Morale (1): bon et mauvais – La dimension humaine

La carte d’handicapé

Roselyne est une dame âgée qui fatigue à la marche. Elle conduit encore mais garer dans le quartier commerçant est difficile. Elle préfère se ravitailler à pied en traînant son chariot à provisions. Un jour, épuisée, elle s’effondre sur le trottoir. Aux urgences, le médecin ne diagnostique aucun autre trouble que la fatigue. Il remplit lui-même pour Roselyne une demande de carte de stationnement pour handicapée. La vieille dame ressort sa voiture, descend devant chaque magasin, et continue gaillardement à se débrouiller seule.

Renée est la voisine de Roselyne. Un peu plus jeune, elle souffre d’arthrose modérée des genoux. Elle peut marcher sans difficulté un kilomètre si elle le souhaite, mais s’irrite de sentir sa gêne articulaire au bout de cette distance. Voyant que Roselyne a eu sans difficulté sa carte de stationnement, elle réclame la même à son médecin et l’obtient.

L’attribution de la carte est la même mesure sociale dans les deux histoires, pourtant la justification morale s’inverse. En quoi ? Roselyne n’a rien demandé. Elle ne veut pas être une charge, a cherché à se débrouiller par ses propres moyens jusqu’à en atteindre le bout. Le soutien collectif, moralement juste, prend le relai. Par contre Renée réclame sa carte. Sa motivation est le confort. Le soutien vient de la morale très égocentrée de Renée, où elle a une place privilégiée. Aucun jugement collectif.

Morale prévisionnelle et provisionnelle

Cet exemple montre qu’il n’est pas bon de faire gérer la morale par des textes ou des algorithmes. Elle est relation sociale dans un contexte. Le sens moral se dirige du collectif vers l’individu. C’est un consensus appliqué à la personne. À vérifier, quand on se fait relai de la morale collective. N’est-ce pas seulement la mienne ?

Définir le bon et le mauvais n’est pas l’extraire de mon esprit mais remonter le fil de sa très ancienne naissance. Un animal sait déjà ce qui est bon ou mauvais pour lui. Réaction à un évènement. Le bon est mise en concordance avec une prédiction. Il est bon de décider d’une manière d’agir, qui peut aller jusqu’à la souffrance, par exemple en se mutilant pour échapper à un piège. C’est ainsi que très anciennement, le bon s’affranchit des sensations.

Comment l’animal humain a-t-il ajouté une coloration morale ? À l’évidence ces couches ont été peintes par sa vie sociale. Sans empathie l’humain est un dangereux psychopathe. La morale est la codification de l’empathie transformant l’animal individuel en collectif. Couches particulièrement complexes. Tandis que la matière du monde a un comportement stéréotypé, celui des congénères est imprévisible. La morale demande une intelligence plus vive.

L’anoblissement moral

Ici apparaît l’étymologie commune de ‘bon’ dans la plupart des langues. ‘Bon’ est celui qui s’élève, qui anoblit son esprit. Il s’évade de la condition de survivant précaire et misérable qui caractérise le ‘mauvais’, bête stupide accrochée à son existence. Le ‘bon’, lui, assiste d’autres vies que la sienne, n’hésite pas au sacrifice personnel, travaille résolument pour le collectif.

’Bon’ et ’mauvais’ s’inscrivent ainsi dans la fondation de la personnalité. C’est le réglage entre ‘être soi’ et ‘être partie de’. Beaucoup d’être partie (générosité) est bon, beaucoup d’être soi (égoïsme) est mauvais. Bien sûr ce jugement appartient au collectif lui-même, est celui qui caractérise l’adhésion à la société. Le jugement de l’asocial est inversé. Il définira le ‘bon’ de sa morale personnelle comme le parfait être soi. En cas de conflit il estime qu’il lui est interdit de se déjuger, que sa morale impose une fidélité à ses convictions. C’est bien sûr d’une morale strictement personnelle dont il s’agit et non de « la » morale.

L’étymologie nobiliaire de la morale a pris des coups répétés avec le groupisme. Tout consacrer au collectif n’est plus si magnifique quand il se réduit à une caste de privilégiés. En particulier lorsqu’ils sont désignés dès la naissance. La morale ne se maquille pas, elle transparaît dans les actes. Quand les dérives groupistes de l’aristocratie en font le fossoyeur d’une populace bien plus nombreuse, la morale change de camp. Le miséreux devient le bon et le noble le mauvais. La première “inversion du champ magnétique de la morale”, et la plus célèbre, fut déclenchée par le prophète nazaréen. Jésus décréta que les pauvres étaient bons, les marchands mauvais.

Un scandale historique

Le scandale fut tel qu’on continue à en parler partout sur la planète, dans des édifices consacrés à l’histoire. Mais l’on ne pratique plus guère cette morale en dehors des édifices en question. Le pauvre est décidément trop bête, trop parfaitement docile à endosser l’étiquette de ‘mauvais’. Il serait dommage que ceux ayant financé celle de ‘bon’ ne puissent profiter de leur investissement à cause d’un moteur social aussi ancien et fatigué que l’éthique. Ce n’est plus celui-là qui fait tourner les cours de justice. Il est remplacé avantageusement par des algorithmes. Entrez votre référence, attendez la sortie d’imprimante. Votre morale est là, noir sur blanc.

Morale collective à sa naissance, noble au temps des chevaliers, puis computationnelle. Bien visible quand elle surplombe la tribu, moins nette sur la nation, indiscernable au-dessus du monde. Quand elle fusionne trop d’intérêts individuels, elle prend tellement d’altitude que plus personne ne l’aperçoit. Par défaut nous reprenons notre morale personnelle, et la prétendons universelle.

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