D’où viennent les forces fondamentales ?

Forte-Faible-Électromagnétique-Gravitationnelle

« Quatre forces fondamentales gouvernent l’Univers », lisez-vous couramment dans les articles vulgarisant la physique. D’où vient ce panthéon ? Les physiciens sont-ils les prophètes des temps modernes, remplaçant les anciens dieux par des nouveaux ? La révélation, en science, prend d’autres chemins. Les mystères divins, auxquels il faut croire sans avoir rien vu, sont remplacés par des expériences concrètes, que chacun peut reproduire s’il dispose du matériel nécessaire. De quoi convaincre le plus grand nombre ?

Pas vraiment. Les anciens dieux résistent. À croire que quelque chose en nous préfère l’inexplicable à l’expliqué. Les raisons sont multiples, en particulier la peur de se voir réduire à un fugace agglomérat de chair, qui n’aurait pas éprouvé grand bonheur de son état ni laissé de trace. Mais ce n’est pas ce qui nous préoccupe aujourd’hui. Ce que je voudrais vous faire noter c’est : Les forces fondamentales appartiennent au même regard que les divinités invisibles de nos religions.

Fusionner une entité

Il s’agit du regard descendant, l’une des directions du double regard utilisé sur ce site pour décrypter la réalité avec perspicacité ! Le descendant est le regard que l’observateur plus complexe projette sur les entités moins complexes. Il fusionne les choses. Un ensemble de membres agités devient ‘animal’; un tapis de cellules vertes devient ‘feuille’; d’innombrables molécules d’eau condensées dans l’atmosphère deviennent ‘nuage’.

En religion, le regard descendant prêté à Dieu sur les humains leur voit une ‘âme’. Chacune dotée de caractères spécifiques mais la fonction générale est similaire. Elle nous attribue une couleur divine sous l’oeil de Celui l’a créée. Cependant Prométhée a dérobé le feu sacré et depuis, les humains se sont réappropriés la création entière. C’est leur regard descendant qui définit maintenant la réalité.

Pêchons avec un Modèle

Les scientifiques le font d’une manière dont ils ne perçoivent pas toujours la grande habileté. Ils remplacent le Créateur par un Modèle, qu’ils projettent à l’origine de la chose étudiée, et dont le déroulement doit aboutir à sa représentation actuelle. Dans la dimension complexe, c’est toujours l’observateur sophistiqué (l’esprit scientifique) qui conçoit l’origine (le Modèle) et la prête à l’entité moins complexe.

Une autre façon de le dire est que le scientifique jette une ligne de pêche dans les profondeurs de la complexité, après avoir accroché son Modèle à l’hameçon, et attend que les entités montrent leur appétit. Qu’elles mordent et il les remonte à la surface, exposées à la lumière. Il peut alors être fier du succès de son nouveau Créateur, bien plus visible que l’Ancien.

Une religion inversée du réel

Cette manière est toujours celle du regard descendant, qui invente le Modèle. Mais apparaît secondairement un nouveau regard, ascendant : celui de l’origine, en bas de la complexité, vers les entités constituées. Cette direction inverse est appelée ‘ontologique’ par les philosophes. Elle est supposée appartenir aux éléments fondateurs de la complexité. Mais nous venons de voir qu’elle est initiée en fait par le regard descendant du scientifique, qui reste le Créateur. Direction pseudo-ontologique.

Scientifiques comme philosophes sont obligés de se satisfaire de cette approximation, quand la réalité veut bien se conformer à ce qu’on attend d’elle. Il n’existe pas d’autre moyen. Impossible de se mettre dans la peau du principe fondateur, s’il existe (son existence est toujours l’une de nos suppositions). Nous ne pouvons que l’interroger. La réalité est ce qu’elle est, à la traduction scientifique près.

À qui appartient les forces fondamentales?

Après cette introduction un peu longue, mon discours devient plus facile. Les “forces fondamentales” appartiennent au regard descendant de l’observateur humain, et non aux particules qui les subissent. ‘Subir’ est encore du langage descendant. En ascendance, les particules présentent des relations que l’oeil de l’observateur voit comme des obligations. Mais leur être et ce que cet être peut éprouver est inconnu, inaccessible.

Les scientifiques les transforment en sigles mathématiques. Les plus réducteurs d’entre eux assimilent l’être et les chiffres. C’est l’opération lénifiante du regard descendant que de confondre la chose avec sa représentation, lui interdire en fait tout discours propre sur elle-même. Le réductionniste, en effet, n’a fait dialoguer que son Modèle et son observation. Tous deux lui appartiennent ! La chose s’est contentée de ne pas le dénigrer, sans rien révéler d’autre sur elle.

La vision personnelle du monde s’est renforcée chez le scientifique. Ce qui est une bonne chose… s’il a conscience que c’est une vision personnelle, commune à ceux qui fabriquent leurs représentations avec le même langage. La caractéristique majeure du langage mathématique est sa structure extraordinairement rigide. Elle n’autorise guère de fantaisie individuelle.

Lorsque nous réattribuons la paternité du regard ascendant à la réalité physique, les forces fondamentales prennent un aspect fort différent. Au lieu d’être les nouvelles lois divines d’un humain devenu Créateur universel, elles sont seulement les règles qui rendent compréhensibles les particules à notre esprit. Ces forces sont totalement invisibles aux particules.

Li monade de Leibniz

Heureusement !! dirais-je dans un bref délire. Imaginez que chaque particule soit informée de la position de toutes les autres dans l’univers. C’est ce que prétend la force appelée ‘gravité’. Chaque point le plus minuscule de l’espace einsteinien devrait en sus faire le calcul de l’influence de tous les autres pour savoir où se diriger. Sacré ordinateur à loger dans un espace aussi réduit !

Leibniz était parvenu à cette conclusion dans ses monades, théorie du Tout où l’ensemble de l’univers est concentré en chacun de ses points. Hypothèse difficile à éliminer mais encore plus ardue à modéliser. L’inclure dans la connaissance oblige à éliminer presque tout ce qu’elle contient déjà. Un sacrifice que nous ne ferons pas aujourd’hui. Votre lecture est déjà assez déroutante.

Invincible incomplétude

L’autre hypothèse se contente d’utiliser le regard ascendant, sans rien changer à nos connaissances. Les particules ne sont informés de rien du tout. Elles se contentent d’être, être le résultat symbolique de leur constitution organisée. Les interactions ascendantes ne sont pas universelles, contrairement aux ‘forces’. Elles sont auto-créées par les éléments assemblés. Chaque système décide de la manière dont il forme son niveau de réalité.

Autarcie relative, car dépendante du niveau sous-jacent. Mais cette indépendance relative a un avantage majeur : elle redonne à l’origine de la dimension complexe la propriété de ce qu’elle est, en l’émancipant de ce que nous voudrions qu’elle soit. Peu importe notre souci d’authenticité, la vérité descendante sera toujours la nôtre. C’est en acceptant notre ignorance de l’essence des choses que nous nous étirons au maximum vers elle. Il faut reconnaître l’incomplétude de notre regard ascendant.

Jusqu’à quel point peut-on s’abandonner?

Démarche qui fut celle de Niels Bohr, quand il a accepté l’invraisemblance de la mécanique quantique, totalement étrangère aux connaissances de l’époque. Il a pu ainsi s’approcher de l’essence des particules subatomiques. Il a redonné à ces entités la propriété de leurs interactions, en abandonnant de ce son esprit voulait leur faire dire.

Mais l’abandon complet est-il possible ? Malheureusement non. D’autres représentations propriétaires prennent simplement la place des précédentes et négocient mieux avec l’essence de la réalité.

Commençons par abandonner le divin des ‘forces fondamentales’. Voyons-les comme des règles sociales décidées par les particules, incluant tout ce dont elles sont faites. Créatures, je vous regarde. Je ne suis pas votre Dieu…

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