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Au fronton de l’Académie
Amour de la sagesse, science du savoir, questionnement sur la nature de l’Homme, énergie bienheureuse (Épicure), système de connaissance (Kant), étonnement au monde (Schopenhauer), intelligence du réel (Hegel)… Les définitions de la philosophie sont empreintes de la personnalité de leurs auteurs. Au point d’en faire l’endroit où l’on garde ses démons intérieurs (Marc Aurèle, Husserl). Ou une rébellion: La philosophie n’est aucune des sciences de la nature (Wittgenstein), n’est pas la construction d’un au-delà qui se trouverait Dieu sait où (Hegel).
Ce jardin de fleurs personnelles est dominé par deux arbres, meilleurs représentants de la philosophie dans sa complétude, des racines aux efflorescences. Le premier est de Descartes: « La philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui en sortent sont toutes les autres sciences, la médecine, la mécanique et la morale ».
Le second est de Heidegger: « Il y a des nombres, il y a des triangles, il y a des peintures de Rembrandt, il y a des sous-marins ; je dis il y a de la pluie encore aujourd’hui, il y aura du rôti de veau demain… Ce simple “il y a”, tout plat et, pour ainsi dire, vidé de significations déterminées, recèle en raison de sa simplicité, de multiples énigmes ».
Modèle se jumelant à la pensée même
Ces auteurs s’évadent de la philosophie ‘disciplinaire’ pour s’intéresser à sa dimension complexe, arborescence chez Descartes, remontée à l’origine du questionnement chez Heidegger, qui part de la “sympathie absolue envers la vie”.
Définissons alors la philosophie comme le modèle de notre structure intime de pensée. Un modèle complexe qui part des activités élémentaires du mental (représenter le monde pour l’amener en soi) jusqu’aux plus sophistiquées (inventer tous les angles de vue imaginables pour situer une abstraction). Des schémas neuraux qui précisent des objets à ceux qui floutent des concepts. La philosophie est jumelle de la pensée, en tant que son modèle.
Obligatoirement circulaire
La philosophie est bien une science, parce qu’elle modélise, et pourtant elle déroge au principe de la science, qui doit disposer d’un oeil extérieur pour se faire réfuter. L’écueil du raisonnement circulaire, piège des connaissances parcellaires, est une caractéristique inhérente à la philosophie dans son ensemble. L’écueil est modélisé lui aussi, à l’intérieur de la philosophie dont rien ne peut s’échapper, par définition, puisqu’elle est toute pensée.
Sur cet arbre, modèle de la pensée, vous pouvez à présent accrocher toutes les définitions précédentes. Plaçons la ‘sympathie envers la vie’ en bas, à la naissance, quand nos yeux s’ouvrent pour la première fois. Des réseaux neuraux commencent à philosopher pour trouver un sens à ces informations, à partir d’une pré-programmation simple.
Baobaba devant la philo!
Une étape immédiate et majeure est la socialisation. Mimétismes sur le sens. Puis l’éducation: sur les manières de le trouver. Le tronc s’élargit comme un baobab. Avec l’éducation commence aussi l’académisme. Les branches de la connaissance se divisent.
Première grosse séparation sur le tronc: la science. Une étiquette est placée là par les philosophes des sciences. Pour eux la définition de la philosophie est le reste du tronc, qui n’est pas la science. Je cite Rosenberg et McIntyre: « La philosophie s’occupe de deux jeux de questions: 1) Les questions auxquelles la science ne peut pas répondre aujourd’hui et peut-être jamais. 2) Les questions sur pourquoi la science ne peut pas répondre au jeu (1) ».
Et l’éthologie des atomes?
Ne continuez pas à diviser la philosophie entre ses différentes disciplines, comme le fait un wiki. Juxtaposition qui ne rend pas compte de sa dimension verticale. Dans une verticalité il existe d’abord 2 directions du regard, base vers sommet (ontologie), sommet vers base (épistémologie, téléologie).
Il existe ensuite 2 expériences, celle du sommet (phénoménologie, esthétique, éprouver l’instant) et celle de la base : malheureusement nous ne partageons aucune impression avec les atomes, si bien que les données trop rares n’ont pas permis l’éclosion d’une nouvelle discipline ! Mais l’éthologie animale est une amorce dans cette direction, quand elle s’efforce de deviner ce qu’éprouvent les bêtes. Est-il possible de s’évader de nos propres expériences ? J’ai peur que les premiers éthologues des atomes ne fassent fermer les accélérateurs nucléaires, où se font assassiner brutalement d’innocents cobayes.
Nous, entre l’un et le multiple
L’arbre philosophique n’est pas lisse, il a des yeux, des fourches, des perchoirs, est parcouru par différentes sèves, et 7 milliards de fourmis qui s’en délectent. Il contient de vastes niches (politique, religion, justice), des ateliers pour démonter (logique), peindre (histoire, arts), communiquer (langage), transformer (philosophie de l’action, morale).
Quant aux sciences, ne les isolons pas. Elles sont les langages que nous inventons pour que le monde puisse nous parler. Très proches de lui, mais encore dans nos manières de philosopher.
Cette complexité du modèle permet de comprendre qu’il en existe autant d’exemplaires que d’esprits. La philosophie est aussi la relation entre l’un et le multiple. La philosophie c’est nous. Peut-on faire moins élitiste ?
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