la sociologie. Les décideurs marchent dans la boue. Difficile de lever le pied.

Les vicissitudes politiques ont gravement dénaturé la science écologique et c’est pourquoi personne ne songe à l’enseigner correctement, laissant le champ libre aux réseaux d’influence et aux chapelles. Comment bâtir une image coordonnée de l’écosystème dans ces conditions ? Il n’existe pas d’éco-Humanité aux commandes, seulement des ego-humains exploitant chacun leur petit coin.

Aidons l’écologie à s’évader

Le militantisme a fait de l’écologie un crabe parmi d’autres dans le panier de la politique, se disputant avec l’Économie, le Confort, l’Industrie, la Distribution, le Spectacle, toutes ces affaires purement humaines qui n’ont rien à voir avec les sciences physiques. L’écologie a besoin de revenir dans le giron des sciences dures, indéniables, résistantes au déni et aux artifices politiques et industriels. Pour cela il faut aider l’écologie à s’évader de ce théâtre de marionnettes qui la maquille, la force et la travestit.

Comment y parvenir ? À l’évidence il est nécessaire que les scientifiques eux-mêmes ne participent pas à l’agitation politique. Or ils sont de plus en plus rares à y résister. Interviews, livres de vulgarisation, influenceurs, tout les attire dans le monde du spectacle. Le vedettariat coule le consensus scientifique. La physique résiste ? Elle est unifiée et protégée de la politique parce que personne n’y comprend rien. Tandis que l’écologie est désagrégée par la multitude des opinions pseudo-savantes et très encalminées.

La vie magique des arbres

Un exemple récent de la dérive scientifique est “La vie secrète des arbres”, ce livre fantastique mettant en scène une vaste société d’arbres partageant leurs ressources. J’ai lu comme vous et apprécié la découverte de ce “Wood Wide Web”, un monde magique où les arbres s’échangent par leurs racines des informations sur les insectes et l’état du sol pour former une sorte d’immense organisme collectif. L’idée part d’une biologiste, Suzanne Simard, qui publie en 1997 une étude montrant un échange de ressources de l’ordre de 6% sous terre entre un bouleau et un sapin de Douglas.

L’idée grandit jusqu’à inspirer un ingénieur forestier allemand, Peter Wohllenben, qui écrit ‘La vie secrète des arbres’ en 2015. Suzanne Simard renchérit elle-même en 2021 avec ‘À la recherche de l’arbre-mère’, ses mémoires. Entretemps, James Cameron s’est bien sûr inspiré de l’idée pour son ‘Avatar’. Pandora n’est rien d’autre qu’une Gaïa libérée de l’oppression d’une industrie humaine qui détruit son métabolisme intime. Science et magie main dans la main ! Malheureusement le rêve est trop magnifique. La vérification des calculs de Simard montre que les échanges entre bouleau et sapin sont très faibles, de l’ordre de 0,1%, c’est-à-dire négligeables. Il existe dans le sol très peu de transferts à proprement parler, plutôt des réutilisations par les uns de substances relarguées par les autres.

Approchons le rêve de la réalité

N’est-il pas judicieux de nous faire rêver ? Pourquoi hésiter à répandre dans les esprits l’idée que la Terre est une Pandora belle et vulnérable, pour nous motiver à la protéger ? C’est le mobile principal de la religiosité écologique, qui convainc des gens très cartésiens. Malheureusement vous n’influencez ainsi que des esprits déjà ouverts à la croyance, pas la majorité. D’autres révèrent des religions différentes, telles que la Techno-prêtrise ou le Libéralisme. Beaucoup ont un niveau de vie trop fruste pour s’imposer l’ascétisme et la surveillance qu’impliquent une telle religion. En étant une trop belle Terre, Pandora n’est pas la Terre. Les gens ne vivent pas dans une utopie. Quand le mythe est trop cher on le balaye, oubliant qu’il existe un peu du mythe dans la réalité.

Faudrait-il cesser de s’intéresser à l’écologie ? Bien sûr que non. S’y intéresser oui, mais pas la diriger en croyant être le commandant du Vaisseau Terre. Nous sommes les petits mammifères qui chient partout leurs déchets de plastique et de métal. Nous vivons dans notre poubelle. N’avons-nous pas envie qu’elle soit bien rangée ? Spontanément nous plaçons les détritus biologiques là où il faut, parce que leur puanteur nous y incite. Mais le plastique ? Peut-être faudrait-il produire des plastiques qui puent. En attendant, lavons-les et rangeons les aussi attentivement que nos vêtements. Recyclons tout, pour nous perpétuer nous-mêmes, et perpétuer nos enfants.

S’animer au lieu de se dessiner

Faisons de la politique dans notre Assemblée intérieure, où un tas de députés conservateurs continuent à nous faire prendre la voiture pour parcourir moins d’un kilomètre, à illuminer toute la maison en permanence parce que le terrier est plus joli et vaste ainsi, à remplir le caddie sans hésiter parce qu’il n’y a même plus à se baisser pour avoir le meilleur prix, à cliquer frénétiquement le Black Friday sur les objets qui peuvent un jour servir…

La Pandora d’Avatar n’a aucun pouvoir dans cette assemblée intérieure. Elle réjouit notre Enfant qui y siège encore, mais appartient à un autre univers. Pandora est un dessin animé qu’il faut montrer à notre Enfant en lui expliquant qu’il existe un peu de son dessein dans la réalité. Et la ramener ainsi sur Terre. Et nous améliorer.

Conclusion

L’écologie n’est pas un parti politique mais une cause universelle. La politiser détruit cette universalité, la réduit à un groupe d’opinions. Redonner de l’envergure à la cause écologique est la faire redescendre dans les racines communes à tous nos comportements, l’intégrer à nos élans, nos désirs les plus profonds. Elle doit marquer la nouvelle génération, cimenter une fondation dans sa psychologie dont l’ancienne est dépourvue. Pourquoi ne pas encourager l’enseignement par des jeux vidéos où l’économie des ressources est primordiale ? Pourquoi ne pas créer des centres para-scolaires où le monde de l’effondrement est simulé, permettre aux enfants de devenir à temps partiel les “indigènes” de ce futur hostile ?

Tout cela reste local, malheureusement. L’espoir écologiste ne peut être que global. Il ne s’agit pas de l’impliquer dans la lutte des factions politiques, qui le marginalise, mais de l’insinuer dans chaque interstice de la hiérarchie sociale, qu’il devienne aussi naturel que le respect de l’autre. Mais justement. Le collapsus du respect en question n’est-il pas à l’origine de toute la collapsologie ?

“Lutter” pour une cause “universelle”, n’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Seul un grave effondrement du collectivisme a pu faire naître cette idée bizarre…

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