Athée ou agnostique? La séquelle…

Abstract: Dans cet article séquellaire d’un précédent débat, je soutiens toujours qu’un scientifique pragmatique doit se dire agnostique et non athée, malgré l’avis contraire d’une zététique qui sort du  champ de ses postulats.

Classification zététique

Perché sur son Observatoire de la zététique, Christophe Michel fait un excellent travail de définition sur l’athéisme et l’agnosticisme. Il montre que croyants et non-croyants n’utilisent pas les mêmes :
Athéisme = ‘ne croit pas en Dieu’  chez le non-croyant ; se transforme en ‘croit en l’inexistence de Dieu’ chez le croyant
Agnosticisme = ’n’a pas de preuve’ chez le non-croyant ; se transforme en ‘ne se prononce pas’ chez le croyant.

Savoir (gnose) et croyance étant indépendants, ils déterminent pour Christophe 6 catégories :
1) Agnostique athée = n’a pas de preuve, ne croit pas
2) Agnostique théiste = n’a pas de preuve, croit (foi pure)
3) Anti-théiste = n’a pas de preuve, croit que Dieu n’existe pas
4) Théiste = a des preuves, croit
5) Dénigreur = a des preuves, ne veut pas croire
6) Incohérent = a des preuves, croit que Dieu n’existe pas

Une humanité bien peu rationnelle

Ce beau travail trouve ses limites en regardant de près les définitions de ‘preuve’ et surtout de ‘Dieu’. La classification pose en effet un problème : seules les positions (1) et (4) sont logiques. Les autres sont peu cohérentes, et pourtant elles contiennent beaucoup de monde, la majorité des gens même. La plupart des croyants appartiennent en fait à la catégorie (2), maintiennent leur foi sans être vraiment convaincus par les preuves. De même la plupart des athées sont plutôt dans la catégorie (3), anti-théistes réactionnaires à la religion et persuadés que Dieu n’existe pas. Comment expliquer cette irrationalité générale ?

Chacun appelle ‘preuve’ ce qui l’enchante. Les scientistes la réduisent à ‘preuve scientifique’. Minoritaires mais fiers de leur rigueur, ce sont eux qui se classent en (1). Les religieux voient des preuves dans la tradition, une autorité bien plus ancienne. Ils s’installent avec le même aplomb en (4). Les autres, finalement, ont moins de certitude sur ce qu’est une preuve. Les apparitions divines se font rares mais la science s’est trompée aussi à de multiples reprises. C’est le mélange de l’origine des preuves et les degrés intermédiaires d’exigence qui saupoudrent la plupart des gens vers les autres catégories.

Votre Dieu est-il exactement le même que le mien?

Second écueil : la définition de ‘Dieu’. S’agit-il du Dieu chrétien, d’un Dieu unique sans plus de précision, d’un Créateur inconnaissable abrité ainsi de tout anthropomorphisme, d’une force aveugle mais génitrice, du symbole ‘origine’ ou ‘terminaison’ de l’Univers ? Dans ce marché très bien achalandé, nous trouvons sans difficulté le Big Bang, les forces fondamentales des physiciens, aussi bien qu’un patriarche barbu, ou même le rien. Le rien divinisé, vous y croyez ?

Ce n’est pas parce que quelqu’un entre dans une église que sa version de Dieu est celle qui est lue dans les Évangiles. Étant donné la malignité persistante du monde, la bonne parole donne à ses auditeurs l’impression de devoir être répétée pour se faire convaincante. L’écoute se fait en groupe. La prière est un acte social avant d’être un acte de foi. Les images de Dieu se regroupent. Dans un congrès scientifique aussi.

Échapper à sa condition ontologique exclusive

En rétrécissant la notion de ‘preuve’ à celle de la science comme le fait Christophe Michel, on peut encore retrouver les 6 catégories. Mais en desserrant notre épistémologie et en redonnant à chacun sa version de Dieu, la classification explose. Cela pour dire que la discussion théisme/athéisme/agnosticisme n’est pas elle-même très scientifique. Elle utilise des postulats hors du champ ontologique de la science. La science ne sait pas transformer une ‘croyance’ en objet scientifique, pas plus qu’une ‘pensée’, ou une ‘preuve’ au sens large. Elle postule par exemple que les forces fondamentales sont immuables. La moindre irruption d’un postulat dans le champ de l’analyse veut dire qu’il existe un mode de connaissance alternatif à celui choisi. Un aiguillage discret du savoir a été franchi.

Comme je l’ai soutenu récemment, un scientiste doit se choisir une philosophie pour échapper à sa condition ontologique, plus fragile qu’il ne le croit, entre un réel en soi inaccessible et une manière de connaître héritée de sa formation. Pour cette raison je tends à placer les scientistes parmi les croyants, avec des résultats expérimentaux qui les placent en tête devant les théistes dans la course à la vérité. Mais d’un point de vue philosophique ils sont dans la même catégorie : coincés dans la camisole de leur manière unique de connaître. Ce n’est pas un gourou mystique qui tient ce discours mais un médecin chaud partisan de l’application rigoureuse de la science dans sa pratique.

Choisir le pragmatisme

Je recommande à Christophe Michel d’associer la philosophie pragmatique au scientisme. Le pragmatisme dit ceci : ne trancher une question (croire ou ne pas croire) que si trancher a des conséquences explicites pour la suite de notre effort de connaissance. L’agnosticisme s’installe tranquillement dans cette philosophie. Ne-sait-pas (NSP) n’est ni OUI ni NON. La notion de croyance n’a rien à faire à cette étape, celle de la gnose. Le choix entre ‘Je crois’ et ‘Je ne crois pas’ n’a encore aucune signification. Il peut s’installer par dessus un OUI ou un NON, mais pas un NSP. Il y a une hiérarchie entre l’agnosticisme et l’athéisme. Pas de savoir, pas de question de croire.

C’est pourquoi les positions (1) et (4) de Christophe sont les seules logiques. Toutes deux ont fourni une réponse à la question de savoir. Religieux et scientistes ont regardé leurs preuves et ont dit OUI ou NON. Ils peuvent passer à l’étape suivante, qui les mène directement à ‘croire’ et ‘ne pas croire’. Le vrai agnostique, lui, ayant répondu NSP, ne peut plus avancer. Il n’y a pas d’étape suivante. Elle est imaginaire. Raison pour laquelle les catégories explosent ensuite. Chacun s’individualise dans son imaginaire.

Quelles conséquences pour notre effort de connaissance de séparer les athées des théistes ? Aucune. Le scientifique pragmatique reste donc… agnostique. Sans aucun épithète supplémentaire.

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Hygiène mentale Ep19 Athéisme, Agnosticisme – Croire ou ne pas croire ? Christophe Michel

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