Microbiote, obésité et rhumatisme

Ce sujet médical devrait faire partie du blog dédié, mais je l’inclus ici en exemple de complexité horizontale, avant l’article sur les deux dimensions de la complexité. L’horizontale est un cycle interactif entre éléments capables de communication, tandis que la complexité verticale est une intégration de systèmes interactifs, les uns formant les éléments des suivants. Penchons-nous ici sur un cycle interactif passionnant, celui de l’alimentation, impliquant goût, choix des aliments, microbiote, cerveau second digestif.

Le microbiote

Quel organe décide principalement du mode d’alimentation ? Le cerveau, avec sa conscience toute-puissante ? Non, c’est le microbiote, cette société bactérienne qui habite notre tube digestif. Le microbiote est un élément important de notre identité et le plus indépendant de nos gènes. Nous héritons à la naissance d’une assemblée initiale de microbes provenant du passage par les voies maternelles et des premières personnes qui nous manipulent. Cette “nation” bactérienne va évoluer au fil des années par l’immigration et la compétition entre les “ethnies” installées. Des famines, des prises d’antibiotiques et d’autres bouleversements peuvent survenir, triant les survivants. Chez l’adulte le microbiote a beaucoup gagné en résilience, est moins susceptible de se faire bousculer. Mais il reste très dépendant d’une alimentation régulière et préférentielle : celle qui permet à ses factions bactériennes de se maintenir ensemble.

Un organe à part entière

Le microbiote ne doit pas être vu comme une collection de bactéries mais comme un Tout maintenant une certaine homéostasie microbienne, à l’instar de n’importe quel autre organe corporel. Le microbiote est un organe. Certaines espèces bactériennes favorisent la présence des autres. Le Tout microbiotique est une symbiose autant qu’une concurrence. Il se maintient de deux manières, par les échanges bactériens, et par les signaux envoyés au système digestif. Deux types de signaux : taux de métabolites absorbés avec leur concentration sanguine, et messages bactériens spécialement dédiés au tube digestif.

La communication chimique microbiote / intestin est traduite par le système nerveux local, véritable cerveau second riche de 100 millions de neurones. Ces signaux n’éveillent la conscience qu’en cas de problème. Ils la commandent en permanence d’une manière invisible : ils forment le goût pour certains aliments au détriment d’autres. Le microbiote décide ainsi de l’essentiel de nos préférences alimentaires. Nous pouvons les moduler en conscience à l’aide de l’art gastronomique, cependant même le plus grand des maîtres-queux ne nous fera pas avaler facilement une chose que nous ne goûtons pas.

La conscience, une marionnette juchée sur un caddie

Ainsi programmée la conscience part à la chasse de ses provisions alimentaires, le plus souvent aujourd’hui armée d’un caddie. Les mains attrapent machinalement les victuailles sur les rayons. la conscience fait semblant de réfléchir à la qualité et aux prix. Mais le contenu du caddie en nutriments et en calories n’en est guère modifié. Ce que le microbiote veut, il l’aura. La commande sera grossièrement conforme à son désir, comme est grossier le goût. Ce n’est pas un terminal d’ordinateur qui permet de pianoter sa commande sur une conscience-Amazon…

Gros avantage sur Amazon, la commande arrive déballée ! Et même déjà enrobée de sucs digestifs. Pas besoin de dents, de la trousse à outils complète des enzymes. L’intestin est un Club Med dont le buffet fournit un large éventail de nutriments tout prêts. Les bactéries font bombance. Le cycle est bouclé.

L’obésité

Voyons les dérèglements. L’obésité vient d’un microbiote qui fournit généreusement à l’intestin la majeure partie des nutriments transformés, ainsi que d’un système de rétro-contrôle, la satiété, qui sature peu. Comprenons alors que l’obésité vient autant voire davantage du microbiote hérité que de la génétique. Papa, maman, ma nounou, vous m’avez refilé un microbiote super-efficace avec ses chariots élévateurs pour remplir les cellules d’une graisse abondante et superflue !

Où peut intervenir la conscience dans ce cycle ? La plupart du temps elle est très peu au courant de ce qui se passe. « Mais je ne mange presque rien ! », s’écrient tous les obèses. Toute enquête nutritionnelle sincère révèle le contraire. Si la conscience de l’obèse persiste dans le déni, il suffit de la filmer à son insu. Son aveuglement devient manifeste. Elle ressemble à un zombie lors des courses, des repas et des incursions dans le frigidaire. Comment éveiller l’obèse ?

Où intervenir consciemment?

Le plus important que sa conscience accepte sa propre impuissance. “Consciente” de ses propres limites, elle est consciente également des rares outils efficaces qui lui restent. Ce n’est pas la surveillance « de tous les instants » qui peut fonctionner, puisque la conscience est en mode zombie lors des écarts. Où intervenir dans ce cas ?

Au moment de l’approvisionnement. Période brève, critique, où la conscience peut concentrer sa rare et chère attention. Si les supermarchés se vidaient de leurs hordes de zombies et étaient remplacés par un pupitre de commande contrôlé par un nutritionniste, l’obésité disparaîtrait en quelques années. La variété et la saveur des repas n’en seraient pas altérées, plutôt améliorées même. Les microbiotes des obèses seraient contraints d’évoluer. Le goût de ces personnes se réajuste en quelques mois. Leur appétence excessive se réduit et ils recommencent à apprécier leur nourriture. Le corps n’est plus inondé de tous ces nutriments inutiles.

Lutter contre la vie chère peut aggraver l’obésité

Notez en passant que la lutte contre la vie chère est une grande promotion de l’obésité. Si les prix baissent dans les supermarchés, les caddies se remplissent. Si les prix sont élevés, les gens sont encouragés à échanger et à produire leur propre alimentation dans les jardins ouvriers. Les travailleurs qui occupent un plein temps en échange d’un salaire modeste n’ont plus l’opportunité de jardiner. Ils sont dépendants de supermarchés à prix bas et perdent tout contrôle sur leur alimentation. Est-ce surprenant, dans ces conditions, que l’obésité touche les plus basses couches sociales ? On en fait certainement trop une affaire d’éducation.

Dans les îles, les gens n’étaient ni éduqués ni obèses. Pêche et culture étaient leur quotidien. Le surpoids est arrivé avec l’occidental, ses emplois mal payés et ses supermarchés. L’éducation poussée qui en limite les effets secondaires ne s’est pas répandue de même. Les îliens ont perdu l’éducation adaptée à leur milieu et gagné l’obésité…

Le rhumatisme inflammatoire

Et les rhumatismes, que viennent-ils faire dans cet article ? Ils viennent conforter l’idée que les “nations”, pour conserver leur identité, ne doivent pas affronter une immigration trop importante. Les nations bactériennes et cellulaires communiquent constamment mais doivent rester indépendantes. Quand les virus pénètrent dans l’organisme et s’y intègrent, c’est en tant que vecteurs d’information, pas de concurrents des cellules. Les bactéries sont de vraies concurrentes, c’est pourquoi leurs intrusions donnent lieu à des infections si dangereuses. Nos cellules sont d’ex-bactéries qui se sont organisées autour de lois communes, inscrites en chacune d’elles : le code génétique. Chacune applique tout ou partie des lois mais se conforme aux universelles, comme ne pas se multiplier sans en recevoir l’ordre. La cellule cancéreuse est une mutante qui redevient bactérie sauvage : elle se met à ignorer ces lois.

Un rhumatisme est initié par l’intrusion chronique de fragments bactériens dans l’organisme. Immigration illégale. Elle a lieu surtout dans l’intestin, favorisée par certaines gènes qui rendent les cellules de la paroi digestive moins jointives. Les espaces plus lâches entre elles favorisent le passage d’immigrants indésirables. Un autre site est la gencive : la mastication et le brossage des dents écarte et fait saigner l’interface dent-gencive, facilitant des intrusions. Le poumon est un autre endroit potentiel ; les pneumopathies chroniques sont fréquentes dans les rhumatismes.

Le seuil d’intervention est-il franchi?

Ces stimuli incessants sensibilisent peu à peu le système immunitaire, qui ne s’excite normalement qu’en cas d’invasion massive. Un germe isolé a peu d’avenir dans l’organisme, c’est pourquoi si vous vous piquez avec une aiguille propre, sans désinfecter la peau, vous avez peu de chances de déclencher une infection. Quelques germes passent à l’intérieur, des saprophytes cutanés peu agressifs, n’ayant pas la capacité de s’y multiplier. Ils ont l’habitude de partager les ressources et non se les approprier.

Il n’en est pas de même pour les virus, programmés pour proliférer grâce à la machinerie cellulaire, et pour les colonies bactériennes agressives, qui utilisent toutes les ressources disponibles. Ce type d’invasion déclenche l’alarme immunitaire, une amplification rapide de la défense de l’organisme. Toutes les cellules immunitaires s’échangent des signaux pour une mobilisation générale. C’est une grande bataille et une phase de grandes destructions, qui touchent l’organisme lui-même. On ne défend pas sur son sol sans en payer le prix. Pour limiter la casse, l’immunité est rapidement inhibée, dès que l’alarme cesse.

La police s’attaque aux bons citoyens!

En raison de cette inhibition, l’intrusion chronique de fragments bactériens ne déclenche pas immédiatement de réaction immunitaire. Aucune alarme n’a été encore sonnée. Quelques anticorps commencent à apparaître, à taux faible. Ils ne causent pas de dégâts. Pas encore. Car ils ont un défaut. Les fragments bactériens ressemblant à certains constituants de l’organisme lui-même, les anticorps vont s’attaquer aux bons citoyens : aux cellules de la membrane articulaire et à celles d’autres organes. Elles ont pourtant leur passeport, suivent les règles communes. Mais ce passeport n’est plus valable. Il est copié dans les fragments bactériens. Survient un moment où la réaction immunitaire s’emballe. Désormais la chasse aux intrus est ouverte. Les malheureuses articulations sont en première ligne. Elles souffrent sans pouvoir faire entendre leurs protestations.

Contrôler le plus précocement possible

Le rhumatisant ne sait pas d’où vient ses douleurs. Il y a du microbiote, du gène, de la gingivite, de la rencontre avec des germes ambulants, de l’alimentation, de l’éveil ou de l’endormissement immunitaire —la grossesse, les suites d’infection sévère. Un salmigondis de causes dont il faudrait comprendre la complexité pour traiter un rhumatisme à son origine. Mais l’on ne sait pas faire oublier une cible au système immunitaire, il ne perd la mémoire que très lentement. Le traitement des rhumatismes consiste donc à limiter l’excitation de l’immunité, et ceci le plus précocement possible.

Et le rhumatisant obèse?

Le lien entre rhumatisme et obésité ne passe pas que par le microbiote. Il est direct, car le tissu graisseux est un régulateur de l’inflammation immunitaire. Il n’est pas responsable de l’agression articulaire, mais quand l’auto-immunité s’est excitée, que le rhumatisme s’est déclenché, le tissu graisseux gène l’effet des traitements entrepris. Il les atténue, obligeant à les renforcer, et leurs effets secondaires aussi. Un obèse n’est pas rhumatisant à cause de son surpoids, mais il est beaucoup moins sensible aux traitements anti-rhumatismaux.

Le rôle de la conscience, au final? Modéliser les cycles de complexité horizontale. Repérer où elle peut intervenir. En réalisant au préalable qu’elle assiste à sa vie plus qu’elle la contrôle. C’est un petit siège à construire en hauteur. La conscience n’est pas dépiédestalisée. Au contraire, elle est montée au balcon, avec l’élite.

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