Lequel, du socialisme ou du capitalisme, est le plus collectiviste?

Abstract: Le socialisme se montre plus conservateur que le capitalisme, fixant davantage les places en société. Attaché à conserver leur égalité, le socialisme privilégie le T (la tendance soliTaire, égotiste) du principe TD tandis que le capitalisme soutient mieux le D (la tendance soliDaire, collectiviste). Je justifie dans l’article cette conclusion qui va à l’encontre des discours habituels, mais qui explique plus clairement le succès des sociétés capitalistes face aux socialistes, par un gain croissant de pouvoir global. Le capitalisme actuel mérite cependant ses critiques, traînant encore lui aussi un conservatisme de places, celles des rentiers, qui en tronquent le principe.

Un nouvel éclairage

Le principe T<>D, individu soliTaire versus collectif SoliDaire, est le moteur fondamental que j’ai utilisé pour décrire la société dans Societarium. Continuons à l’illustrer en regardant comment il opère une sélection naturelle sur les systèmes politiques. Pourquoi le capitalisme a-t-il pris le pas sur ses concurrents et pourquoi est-il néanmoins vivement critiqué aujourd’hui ? Le principe T<>D éclaircit l’affaire et donne des pistes face au mécontentement.

Face au socialisme, le capitalisme est plus collectiviste qu’il n’y paraît. Le socialisme privilégie davantage le conservatisme des places en société, fixant un droit à l’importance par le seul fait d’exister. C’est en faire un droit “héréditaire”, complètement indépendant des relations de l’individu avec sa société, des efforts qu’il fournit pour le bien collectif. Le socialisme crée ainsi une véritable aristocratie de naissance, étendue à toute l’humanité, où chaque place est sacrée.

Le protectionnisme n’est pas un collectivisme

Tandis que le capitalisme privilégie les relations acquises par l’individu avec la société pour déterminer sa place, qui est mobile. Plus le nombre d’individus augmente, plus les écarts augmentent, dans une courbe exponentielle. Ces contrastes permettent de concentrer les ressources dans les mains de quelques décideurs, qui enclenchent des projets plus ambitieux que dans la répartition socialiste égalitaire. Le potentiel de pouvoir collectif derrière ces projets suit lui aussi une courbe exponentielle. L’histoire a montré que les retombées pour les individus sont en moyenne toujours meilleures qu’avec le protectionnisme des places sociales.

Malgré cet avantage du capitalisme pour la société vue globalement, son effet secondaire est d’augmenter les frustrations individuelles, l’esprit humain comptabilisant les contrastes et non les données absolues. Le bonheur ressenti est faible même quand on dispose de tout le nécessaire, si d’autres profitent du superflu. Il se confirme ainsi que le capitalisme est un système avantageux surtout du point de vue collectif, tandis que le socialisme l’est davantage du point de vue rétréci à l’individu. Ce ne sont pas les conclusions que nous entendons habituellement.

La concentration des moyens et des motivations limite l’échec

L’autre avantage du capitalisme est qu’en agrégeant les profits autour de ses projets faramineux, il concentre aussi les motivations. La hiérarchie des entrepreneurs et des profits focalise les chances de réussite des projets au milieu d’une population majoritairement indifférente, sans gaspiller toutes les ressources de la société. En termes de principe T<>D, c’est la force de l’entrepreneur (le pouvoir du soliTaire) condensée dans l’intérêt du collectif (le pouvoir du soliDaire) avec une récompense individuelle à la clé.

La perversion de la rente

En quoi les critiques du capitalisme sont-elles justifiées, s’il présente autant d’atouts ? Tout système est empreint d’un passif, celui de la culture qui l’a créé. Il n’y a pas de révolution en politique aussi radicale que les révolutions scientifiques. La version du capitalisme en place aujourd’hui traîne encore un lourd conservatisme à propos des places sociales, même s’il est moins figé que celui du socialisme. Certes quelques héros de l’économie s’auto-proclament empereurs du système en partant de rien, montrant l’ouverture du monde économique. Mais ces cas forcément exceptionnels dissimulent mal la réalité du capitalisme contemporain, où les places sont presqu’aussi héréditaires qu’au temps des monarchies.

C’est au niveau de la répartition des pouvoirs que pèche le capitalisme. Il accorde trop d’importance au rentier, une place réservée et non gagnée. La rémunération de l’effort individuel en est viciée. Un cheptel de travailleurs qui démarrent de rien est exploité par une clique de possédants qui partent de tout. Côté sombre du capitalisme, qui ne correspond en aucune manière à ses principes. L’élitisme n’a jamais été incompatible avec l’idéal solidaire, comme le montrent les grands mécènes.

Quelle solution ?

Un changement de perspective est nécessaire, fondé sur le principe TD. Chacun doit comprendre que la valeur du patrimoine individuel n’a de sens que vue du collectif. Plus la richesse est élevée, plus elle devient attachée en réalité au collectif et non à l’individu. Les droits du collectif sur une fortune augmentent proportionnellement à son montant, étant donné qu’il s’agit d’une valeur d’échange. La propriété publique a un faible droit de regard sur un petit héritage, plus grand sur un héritage conséquent. C’est le principe déjà suivi par les prélèvements proportionnels. Le collectif fait partie des héritiers !

Mais la puissance publique n’est pas un gestionnaire en soi et ne veut pas menacer ses entreprises, les moteurs de son pouvoir. Elle devrait donc mettre ses héritages aux enchères, dans la pure tradition du capital, pour que ces entreprises recrutent à nouveau les motivations capables de les faire fructifier. Le problème de l’héritage est cependant tronqué par une anomalie : le capitalisme est global, planétaire, tandis que les politiques de prélèvement sont nationales. Impossible en pratique d’appliquer notre principe précédent, que je résume ainsi : plus une fortune est importante, plus elle s’est bâtie sur un vaste collectif, et plus elle appartient à l’humanité dans son ensemble. Car les individus se défendent ; ceux qui héritent ont appris à monnayer les prélèvements, en déménageant dans les pays les moins gourmands. Il existe un ‘marché de la fortune’, dérégulé, alors qu’il mérite une gestion mondiale. Le capitalisme manque encore de quelques niveaux de complexité.

La solidarité est l’acceptation de la différence

Néanmoins peut-on rester dans l’idée classique qu’en société le capitalisme isole et le socialisme rapproche, que le premier est soliTaire et le second soliDaire ? J’ai tenté de vous persuader que non. Rappelez-vous, l’esprit humain est attentif aux contrastes, non pas au bien-être en valeur absolue. Pourquoi cette attention peu rationnelle ? Parce que l’être humain se cherche dans les autres, il cherche ce qui lui ressemble. Il n’aime pas les trop grandes différences, il les ostracise. À la racine du rapprochement social existe le souci de retrouver dans l’autre, un mouvement soliDaire en apparence, mais bien soliTaire dans ses sources. J’étends ma soliTude en lui faisant englober les autres, à condition bien sûr qu’ils me ressemblent.

La véritable solidarité est d’accepter l’autre avec ses contrastes, ses croyances extra-terrestres, ses passions et sa richesse différentes de la mienne. Certes en étant ainsi il me concurrence et empiète sur ma parcelle de pouvoir, créant facilement des injustices. Mais ce n’est pas moi qui doit gérer ces inégalités et dire lesquelles sont justifiées. C’est au collectif de le faire, dans l’intérêt général. Et diminuer ma frustration consiste à renforcer mon D, ma part soliDaire, ce représentant du collectif qui vient discourir à la tribune de mon propre esprit. Beaucoup trop rarement ces temps-ci ?

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