Une IA musicale en 1982

Abstract: L’histoire de mon IA musicale née en 1982 sur un Sinclair ZX Spectrum, inépuisable créatrice tombée dans l’oubli. La motivation ? Une absence de talent d’instrumentiste contrastant avec une fascination pour la synthèse sonore et les symphonies cosmiques.

Intelligence Spectrale

Les années 80 sont le début de l’informatique personnelle. J’investis à 22 ans dans un Zinclair ZX Spectrum, l’un des premiers ordinateurs grand public, qui sera bientôt suivi des Commodore, Thomson, Oric et autres Atari. Contrairement aux plus professionnels PC IBM et Apple, ces machines utilisent un banal magnétophone à cassette pour stocker leurs données et sont abordables pour les petits budgets. Elles sont fournies avec des jeux bien sûr, ce qui fera leur succès, mais permettent surtout de s’initier à la programmation. Mes idées pétillent !

Passionné depuis l’adolescence par l’électronique amateur, j’ai bidouillé quelques années plus tôt des cartes sonores analogiques pour installer un synthétiseur à fiches personnel dans une caisse en bois. Je découvre ainsi une multitude de sons stupéfiants pour l’époque, mais il faut maintenant les assembler dans des mélodies plus digestes. Dépourvu de formation musicale, je pianote sans talent sur un clavier et il me faut un exécutant plus fiable. Je programme facilement un séquenceur sur mon Spectrum, puis attaque un projet nettement plus ambitieux : concevoir une IA musicale capable de compositions aussi longues et variées qu’on le souhaite.

De la mélodie à la minute

Le Basic étant trop lent il me faut apprendre aussi le langage machine, suite aride de 1 et 0 qui est la syntaxe naturelle du microprocesseur et pas du tout celle de nos cerveaux. Pour gagner du temps je programme seulement des routines en binaire et les assemble avec le plus facile Basic. Le Spectrum est relié au synthé avec une interface numérique/analogique et…

Les premiers essais furent quelque peu discordants. J’ai laissé beaucoup d’initiative à l’IA. Elle connait son solfège par coeur mais recoure fréquemment à des fonctions aléatoires. Musique très expérimentale ! J’ai du compléter son éducation : notions de refrain, de solo, de thème. La version 2.0 de l’IA réussit finalement à sortir une musique audible, en continu si je le désire. De même qu’une machine à tisser fabrique du drap au mètre, ma machine à enchanter produit de la mélodie à la minute, sans jamais se fatiguer.

Planeurs à plumes

Je vous laisse écouter. Pour ces morceaux-là, j’ai branché le Spectrum sur un synthé commercial prêté par le copain musicien de ma soeur, un Yamaha DX7 :

La mouette

La mouette 2

Planeurs à plumes

Au sein de l’explosion de la musique électronique

Qu’est devenue cette antique précurseur des IA ? Les études de médecine ont dévoré le temps nécessaire à son développement. D’autre part je devinais sans peine l’hostilité informulée des musiciens à qui j’en parlais. La peur de l’IA remplaçant l’artiste humain n’est pas une nouveauté du XXIème siècle. Le coup de grâce a peut-être été le commentaire d’un pote qui jouait un peu de basse : « On dirait de la musique d’ascenseur ». L’ère de la techno était bien lointaine…

J’ai remplacé le Spectrum par le premier Macintosh 128K en 1985. Les routines machines et Basic n’ont pas suivi. Mon IA n’a jamais menacé les productions du Top 50, toutes bien stéréotypées et corsetées dans la mode du moment. À mon grand regret, car je les trouvais bien niaises. Mais les décennies 70 et 80 furent aussi l’explosion de la création mélodique et sonore, dans le rock progressif, le krautrock et la musique électronique française —Richard Vimal, Space Art, Jean-Philippe Rykiel, etc. Je trouvais pleinement mon bonheur musical chez mes congénères.

Le déclin des compositeurs

C’est aujourd’hui que je regrette davantage l’abandon de cette IA, car les décennies suivantes ont vu l’effondrement, dans mon opinion, de la créativité chez les compositeurs. Où sont les successeurs du Pink Floyd, de Genesis, de Gong et de Pete Townshend ? Ce n’est pas un hasard s’il existe autant de groupes de haut niveau qui font du Pink Floyd revival, transformant la musique des années 70 en un nouveau répertoire classique que tout mélomane se doit de connaître.

Certes il n’est pas facile de composer du neuf quand toutes les mélodies semblent avoir été créées, de même qu’il n’est pas facile d’écrire un nouveau roman quand toutes les histoires semblent avoir été racontées. Cela encourage à établir de nouvelles connexions, d’associer d’autres recherches sonores, vocales, textuelles et rythmiques. Étendre son imagination et ne pas la contingenter par un instrument quelconque et une mode imposée. La machine que je voulais réellement mettre au point est celle qui aurait transcrit les symphonies new-age éblouissantes composées sans entrave dans ma tête. Mais elles se sont enfuies avec les années.

Bientôt musicGPT (Gros Pouvoir de Trance)

Aujourd’hui la scène musicale s’est tellement asséchée et robotisée au niveau des compositeurs que le champ est libre pour la nouvelle génération d’IA vraiment créative, telle que MusicLM, un équivalent de chatGPT pour la musique créé par Google, pas encore disponible pour le grand public, mais dont vous pouvez avoir un aperçu ici.

Je m’attends à pouvoir enfin demander à mon dernier Mac, dont les caractéristiques ont bien changé depuis le premier 128K, de m’expédier dans les fragrances sonores cosmiques dont je rêvais à l’adolescence.

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