Athée ou agnostique ?

J’ai toujours été stupéfié de la vivacité avec laquelle les athées rayent l’agnosticisme de leurs réflexions. Michel Onfray, dans trois conférences qui résument sa pensée1Le pur plaisir d’exister, Michel Onfray (audiobook), lui règle son sort en une seule phrase : « l’agnosticisme est un refus de se décider qui ne peut satisfaire tout vrai philosophe ». Bon, je parlerai plus tard des grandes qualités et des encore plus grands défauts d’Onfray. À l’évidence les athées ont un compte en souffrance avec Dieu et la religion. Comme avec la psychanalyse, chez Onfray. L’a-thée et l’a-freudien sont bien plus imprégnés de l’idée de Dieu et de Freud que l’agnostique, de même que l’adolescent rebelle est plus imprégné des diktats de ses parents que le non rebelle.

L’agnosticisme est le seul opportunisme

Non seulement l’agnosticisme est la position philosophique la plus riche, mais le pragmatisme en fait le seul choix possible. Pourquoi ? L’athéisme est un militantisme comparable au théisme. Dieu est déclaré inexistant ou existant. Un choix est fait. L’athéisme est bien l’affirmation de l’inexistence de Dieu, et non simplement qu’il soit imaginaire. Dieu dans l’imagination a une existence neurale. Cela n’implique pas qu’il ait sa contrepartie ailleurs. Mais cela n’interdit pas une telle existence. Il existe toujours un inconnu inaccessible, dont une partie se recoupe avec notre imaginaire. L’inconnu interdit définitivement de savoir quelle est cette partie. Il interdit d’interdire Dieu.

Si Dieu n’est ni interdit ni confirmé par quoi que ce soit de convaincant dans la réalité —les limites de “convaincant” appartenant à chacun d’entre nous—, la seule position pragmatique est l’agnosticisme. Un agnosticisme quant à l’existence de Dieu, pas à son utilité éventuelle en tant que concept. C’est cela qui fait la grande richesse de cette position. En effet le pragmatique peut juger le concept utile ou non en fonction de qui le réceptionne.

Agnosticisme utilitariste

Il existe un grand nombre de mondes personnels où le concept est précieux, structurant un ensemble d’évènements pas toujours réjouissants, et permettant de reprendre confiance dans un avenir élargi par cet être supérieur, Dieu. Qu’il soit purement imaginaire ou adossé à un être réel importe peu, pour le pragmatique. Notre monde mental est par essence mythomane, même quand il inclue des concepts scientifiques. Le plus rigoureux des scientistes utilise au quotidien davantage de concepts mimétiques que scientifiques. Nous copions nos mythes. S’ils se révèlent capables d’augmenter le bonheur ressenti, pourquoi s’en priver ? Démythifier l’univers n’est qu’une oeuvre parmi d’autres. Et surtout démythifier l’univers des autres n’est pas forcément dans leur intérêt.

Collectivisme religieux vs technocratique

Dieu est moins souvent critiqué que les religions, qui l’habillent à la manière qui les arrange, avec un conservatisme quelque peu suranné si l’on regarde de près les textes sacrés. Religions dépassées mais toujours puissantes, c’est l’indice d’une fonction aussi nécessaire que deux millénaires auparavant. Science et philosophie sont moins efficaces pour structurer la plupart des personnalités que le folklore et les religions. Celles-ci mériteraient d’être élaguées de leurs préceptes, violents, sexistes, xénophobes. Mais pourquoi se débarrasser de leurs injonctions collectivistes ? La solidarité sociale repose aujourd’hui sur une organisation technocratique carcérale. Personne ne paye ses impôts de bon coeur. L’effondrement de la technocratie laisserait une société du chacun pour soi. Elle nous a habitués à ne pas s’occuper soi-même de charité.

Rester une parcelle de Dieu?

La poussée contemporaine du scientisme s’est accompagnée d’une poussée de l’individu-roi. Il n’est pas certain qu’elles soient liées mais le scientisme fait sauter certains piliers du collectivisme. Il n’existe plus rien de supérieur à tous pour juger du comportement individuel. La conscience collective est dissoute. C’est une illusion, remplacée par des micromécanismes psychologiques, et ultimement physiques. Qu’ont les quantons à faire de morale et charité ?

La science gomme ces concepts téléologiques sans fournir aucun remplaçant. Tout a une explication, toutes les raisons se transforment en équations. Pas celles-là. Les religions tentaient de concrétiser la présence des vertus dans la matière vivante. Physique et biologie n’en voient aucune trace.

L’agnosticisme, dans ce cas, ne cherche pas à protéger Dieu de la disparition mais à nous protéger nous-mêmes, êtres intentionnels, de l’extinction. C’est dire : Pourquoi exclurai-je Dieu du possible, sur la foi du scientisme, alors que le même scientisme m’exclue moi, avec ma conscience et mes désirs, traitant tout cela d’illusions ?

La spécificité de l’agnostique

L’agnostique se voit souvent assimilé à l’athée, surtout chez les anglo-saxons, sans doute parce que le principe de laïcité est moins central dans leur culture. Mais l’agnostique doit refuser cette assimilation. C’est la “raideur du centre” dont je parlerai dans un prochain article. Pour l’agnostique, le discours de l’athée et du théiste se ressemblent étrangement :
Le théiste : « Dieu explique tout. Si une chose se prétend indépendante de Dieu, elle n’a pas été créée. »
L’athée : «  La Science explique tout. Si une chose n’est pas expliquée par la Science, il n’y a rien à expliquer. »
Se baissant pour éviter les invectives, l’agnostique demande : « C’est quoi, Dieu ? »

Vous avez compris la suggestion derrière cette blague. La discorde théiste/athée repose sur le même postulat, erroné, qu’il existerait une définition universelle de Dieu. En réalité l’humanité héberge autant de concepts de Dieu que d’individus. Chaque instant augmente encore ce nombre, le vieillissement faisant évoluer les concepts. Les disputes ont lieu entre partisans d’une image particulière de Dieu et ceux qui la refusent, non pas par athéisme mais parce qu’ils en ont une autre contradictoire, scientiste. L’homme est fondamentalement croyant. Seule l’allure de son tabernacle sacré change. La science est une manière alternative d’affermir son pouvoir sur le monde. Pouvoir délégué à la toute-puissance de Dieu chez le théiste, à la toute-puissance des lois naturelles chez l’athée. Spinoza confondait les deux.

La question n’a pas de sens

Honnêtement, la science est diablement plus efficace que les anges. Du moins pour l’ontologie, car elle ne fait pas mieux que la religion dans la Théorie du Tout, un tout qui nous inclue. Ce qui a entraîné beaucoup de scientifiques de premier plan dans des considérations métaphysiques. Il n’est jamais trop tard pour se construire une image personnelle de Dieu.

Je reformule, sans blague !
Théiste = ‘Je crois’
Athée = ‘Je ne crois pas’
Agnostique = ‘La question n’a pas de sens’

Sur l’existence de Dieu, théistes et athées partagent un point commun qui les précipite dans l’erreur : ils répondent à la question. Même l’agnostique est parfois trop “engagé” en disant: ‘La question n’est pas décidable’. C’est déjà accorder du sens à la question. Non. Dans le champ de connaissance actuel, elle n’a aucune signification.

La fermeté du non-engagement

Bien sûr elle en trouve hors du champ de connaissance. L’imagination déborde largement la connaissance. Les savoirs y sédimentent en couches successives. Leur stabilité vient de leur adhérence aux autres couches. Comment en ajouter de nouvelles ? Grâce au principe de vérification cher à Alfred Jules Ayer : pour qu’une question prenne sens, il faut pouvoir vérifier ses réponses potentielles, directement ou indirectement par les autres conséquences observables qu’elles pourraient avoir.

Ainsi dire que l’existence de Dieu est indécidable est déjà s’engager trop loin. En l’absence de vérification possible des réponses, la question n’a pas encore de sens. C’est la position la plus juste de l’agnosticisme, qui ne préjuge pas d’une décidabilité ultérieure de Dieu.

Garder du sens à l’inconnu

L’agnostique voit un problème commun chez théistes et athées : celui de la limite du champ de connaissance. Chez les théistes, pas de limite : Dieu n’est pas connaissable mais réel. Aucune frontière entre connu et inconnu. Chez les athées la limite est au contraire abrupte, une vraie guillotine : ce qui n’est pas dans leur connaissance n’existe pas.

Théistes et athées partagent la même carence sur un ingrédient crucial de la connaissance : l’incertitude. Ce qui autorise un peu d’indépendance à l’inconnu.

Dieu persiste là…

L’agnostique est pourtant bien plus proche de l’athée que du théiste. Pourquoi dévie-t-il ainsi du centre ? Dieu est une spéculation. Le propre des spéculations est ne rien démontrer mais exister tant que leur impossibilité n’est pas démontrée. L’interdire supposerait une connaissance complète de la réalité. Irréaliste. Cependant une spéculation s’affaiblit à mesure qu’elle multiplie les probabilités faibles dans ses déterminants. La connaissance est ainsi un processus bayésien continu qui change les poids de nos spéculations. Le Dieu aux différents visages humains des monothéismes a aujourd’hui un poids faible. Pas Dieu en tant qu’entité supérieure et incompréhensible, celui que Spinoza a confondu avec la Nature. Celui-là ne peut subir aucun affaiblissement bayésien, car il reste dans l’inconnu.

Dieu persiste là, éternellement. Le rendre humain, ce serait collectiviser un peu mieux nos représentations à son sujet.

Une suite: Athée ou agnostique? La séquelle

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