Le “pari de la conscience” au bout de ses 25 ans

Aucun des parieurs ne pouvait gagner

Christof Koch s’est fait avoir. Le neuroscientifique a parié en 1998 avec le philosophe David Chalmers que les neurosciences sauront détecter, dans les 25 prochaines années, une signature spécifique de la conscience dans le cerveau, c’est-à-dire une mesure d’activité qui permette de distinguer entre un traitement conscient ou inconscient des informations reçues par le cerveau. En juin Koch a reconnu avoir perdu dans une déclaration commune avec Chalmers : la recherche n’est pas encore en mesure d’expliquer physiquement la conscience.

J’ai dit que Koch s’est fait avoir, pas qu’il a perdu. La pari a eu lieu à un moment où le problème de la conscience ne pouvait être posé en termes corrects. Il ne l’est toujours pas. Koch a du mal à se défaire du côté réducteur des neurosciences. Le rendu de la conscience ne peut être expliqué purement en termes d’interactions neurales. Chalmers s’est engouffré dans cette brèche pour définir le ‘difficile problème’ : en tant que phénomène la conscience ne peut être entièrement expliquée par la physique.

Je décris brièvement la solution. Les détails sont accessibles à tout lecteur assidu du blog, qui se référera à la page Synthèse CONSCIENCE.

25 ans de stagnation philosophique en physique

Il est parfaitement possible de trouver une signature spécifique de la conscience dans les échanges neuraux et cette signature ne suffit pas à expliquer la conscience en tant que phénomène. Koch et Chalmers ont tous deux raison. Le pari aurait du se conclure par un pat. Aucune autre conclusion n’est possible de la manière dont il a été posé. Koch ne devait pas recevoir de caisse de vin mais aurait fait l’économie de celle offerte à Chalmers.

La signature cérébrale est une corrélation neurologique parfaite de la conscience. Seulement une corrélation, pas une explication. En tant que corrélation elle suffit néanmoins à cerner dans le cadre de la physique actuelle l’origine de la conscience. Affirmer le contraire reviendrait à dire qu’il faut quelque chose d’extra-matériel, hors de la réalité physique, pour rendre compte de la conscience. Autrement dit c’est redonner du crédit au concept d’âme. Les mystiques seront ravis, mais ce concept n’a jamais été non plus une explication, seulement un nom sur un mystère.

Évitons une telle démission. L’autre hypothèse est plus encourageante : la physique décrit parfaitement les aspects matériels de la réalité, mais en oublie d’autres. La conscience est bien contenue dans ses corrélats matériels. C’est la physique elle-même, de part ses restrictions méthodologiques, qui ne fait pas surgir ses aspects qualitatifs. En 25 ans les restrictions n’ont guère changé. Impossible donc que la méthode ait pu produire une avancée quant au phénomène, et elle n’en produira jamais.

Le pari aurait du être celui d’une refondation de la physique

La pari de Koch ne concernait pas la physique elle-même, et je pense que Chalmers ne la ciblait pas non plus : il n’a jamais affirmé qu’il fallait une autre physique. La physique semble trop monumentale pour s’aventurer à dire une chose pareille. Et pourtant… C’est bien là que le pari aurait du se jouer. Si Koch et Chalmers étaient d’accord pour le limiter au cadre de la physique actuelle, alors c’est plutôt Koch qui a gagné : il existe déjà d’excellentes corrélations neurales séparant les activités mentales conscientes et inconscientes. En rejetant la physique contemporaine, c’est Chalmers qui a gagné : sa contestation n’a rien perdu de sa validité. Peu importe la précision des mesures, la physique n’explique toujours pas le phénomène conscience.

Au plan éthique le pari était déséquilibré. Koch s’est emballé pour une solution claire au mystère, Chalmers n’en a pas proposé, a seulement parié qu’elle resterait obscure, ce qui est facile. La solution existe, mais ils n’en ont pas eu connaissance. Même s’ils l’avaient connue, il est difficile de dire quel consensus elle réunirait aujourd’hui. C’est le plus polémique des sujets, qui oppose deux piliers de la connaissance, philosophie et science, sans arbitre reconnu par les deux.

Si Koch avait été lecteur de Surimposium, il aurait pu tout de même réclamer son prix. Il aurait présenté conjointement à Chalmers ses corrélations neurales et une physique réinscrite dans une dimension complexe fondamentale, parfaitement capable d’expliquer le phénomène conscience. Là aussi : dans quels termes exacts s’est fait le pari ? Surimposium a été publié avant la fin des 25 ans. Mais pas dans une revue officielle. Est-ce que Christof lit les mails d’expéditeurs inconnus ? Pourra-t-il adhérer à une théorie qui contredit certaines de ses prédictions (il considère que les IAs ne deviendront jamais conscientes par une simple augmentation de capacité numérique, ce qui est faux) ? Rappelez-moi de vous tenir au courant…

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Le « pari de la conscience » a 25 ans : peut-on réduire la conscience au cerveau ? Philomag 2023

Synthèse CONSCIENCE

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