Manquons-nous de sensibilité envers la Nature ?

Abstract: La campagne écologiste dite “sensible” pour les élections européennes montre en fait une grave insensibilité aux désirs des vivants.

La sensibilité mise en scène

Marie Toussaint, candidate écologiste aux élections européennes de 2024, fait une « campagne sensible ». Appel à retrouver la “pulsation du vivant”, méditation sur la douceur, nous irions vers une catastrophe climatique en raison d’une « crise de la sensibilité », à force de vouloir plier le monde à nos desseins bassement matérialistes. Marie Toussaint a-t-elle bien compris ce qu’est la sensibilité ?

Être sensible à quelque chose est se glisser dans la peau de la chose et s’éprouver comme elle. S’il s’agit d’une plante ou d’un animal, c’est s’imaginer végétal ou doté de sens différents. S’il s’agit d’un concept, c’est en comprendre les bases et les ramifications, lui donner ainsi du pouvoir. S’il s’agit d’un humain d’extraction sociale différente, c’est simuler ses conditions de vie.

Sensibilité implicitement morale ?

Il n’y a pas de morale directement impliquée dans la sensibilité. Elle décrit une relation facilitée, un échange ouvert entre représentations du monde. On peut être sensible à l’univers d’un psychopathe. On peut aussi taguer son propre univers sur l’autre, étant incapable de se mettre réellement à sa place. Comment s’éprouver comme une plante dépourvue de cerveau ? Des réseaux neuraux simulent l’expérience d’une entité qui n’en possède pas. Même comparer notre sensibilité personnelle à celle d’un congénère n’a d’autre base que le compte-rendu très indirect de l’un et l’autre, qui suppose que les mots s’adossent à la même expérience. Conviction précaire. Alors se mettre dans la peau de “la Nature”…

C’est le grand défaut du mouvement écologiste contemporain. La sensibilité qu’il affiche pour la Nature n’est pas authentique, car elle est une projection d’idéaux humains sur des entités dépourvues de support pour des expériences aussi sophistiquées.

La “campagne sensible” de Marie Toussaint est en réalité une campagne spiritualiste, une divinisation de la Nature, un prosélytisme pour la déesse Gaïa. Il n’est pas sûr qu’elle serve la cause climatique, car les idéaux humains ont tendance à lutter agressivement entre eux, contrairement aux principes ontologiques qui organisent le vivant, identiques pour tous.

Plutôt une crise d’hypersensibilité…

Si Marie Toussaint était une véritable “sensible”, elle le serait impartialement pour ses congénères préoccupés d’améliorer leur quotidien difficile, dont se moque la décroissance prônée par son parti. Manquer de tout rend très matérialiste, et a contrario l’écologie politique est un luxe de pays de nantis. La sensibilité écologiste est égotiste, dirigée vers des idéaux soigneusement sélectionnés. Il ne s’agit donc pas d’un mouvement “sensible”, ouvert à toutes les représentations, mais bien d’un militantisme voire d’un ostracisme, fermé à ce qui n’est pas compatible avec sa vision spiritualiste de la planète.

Faut-il alors s’étonner que les thèmes écologistes soient populaires, mais pas les partis (pris) ? Le vivant est une vaste auto-organisation qui inclue à son sommet les désirs humains. Il n’y a pas de crise de sensibilité ; au contraire nos espoirs, corsetés par le nombre toujours croissant de congénères qui se les disputent, nous rendent hypersensibles aux frustrations. La protection de la planète nécessite une sensibilité bien plus exhaustive que celle prônée par Marie Toussaint, qui se révèle en fait insensible aux plus profonds de nos désirs… comme s’il fallait les exclure du vivant ?

Correction ontologique

Cette campagne est mauvaise parce qu’elle fait appel à une religiosité du vivant dépourvue d’évidence et qui laisse de marbre une majorité de gens confrontés à des difficultés existentielles quotidiennes. Comment les sensibiliser efficacement à la cause climatique ? En les encourageant à sauver une déesse Gaïa imaginaire ou eux-mêmes ? Il est plus utile de dérouler avec force détails les scénarios catastrophes qui nous guettent. Agir devient alors prendre soin de soi et de ses proches. Nous sommes tous concernés. Campagne impliquant notre être, une sensibilité authentique cette fois, ontologique chez tous et non plus idéaliste chez quelques-uns.

*

Écologie de la sensibilité : la stratégie ambivalente de la candidate “verte” aux européennes Marie Toussaint, Philomag

Laisser un commentaire