Le réel n’est-il fait que d’ondes?

Vlatko Vedral, physicien à Oxford, affirme que le réel n’est fait que d’ondes et qu’il faut complètement abandonner l’obsolète dualisme onde-particule. Cette position est un réductionnisme éliminatoire. Elle dénigre l’existence de la dimension complexe du réel. Je vais montrer comment elle réintroduit un dualisme, celui du réel et de l’esprit.

Le discours réductionniste

L’affirmation de Vedral est correcte si nous la limitons au niveau de réalité le plus fondamental connu actuellement : les champs quantiques. Les particules sont de simples excitations de ces champs ondulatoires et ne requièrent pas de description ontologique propre —elles n’ont pas d’existence indépendante du champ. Les particules ne sont utiles que dans nos représentations des choses, en particulier pour conforter l’idée que la matière est bien substantielle, faite d’ingrédients minuscules mais irréductibles.

Seules les ondes étant réelles, Vedral fait ainsi de tous les autres niveaux de réalité, y compris la matière de son propre esprit, de pures illusions. Vedral résout ainsi la place de l’esprit :

« Il n’est pas nécessaire de nous considérer comme des observateurs spéciaux, comme quelque chose en dehors de la physique. Nous en faisons partie intégrante. Ainsi, lorsque nous percevons quelque chose, ce n’est en réalité qu’une onde quantique qui interagit avec une autre ! »

Un double abysse s’ouvre

Le problème créé est de deux ordres :

1) La notion d’illusion n’est pas définie. Elle ne peut l’être en termes d’ondes, ou par des équations mathématiques. C’est une notion philosophique qui implique la présence de quelque chose à quoi se présente l’illusion.

2) Tout aspect qualitatif disparaît du réel, qui n’est plus décrit qu’en termes quantitatifs. Pourquoi telle interaction d’une onde quantique avec une autre fait-elle partie d’une représentation incluse dans notre esprit, et pourquoi telle autre interaction n’en fait pas partie ? Aucune réponse bien sûr possible à trouver dans la fonction d’onde.

Le réel est ainsi réduit à une salade d’informations dépourvue de la moindre saveur, comme si une montagne et la ville qui y est construite avec ses habitants était réduite à une vaste étendue de sable que l’on vous dise : « Voici la montagne et tout ce qu’elle supportait, ce n’est rien d’autre. »

Des ondes pensantes et conscientes?

Mais il reste encore quelque chose pour regarder cette étendue de sable. Cette chose ne s’éprouve pas comme du sable elle-même, n’est pas simplement du sable. Comment pourrait-elle s’en décaler ? De même l’esprit ne s’éprouve pas comme assemblage d’ondes de champs quantiques. D’où lui vient cette impression ?

Le réductionnisme radical conduit ainsi soit à nier sa propre expérience du réel soit à l’expulser dans un continuum parallèle, qui épouserait bizarrement chaque interaction entre des ondes avec une expérience spécifique. Nihilisme ou dualisme, telles sont les issues de ce mode de pensée.

Il y a un abysse entre l’universalité proposée par les ondes dans le niveau de réalité quantique, et l’universalité proposée à des esprits pourvus d’une expérience intime. Je ne vous encourage pas à le franchir, au risque de ramener votre identité à une équation élémentaire. Mais comment des physiciens parviennent-ils à ne voir aucun abysse quand il est sous leurs pieds ?

L’esprit phagocyté par le signe « = »

Ils sont tout simplement piégés par le signe « = ». Ce symbole mathématique parvient à dissimuler toute émergence qualitative et à aplatir le monde en tant que vaste étendue d’information. Vous pouvez installer de part et d’autre du signe « = » des choses de même nature, comme des atomes, des pommes, des neurones ; ou bien des choses qualitativement étrangères les unes aux autres, par exemple dans la formule de Boltzmann l’entropie macroscopique d’un côté, de l’autre le nombre de configurations microscopiques. Le signe « = » ignore complètement ce qu’est la ‘nature’ d’une chose.

Vous comprenez ainsi ce qui se passe dans la tête du physicien. Son langage mathématique à propos du réel lui indique qu’il n’existe pas de ‘nature’ des choses qui pourrait les différencier. Les “qualités” n’existent pas. C’est une simple commodité —pour qui? Le code de langage prend le pas sur l’expérience plus large de l’esprit. La conscience envahie par le code s’estime entièrement constituée par lui.

Un cas d’auto-digestion de l’expérience première par le langage secondaire ? Je dirais : spiriticide.

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