L’esprit est un approximant identitaire

Les manières de définir l’esprit sont innombrables. Parce que ses productions le sont. Et les disciplines de l’esprit le définissent à rebours. Il existe ainsi des descriptions physiques, biologiques, psychologiques, sociologiques, et bien sûr mathématiques. L’esprit ressemble à un algorithme de prédiction. N’a-t-on pas lu partout qu’il est bayésien ? Non non, un fonctionnement neural bayésien ne fait pas de l’esprit un oracle bayésien. Pourquoi donc ?

L’équation bayésienne est lue par un mathématicien, qui la reconnaît pour ce qu’elle est : une probabilité évolutive à mesure que de nouvelles données sont introduites. Dans l’esprit par contre, il n’y a pas de lecteur des computations neurales ; l’esprit est la computation neurale. En tant que décideur, il devrait se comporter comme une probabilité évolutive. Ce n’est pas le cas. Nous éprouvons nos choix comme sûrs et non comme statistiques. Nos décisions sont identitaires. Leur nature approximative disparaît dans l’expérience consciente. “Je suis” mon approximation, non pas à 10% à 50% ou à 90% ; je suis intégralement mon approximation. Mon esprit est un approximant identitaire.

Hésitez-vous à vous en convaincre ? Prenons un sujet de discussion archi-courant : les débats d’opinion autour des recommandations, en matière de santé, d’éthique, d’éducation, etc. Peut-on dire qu’une recommandation est fiable à 100% ? Jamais, vous me l’accorderez. Une recommandation a une probabilité d’exactitude située entre 51% et 99%. Pourquoi le seuil minimal de 51% ? Parce que si une interprétation a une chance sur deux ou plus d’être fausse, pourquoi en ferions-nous une recommandation ?

Dans un débat, observez-vous que les opinions se comportent en tant que vérités probables entre 51 et 99% ? Très rarement. Seuls les esprits particulièrement intelligents et éclectiques connaissent la profondeur de leur ignorance. Les débats entre ces gens-là sont intéressants parce qu’ils se savent faits d’approximations et abandonnent vite l’affaire quand la probabilité d’avoir raison descend sous les 51%. Mais ces cas particuliers sont rares, répétons-le. La plupart de nos congénères, particulièrement en cette ère wokiste, sont des opinions à 100% ! Incontestables donc.

Neurologiquement ces opinions incontestables sont bien des approximations. Mais il n’y a pas chez ces gens de lecteur, d’observateur mathématicien pour juger de la nature bayésienne de l’opinion. Sans observateur, la prédiction esseulée est une conviction.

Si nous croisons autant de convictions pesantes au quotidien, c’est que l’observateur est une construction particulièrement complexe et fragile. Il se fait prestement écraser quand déboulent dans l’esprit les boules de bowling mentales que sont la colère, les névroses, l’alcool et autres poisons mentaux. Nos délicates efflorescences mentales se rétractent. L’esprit devient un bouclier, uni et rigide, sévère garde du corps… un approximant identitaire.

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