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Éveillé sans être conscient ?
C’est possible. Situation de l’épileptique en crise de grand mal. Il est apparemment éveillé mais absent, sans contrôle, livré à des spasmes musculaires autonomes. A l’inverse la conscience est impossible sans l’éveil. Ces déclarations attribuent à la conscience deux conditions supplémentaires, en sus de l’éveil : 1) Un contrôle du mental sur le corps et l’environnement. 2) La conscience de soi, d’être ce corps et mental indépendants au sein de l’environnement.
La notion de conscience est ainsi composite. C’est un paradoxe de l’éprouver unifiée et la voir immédiatement démembrable par l’analyse. Éveil, contrôle, sensation, distance, conscience de soi. Mais surtout analyse et expérience ne sont pas de même nature. Quelle que soit la finesse de l’analyse, impossible d’y faire rentrer l’expérience. Un neuroscientifique essaye de comparer éveil et conscience ? Vice caché. L’éveil est un concept d’observateur extérieur, la conscience est éprouvée en tant que ‘Je’. Genres incompatibles. En réalité le neuroscientifique discute des caractéristiques observables de la conscience.
Modèle ’espace de travail global’
Choisissons un modèle de la conscience. Lister ses seules caractéristiques ressemblerait à une liste d’ingrédients sans indications d’assemblage. Notre fil conducteur sera l’espace de travail global (ETG), l’une des théories favorites en neuroscience. Dans ce modèle, la conscience repose sur un vaste réseau neural indépendant qui relie les principaux centres cérébraux. L’intérêt de l’ETG est d’être compatible avec plusieurs degrés de conscience :
–subliminal (stimulus parvenant au réseau mais insuffisant pour déclencher une activation globale)
–préconscient (activation du réseau qui s’éteint rapidement par manque d’attention)
–conscient (le stimuli envahit le réseau qui concentre son activité sur lui).
L’éveil est assuré par la formation réticulée, située dans le tronc cérébral, paquet de neurones excitateurs dont l’énergie se propage à l’ensemble de l’ETG. Nos pensées perdurent et bouclent même en l’absence de stimuli extérieurs notables. La réticulée est le chef d’orchestre du cycle éveil/sommeil. Sans son activité la coordination de l’ETG ne peut se maintenir. Ainsi s’explique l’impossibilité de conscience sans éveil.
Les états non standards de conscience
Sensation et contrôle supposent un bon état des connexions ETG / autres aires cérébrales. Les informations sensorielles affluent, les centres moteurs répondent. Quand ce n’est plus le cas ? Nous entrons dans le cadre des états non standards de conscience. Supposons d’abord que l’ETG est intact mais ne communique plus avec les autres centres. Si le défect est localisé (paralysie, aphasie etc) la conscience de la personne est conservée mais n’intègre plus ces informations. La conscience perd des fonctions. La coupure totale provoque le locked-in syndrom, terrifiante situation d’une conscience enfermée dans un corps auquel elle ne peut plus accéder.
Le rêve est état non standard d’un autre genre. C’est l’ETG lui-même qui est fragmenté. La réticulée est au repos, stoppant la propagation des stimuli à travers le réseau conscient (sommeil). Mais certains centres gardent une activité indépendante. Cette activité mesurée par l’IRMf n’est guère amoindrie pendant le sommeil. Les connexions longues n’en représentent qu’une faible partie. Cortex visuel associatif, hippocampe et amygdale forment une sorte d’ETG réduit mais capable de générer des rêves riches en images, émotions et fragments de mémoire.
Un dernier type d’états non standards est provoqué par les drogues et autres altérations de la physiologie neurale. Les règles de propagation de l’influx neural sont directement impliquées, et non les connexions. La conscience peut donc être altérée à différents niveaux de son organisation, de l’électrochimie nerveuse à la segmentation de son réseau, en passant par la déconnexion de centres contributifs. Le concept ‘conscience’ cache une grande profondeur de complexité, qui n’a pas fini d’être sondée, et qu’il ne faut pas réduire à l’un de ses composants.
Limites du modèle ETG
La distanciation entre soi et non-soi, ainsi que la conscience de soi, sont des problèmes difficiles pour le modèle ETG, qui montre ses limites. Comment des représentations se séparent-elles des autres dans un même espace ? Il est tentant de déclarer observateur un centre sophistiqué tel que le cortex préfrontal, siège du raisonnement et de la logique. Mais alors on abandonne l’explication de la conscience en tant que réseau global, puisqu’on la réenferme dans une aire particulière.
Remplaçons l’ETG par le Stratium, modèle qui se focalise sur la hiérarchie des niveaux de traitement neural plutôt que leur localisation. Auto-organisation des stimuli sensoriels en schémas de base, eux-mêmes associés en motifs plus intégrateurs, dans une pyramide coiffée par les niveaux conscients. La base de la pyramide est facile à localiser anatomiquement, par le regroupement des afférences sensorielles. Les réseaux du sommet sont plus discrets et s’étendent à travers la totalité du cerveau. La conscience n’a pas de centre. Chaque aire peut se brancher à plusieurs niveaux intégrateurs de la pyramide, participant à des sous-consciences spécialisées. Le réseau final concentre son activité sur l’un ou l’autre aspect de son incroyable polyvalence sous-jacente, expliquant la pétulance de nos pensées. Ce modèle est parfaitement compatible avec l’ETG, partie de la hiérarchie formant la conscience éveillée. Soi et non-soi sont des piliers différents de la hiérarchie, alimentés par les stimuli intrinsèques et extrinsèques. La conscience éprouvée est l’expérience par un niveau intégrateur de la constitution des précédents, étoffée par la hauteur de la pyramide, passant de frustre à sophistiquée. S’expliquent les états non standards, quand certains étages ne sont pas correctement “allumés”.
La conscience, une synchronisation organisée
Question irrésolue : Comment notre épileptique peut-il être éveillé mais non conscient ? Son cerveau montre en IRMf un grand feu d’artifice neural. Pourquoi cette hyperactivité ne produit-elle aucune conscience ? Ici intervient la notion essentielle de synchronisation. Une représentation est un schéma de neurones synchrones. Les points excités ne sont pas équivalents. L’ensemble de leurs positions, aux carrefours du schéma, forme la représentation mentale symbolique. Ils participent à plusieurs, de rang différent dans la hiérarchie. Code délicat et complexe. Les délais entre influx ont un rôle critique. Or la crise d’épilepsie est une vague puissante et irrépressible qui diffuse indifféremment à tous les neurones connectés. Elle éclipse entièrement le code mental. Activité électrochimique et musculaire frénétique mais plus la moindre pensée.
Comme le sable sur lequel vous avez gravé votre nom. La vague a tout effacé.
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