Une question de pare-chocs?
Philomag s’attaque à la mort qui arrive en face, ou qui a déjà percuté un proche, et nous n’arrivons pas à surmonter la catastrophe. La généralisation cache de fortes inégalités : certains entrent en état de décomposition mentale et d’autres semblent inaffectés. La mort serait-elle un virus inconnu ? Un nouveau vaccin en vue ?
Les Classiques épicuriens et stoïciens disent que « la mort n’est rien pour nous ». Rien à affronter, donc. Message glacial bien reçu des inaffectés par la mort. Et les autres ?
Les Modernes insistent sur la présence de la mort dans toute vie. Pour Heidegger c’est la tension vers la mort qui arme un projet de vie. Quelle idée aberrante, Martin ! Un jeune se moque royalement de la mort. Ce n’est certainement pas elle qui “arme son projet”. La tension de la mort qui s’approche, par contre, affole celui qui est loin d’avoir concrétisé ce projet. Le pire est sans doute quand la mort d’un proche vide le projet de tout sens. La mort, au contraire, désarme.
Équipons-nous!
Cédric Enjalbert propose ensuite une troisième explication, qui relève plutôt de la thérapeutique : il manque les mots. La mort est une abstraction trop brutale, trop brève, un mot minuscule qui prétend remplir l’inconcevable néant qui s’approche. L’idée de tramer ce vide avec le récit est judicieuse. Tout le monde tire bénéfice de se raconter, ou écouter les autres se raconter. Mais il persiste beaucoup de trous dans l’habillage par le récit, qui apparaît fragile. La mort semble capable d’emporter tout cela aussi.
La liturgie est le meilleur réceptacle, depuis des millénaires, pour ces mots. Où les stocke-t-elle ? Ni dans l’humain fugace ni dans ses réalisations éphémères, mais dans la permanence d’un tout supérieur à lui. Il faut comprendre le discours des Classiques inscrit dans un monde pétri de divinités et d’immanences. La mort n’est rien parce qu’elle ne met pas fin à la vie.
Du courage
C’est en ayant courageusement renoncé à nos divinités supérieures qu’il faut maintenant installer des pare-chocs, se raconter d’héroïques histoires, dans l’attente de l’inéluctable moment fatal. Le pari d’embellir la vie pour que la mort emporte quelque chose plutôt que rien.
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La mort en face, Philomag 2022
Image d’en-tête: psychologies.com