Éloge du centrisme dur

« Rassembler les centristes, c’est comme conduire une brouette pleine de grenouilles : elles sautent dans tous les sens. »
François Bayrou

Mi-chèvre mi-chou

Peggy Sastre fait un joli éloge du mi-chèvre mi-chou dans Le Point du 16 mars 2023. Elle vante le courage de ne pas prendre parti et « le faire savoir pour ralentir la progression des extrêmes, de ceux qui donnent l’impression de défendre nos causes mais ne font que les dévorer ». Elle a magnifiquement raison, mais cet aplomb du centrisme ne s’applique pas seulement aux individus. Il devrait être un principe cardinal en politique, or la plupart des électeurs cherchent encore qui le représente correctement.

Le politicien centriste est volontiers dépeint comme une girouette, porteur de convictions fragiles, capable de rejoindre l’adversaire au moindre coup de vent. Cela, c’est la description de l’indécis, colportée par le radical pour déconsidérer ceux qui voudraient modérer son idéal. Le vrai centriste a une tâche différente et difficile. Il doit commencer par reconnaître sa solitude face aux radicaux. De son point de vue, les radicaux de tout bord sont unis dans une alliance paradoxale. D’une part chacun d’eux cherche à le rallier à son extrémisme. Le centriste est la cible convoitée de tous les autres. Mais d’autre part le centriste qu’il faut séduire est aussi méprisé et détesté.

Une ligne ferme s’engage entre des extrêmes bien campés

Pour un radical en effet il est préférable que l’extrémiste opposé prenne le pouvoir, plutôt que le centriste. En raison des politiques tranchées, l’échec d’un extrémiste propulse son adversaire sur le devant de la scène. Tandis que l’échec du centriste crée l’incertitude : le pouvoir ira-t-il à droite ou à gauche ?

Heureusement pour le centriste, cette alliance des extrêmes est purement politique. Trop paradoxale, elle se désagrège facilement dans la gestion des affaires sociales, où les radicaux ne peuvent s’entendre. La ligne du centre est ainsi facile : c’est la politique qui détruit toute possibilité d’accord entre les radicaux. Comment concrétiser cette tactique ? Il faut avancer sur les sujets où les radicaux ont des projets concurrents. Attention à ne pas s’aventurer en terrain trop vierge : ici l’union sacrée des extrêmes devient possible.

Un rétro-contrôle efficace n’a pas besoin d’être impérieux

Le centriste habile s’assurera que les radicaux aient présenté des projets avant de proposer le sien. En exemple, l’erreur de la réforme des retraites se tient là. Il faut démontrer la futilité des projets adverses pour rendre le sien inévitable. Séquence: ébaucher le problème, réunir les opposants, les faire plancher sur leurs solutions, démonter les propositions inacceptables, dévoiler et consolider son propre projet.

Le centre dur n’est un centrisme impérial, qui promulgue ses ordonnances et les fait appliquer par la force. Cela, c’est le mode des radicaux. Le centrisme est au contraire de laisser libre cours à l’expression des extrêmes, de les porter en avant même. Sans en privilégier aucun. Sans tenter de retenir le moindre d’entre eux. Le censurer c’est lui donner davantage de publicité, éveiller des émotions plus fortes encore à son sujet. « On nous ment! » « On veut nous faire taire! » On ne vient pas à bout d’émotions avec un étouffoir de paroles lénifiantes mais avec d’autres émotions aussi fortes, soutenant un discours contraire.

Garder vif le feu de la forge sociale

Le principe fondamental de notre réalité sociale est le conflit. L’espoir vain et un peu lâche de l’indécis est de voir s’atténuer les conflits. C’est cela qui lui vaut le mépris des idéalistes radicaux. Le vrai centriste, lui, ne cherche en aucune manière à atténuer les conflits. Seulement à les rendre moins destructeurs, moins stériles, en faire rapidement des avancées constructives. Mais avancer surtout ! Ne pas s’enterrer dans un conservatisme effrayé, figé comme une souris dans son trou avec le chat qui l’attend à la sortie.

Le centriste dur apprécie et entretient le conflit, feu de la forge sociale. Il le porte là où il fabriquera des outils de gestion performants, des règles plus universelles, plus trempées dans la fournaise des litiges les plus brûlants. Il porte le conflit chez les représentants pour éviter qu’il descende dans la rue. Pourquoi faire buvard chez ceux qui ne sauront que le rendre plus destructeur, pas le résoudre ? Combien de conflits sont si vitaux qu’il faille les imposer de force à ceux qui n’en ont cure ? Depuis quand la démocratie est-elle d’attraper son voisin par les cheveux et lui plonger le nez dans nos affres personnelles ?

Un centrisme ni chèvre ni chou, endurci à la flamme

Un centre dur est respecté des radicaux et fonde une société unie, tandis que le centre mou qui a marqué le dernier demi-siècle politique français a créé une scission permanente entre deux moitiés de population, forcées de se déclarer de droite ou de gauche même quand elles ne s’y intéressaient pas. Leur désintéressement a été mal représenté. Par une image trop molle, trop malléable, trop vulnérable, attirant perpétuellement les prédateurs des extrêmes.

Les extrémistes ont réussi à rendre la pureté de leurs idéaux plus estimable que le machiavélisme du centrisme. Grossier subterfuge. Les pires souffrances de l’humanité sont toutes liées à de purs idéaux, insuffisamment contestés.

Seul un centrisme enfin endurci nous évitera d’y replonger.

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Éloge du mi-chèvre mi-chou, Peggy Sastre dans Le Point n°2641

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