Non-binarisme et anti-binarisme

Abstract: À partir de l’exemple de Théo qui se renomme Théa, je montre la différence importante entre les vrais non-binaires, qu’on entend peu, et les anti-binaires, ardents militants.

Qu’est-ce qu’un non-binaire?

Est non-binaire une personne qui ne se déclare pas dans un genre femme ou homme, tel que prescrit par le binarisme culturel dominant. En accord avec cette philosophie, elle devrait se choisir un prénom neutre, ou laisser ses proches utiliser à loisir une déclinaison féminine ou masculine. La personne peut répondre par exemple au nom de Théo ou Théa, ou au plus neutre Thée. C’est la vraie définition du non-binarisme, qui est de s’affranchir de toute marque sociale binaire sur son identité de genre, sans changer son sexe.

Cependant la plupart des non-binaires vont plus loin. Ils ne se contentent pas de filtrer l’influence binaire mais veulent l’attaquer. Motif ? Éviter toute relation entre genre et sexe, qui n’est jamais neutre. L’immense majorité de nos voisins associant les deux, il n’est pas si facile de se défendre de l’omniprésent binarisme. Théo va ainsi exiger qu’on l’appelle Théa, parce qu’il s’est déterminé du genre féminin sans avoir changé son sexe mâle. Il se juge non-binaire. Mais avoir inversé sa catégorie entre sexe et genre, est-ce vraiment une neutralité vis à vis du binarisme ?

À quoi sert un nom?

Choisir un nom n’est pas une affaire strictement personnelle. Le nom sert à la relation. La relation me lie avec les autres. Mon nom donné me lie avec mes parents. Mon nom choisi est un message pour les autres. C’est même le message le plus obligatoire et le plus largement diffusé dans la société. Choisir Théa quand on est né Théo, c’est dire « Je n’ai pas de préférence de couleur » et s’habiller tous les jours en rouge vif.

Les discussions identitaires se heurtent à un problème constant : certaines identités sont derrière de hautes murailles et ne connaissent qu’une seule direction de la pensée : « Je regarde le monde ». Le monde est un lieu de contentieux sévères pour les genres alternatifs. Difficile de s’y projeter. L’autre direction de la pensée, « Le monde me regarde », est impossible. De derrière sa muraille il est parfaitement recevable de s’habiller en rouge et se dire sans préférence de couleur. Personne n’est là pour le contester.

Qu’est-ce qu’un anti-binaire?

Certaines genrées alternatives sont fâchées davantage avec le binarisme. Elles ont affronté l’ostracisme des parents, des proches, de la société conservatrice en général. L’hétérosexualité est ressentie comme une armée qui campe perpétuellement derrière les murailles, empêchant de vivre librement. Ces personnes ne sont pas simplement non-binaires, mais anti-binaires. Dans cette lutte elles se regroupent et se renforcent mutuellement. C’est le communautarisme LGBT.

Le sigle s’est étendu en LGBTQQI2SAA+ —« + » pour « et les autres », voir en fin d’article le détail des lettres. Faut-il y voir un assouplissement ou le recrutement de bataillons supplémentaires ? Le communautarisme a le double effet de protéger et de creuser davantage le fossé séparant hétéros classiques et autres genres. Il regroupe davantage les révoltés que les médiateurs, qui s’attardent moins sur les difficultés à exercer ses préférences au sein de la population générale. La vie en société est, par définition, une difficulté à exercer toutes ses préférences.

L’hétérosexualité: une ligne droite

Peut-on vraiment partir en guerre contre les gens pour qui l’hétérosexualité est un instinct aussi naturel que marcher ou s’alimenter ? L’être humain est complexe et sa sexualité relève d’un étagement d’organisations depuis son sexe génétique jusqu’à son environnement culturel, en passant par des étages métaboliques et psychologiques primaires qui lui sont cachés.

Pour l’hétéro le chemin est une ligne droite. Chaque escalier démarre bien en face du précédent, d’un étage à l’autre. Pas besoin de réfléchir. L’hétéro adulte débouche sur le toit paré de la morphologie sexuelle attendue, du langage corporel adéquat, des mimétismes vestimentaires propre à son sexe. Avant de dire que la culture l’a modelé ainsi il faut se souvenir que la culture ne surgit pas du néant. Elle reflète et consolide les déterminants naturels. C’est la domination de l’hétérosexualité en génétique qui s’est transposée dans la culture. L’immense majorité des humains débouche sur le toit en tant qu’hétérosexuel, c’est un fait.

Le LGBT: un zig-zag

Le chemin a été beaucoup moins rectiligne pour le LGBT. À certains étages il n’a pas emprunté l’escalier habituel. La cause peut être un évènement inattendu, émotionnellement puissant, agression de soi ou d’un proche ; ou une pression continue, métabolisme hors moyenne, ou parents désirant un enfant de l’autre sexe, etc. Le binarisme devient alors symbole d’agression plutôt que du naturel. Il est rejeté.

L’identité LGBT est moins facile à s’expliquer que l’identité hétéro. Moins facile de s’approprier son genre. Avant d’être en conflit avec la société on est davantage en conflit avec soi. Un côté insupportable chez l’hétéro vient de son assurance à être ce qu’il est et en faire une norme, tâche plus difficile pour le LGBT. Hétéro et LGBT connaissent leurs préférences, qu’ils éprouvent en direct. Mais l’hétéro connaît en plus leur origine, sans avoir besoin d’y réfléchir. Il montre la cage d’escalier bien d’aplomb. D’en haut on voit parfaitement le XX ou le XY tout en bas. Le LGBT ne peut pas expliquer aussi clairement son identité, et souvent n’a pas envie de le faire car cela lui ferait retraverser des étages chaotiques, qu’il préfère oublier.

Remonter l’ontologie du genre

Appelons ce chemin l’ontologie du genre. Elle est fluide chez certains, obscure ou bouleversée chez d’autres. Les troubles liés au choix du genre sont des problèmes d’appropriation de son identité. Plutôt que la raccourcir à une préférence sexuelle éprouvée, il est préférable de la dérouler, d’étaler tous les chemins qu’elle aurait pu prendre. Il nous est assez facile d’imaginer quelle aurait été notre vie si nous avions préféré tel compagne / compagnon à tel autre. De même, nous pouvons réfléchir à l’identité que nous aurions pu avoir en l’absence de telle personne ou tel évènement, dont l’influence a été déterminante. Aurait-elle été plus classique, plus facile à assumer, plus ennuyeuse aussi ?

La réflexion n’a pas pour objectif de remettre en question nos choix. Changer de compagnonnage n’est déjà pas chose facile, alors changer de genre… L’hétéro qui ostracise un LGBT devrait s’interroger sur sa réaction si on lui imposait une sexualité qu’il réprouve. Installé dans l’enfance le genre est devenu inaccessible. Il a structuré toute notre personnalité. Impossible de le modifier avec le simple rétro-contrôle qu’est en réalité la conscience. Celle-ci pourra déjà se féliciter chaudement si elle parvient à corriger les névroses accompagnant ce choix, les conflits liés à son acceptation partielle.

L’anti-binarisme est un ostracisme à l’envers

Réfléchir c’est parvenir à plonger dans son propre esprit et réconforter le petit enfant déboussolé que nous avons été. C’est quand on a mit fin à sa guerre intérieure que l’on peut abaisser les murailles extérieures. Les autres peuvent recommencer à circuler en soi.

La liberté n’est pas un solipsisme. C’est une insémination de nos désirs dans le monde. Mais pas un viol ! Gaïa est fatiguée de subir nos assauts débridés. Nous avons besoin de retrouver du collectivisme. Le non-binarisme s’y fond facilement. L’anti-binarisme lui barre la route.

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